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Conditions de l’autorité de la chose jugée : une application en cas de cumul d’indemnités A.M.I. et de maladie professionnelle

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 10 juin 2022, R.G. 2021/AL/487

Mis en ligne le mardi 31 janvier 2023


Cour du travail de Liège (division Liège), 10 juin 2022, R.G. 2021/AL/487

Terra Laboris

Dans un arrêt du 10 juin 2022, la Cour du travail de Liège (division Liège) reprend les conditions légales pour qu’il y ait autorité de la chose jugée, étant exigée une identité totale entre l’objet et la cause d’une action définitivement jugée et de ceux d’une action ultérieurement exercée entre les mêmes parties. L’hypothèse concerne un litige A.M.I., où l’organisme assureur entend revenir sur les conclusions d’un jugement définitif qui n’a pas interdit le cumul entre une indemnité A.M.I. et la réparation d’une maladie professionnelle.

Les faits

M. M. est atteint d’une pathologie lombaire, celle-ci ayant été reconnue comme maladie professionnelle (code 1.605.03), pour laquelle il perçoit un taux d’incapacité permanente de 50%, suite à une procédure en aggravation. Il s’agit de 25% d’incapacité physique, de 15% de facteurs socio-économiques et de 10% de rente d’écartement.

Depuis mai 2011, il a été pris en charge dans le secteur A.M.I., étant reconnu incapable de travailler conformément aux critères de l’article 100 de la loi coordonnée du 14 juillet 1994, cet état d’incapacité étant atteint indépendamment de la maladie professionnelle. Il a ainsi été décidé la non-application des règles A.M.I. en matière de cumul.

Une nouvelle demande de révision a été introduite auprès de FEDRIS le 1er août 2013 et, suite à deux décisions de la cour du travail, un taux global d’incapacité de 65% a été admis, ceci à dater du 4 juin 2013. L’incapacité physique et les facteurs socio-économiques ont été majorés (la première de 5% et les seconds de 10%).

Dans le secteur A.M.I., la reconnaissance en incapacité de travail a été prolongée. L’organisme assureur a notifié à l’intéressé, le 1er mars 2019, qu’il y a lieu de faire application de l’article 136, § 2, de la loi, son médecin-conseil ayant estimé que l’une des rentes (étant celle accordée dans le secteur des maladies professionnelles) était liée à l’incapacité de travail. Il est porté à la connaissance de l’intéressé que le service indemnités procédera dès lors à la déduction du montant de la rente de l’indemnité journalière. Aucune récupération n’intervient pour le passé.

FEDRIS effectue en conséquence un paiement à la mutuelle d’une somme de l’ordre de 16.600 euros.

Une procédure est engagée par M. M., contestant la décision prise. Il obtient gain de cause par jugement du 18 novembre 2019, le tribunal considérant que la mutuelle ne justifiait ni même n’expliquait sa décision par rapport aux conclusions du rapport d’expertise déposé dans le cadre du litige antérieur.

Ce jugement est devenu définitif.

Assez rapidement, soit en dates des 27 novembre et 31 décembre 2019, l’U.N.M.S. prend deux nouvelles décisions. La première se fonde sur la position du médecin-conseil et considère que, celui-ci maintenant sa décision d’application partielle de la rente sur les incapacités de maladie, au-delà de 34% la rente est toujours imputable, « et cela dans tous les cas ». La seconde décision maintient cette position et confirme l’imputation sur les indemnités d’incapacité de la rente octroyée depuis le 1er septembre 2018, étant la date à laquelle elle a été évaluée à 65%.

L’U.N.M.S. se fonde sur un arrêt de la Cour du travail de Mons du 11 février 2016 (C. trav. Mons, 11 février 2016, R.G. 2015/AM/78).

Le tribunal du travail ayant rejeté le recours, appel a été interjeté, M. M. sollicitant devant la cour l’annulation des décisions litigieuses, au motif qu’il n’y a pas lieu d’appliquer l’article 136, § 2, de la loi.

Position des parties devant la cour

M. M. se réfère en premier lieu au jugement rendu dans le cadre de la procédure précédente, en contestation de la décision antérieure de l’U.N.M.S. Il fait valoir que ce jugement est définitif, l’U.N.M.S. n’ayant pas interjeté appel, et que l’ordre public ne peut être utilisé comme argument pour remettre en cause une décision qui a l’autorité de la chose jugée. Sur le fond, il estime que deux dommages différents existent et que sa pathologie lombaire ne couvre pas le dommage réparé en A.M.I., qui est une pathologie au niveau cervical. Enfin, il fait valoir que l’U.N.M.S. fait une interprétation erronée de l’article 132, § 2, qui fonde l’interdiction de cumul sur le dommage réparé et non sur le taux de l’indemnisation.

Quant à l’U.N.M.S., celle-ci conteste d’abord l’autorité de la chose jugée, plaidant que le principe de l‘interdiction de cumul n’a pas été débattu, que la matière est d’ordre public et que le cas de l’intéressé est évolutif. Elle souligne également que la demande relative aux sommes reçues de FEDRIS est une nouvelle demande qui n’a pas encore fait l’objet d’un débat au fond et que ceci implique nécessairement d’examiner l’incapacité dont l’intéressé est atteint et, dans le cadre de cet examen, d’envisager également l’interdiction de cumul. Quant à cette dernière question, elle expose que la rente perçue en maladie professionnelle depuis le 1er septembre 2018 est de 65% et que l’incapacité de travail couverte en A.M.I. reprend nécessairement des séquelles déjà couvertes par celle-ci. Elle considère également qu’elle a indemnisé pleinement l’intéressé pour la période du 4 juin 2013 au 28 février 2019 et qu’elle est en droit de conserver les indemnités dues par FEDRIS.

La décision de la cour

La cour aborde la question de l’autorité de la chose jugée, reprenant une importante doctrine ainsi que la jurisprudence de la Cour de cassation.

Elle conclut en substance qu’en cas d’identité totale entre l’objet et la cause d’une action définitivement jugée et de ceux d’une autre action ultérieurement exercée entre les mêmes parties, tout ayant déjà été tranché, le second juge n’a plus rien à examiner. Il peut rejeter sans examen la demande formée pour la seconde fois, c’est-à-dire qu’il la déclare irrecevable. En revanche, en cas d’identité partielle, la demande n’est pas en soi irrecevable mais, si l’on admet l’autorité positive de la chose jugée, le juge doit tenir pour acquis les faits et qualifications précédemment retenus par le premier juge, ce qui pourra conduire, le cas échéant, au rejet de la nouvelle demande (renvoyant ici à la doctrine de J. HERON et Th. LE BARS, Droit judiciaire privé, 2e éd., Paris, Montchrestien, 2002, p. 259, n° 258).

En l’espèce, les parties au procès sont les mêmes et elles agissent dans la même qualité. La cause de la demande est identique, les faits ayant donné lieu au jugement du 18 novembre 2019 n’étant pas distincts de ceux invoqués dans la procédure actuelle.

Enfin, pour ce qui est de l’objet de la prétention, à savoir la chose demandée, ou encore le résultat social ou économique recherché, la coïncidence est partielle. M. M. a demandé, dans les deux procédures, qu’il soit dit pour droit que l’article 136, § 2, ne trouve pas à s’appliquer et, dans la procédure actuelle, que l’U.N.M.S. n’est pas subrogée dans ses droits vis-à-vis de FEDRIS, demande dont la cour considère qu’elle n’est que la conséquence de l’application ou non de l’article 136, § 2. En conséquence, il y a autorité de chose jugée.

La cour estime encore que les deux décisions litigieuses sont des décisions confirmatives de la décision antérieure du 1er mars 2019, l’U.N.M.S. indiquant adopter celles-ci sur la base d’un arrêt de la Cour du travail de Mons, c’est-à-dire qu’elle utilise un moyen nouveau mais que, pour le principe, c’est bien cette question qui forme l’objet du litige dans le cadre des deux procédures. Enfin, le caractère d’ordre public d’un nouveau moyen ne permet pas qu’il soit à nouveau statué sur un litige à propos duquel une décision définitive a été rendue.

Le jugement est dès lors réformé, l’U.N.M.S. n’étant dès lors pas fondée à percevoir de FEDRIS la somme qui lui a été versée.

Intérêt de la décision

Cet arrêt reprend de manière approfondie la question de l’autorité de la chose jugée d’une décision judiciaire. Ce point est particulièrement important en sécurité sociale, des décisions successives pouvant être prises – comme en l’espèce – par une institution de sécurité sociale quant à l’octroi, au refus ou la suppression d’une prestation.

La cour a constaté en l’espèce la coïncidence des éléments requis afin que soit admise l’identité totale entre l’objet et la cause des deux actions. Si l’objet de l’action nouvelle a été formellement modifié dans son libellé, la cour a retenu à juste titre que ceci n’affectait pas l’objet fondamental des deux procédures.

Elle n’a dès lors pas examiné les arguments de fond de la mutuelle, qui renvoyait à un arrêt de la Cour du travail de Mons du 11 février 2016 sur la question (R.G. 2015/AM/78). La question y était posée en cas de cumul d’indemnités d’incapacité de travail en A.M.I. et l’indemnisation d’un accident sur le chemin du travail, l’incapacité découlant de cet accident étant de 38% (ce qui ne permettait plus la reconnaissance d’une incapacité en A.M.I. de plus de 66%). La cour a conclu que la réponse quant à la possibilité de cumul était négative, à supposer même que les affections qui ont justifié la prise en charge en A.M.I. soient différentes de celles indemnisées en assurance-loi. Selon la cour, une indemnité d’invalidité n’est due par la mutuelle dans le cadre de l’assurance indemnités que si le travailleur est atteint d’une incapacité de plus de 66%. Pour être couvert par l’assurance indemnités, il faut donc présenter une incapacité qui se situe entre 66% et 100%. Tant cette indemnité que l’indemnisation accordée en accident du travail couvrent un dommage qui consiste en la perte ou la réduction de la capacité d’acquérir, par son travail, des revenus pouvant contribuer aux besoins alimentaires (la cour renvoyant à Cass., 18 mai 1992, n° 7.812, ainsi qu’aux conclusions du Procureur général H. LENAERTS).

Pour la cour du travail, qui s’appuie sur la doctrine de Ph. GOSSERIES (Ph. GOSSERIES, « Difficultés d’interprétation et d’application de la règle d’interdiction de cumul de la réparation du même dommage par la législation sur l’assurance obligatoire contre la maladie et l’invalidité et une autre législation nationale ou étrangère – Analyse comparée des législations de l’A.M.I., des accidents du travail, des maladies professionnelles et du droit commun », J.T.T., 2000, p. 267, n° 64), si l’incapacité de travail résultant de l’accident du travail est déjà au moins égale à 35%, l’incapacité qui découle d’autres causes que cet accident ne peut plus, à elle seule, atteindre 66%.

La conclusion de la cour a été de ne pas permettre l’octroi d’indemnités A.M.I. eu égard aux 38% d’indemnisation en accident du travail.


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