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Contrat de travail international : loi applicable

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Verviers), 18 mai 2022, R.G. 19/387/A

Mis en ligne le mardi 7 février 2023


Tribunal du travail de Liège (division Verviers), 18 mai 2022, R.G. 19/387/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 18 mai 2022, le Tribunal du travail de Liège (division Verviers), après s’être considéré dans une décision précédente compétent pour connaître d’un litige concernant un contrat de chauffeur international (Belgique/Luxembourg), détermine la loi applicable à celui-ci, concluant en l’espèce à la loi luxembourgeoise.

Rétroactes

Le Tribunal du travail de Liège (division Verviers) a rendu un premier jugement en cette affaire le 20 janvier 2021 (précédemment commenté). Dans celui-ci, il a conclu à sa compétence pour connaître d’une demande de sommes réclamées suite à la rupture d’un contrat de travail signé par un chauffeur international pour le compte d’une importante société de transport ayant son siège au Grand-Duché de Luxembourg.

Les faits

Les faits ont été présentés dans le commentaire fait suite au jugement du 20 janvier 2021. En résumé, il peut être rappelé que les parties ont signé un contrat de travail à durée indéterminée, le lieu de signature étant, selon la mention reprise au contrat, le Luxembourg (le chauffeur, domicilié dans la Région liégeoise, soutenait pour sa part que le contrat avait été signé à Battice).

Référence était faite dans ce contrat au droit luxembourgeois. Une proposition de rupture fut faite alors que l’intéressé allait atteindre l’âge légal de la pension (décembre 2018), proposition qui fut déclinée.

Un litige survint entre les parties, dans lequel l’employeur contesta la compétence des juridictions belges, en faveur des tribunaux luxembourgeois. Il se fondait sur le Règlement UE n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matières civile et commerciale (« Règlement Bruxelles Ibis »).

Le jugement du 18 mai 2022

Après un rappel des antécédents ainsi que de l’objet de la demande (indemnité de rupture et heures supplémentaires), le tribunal constate que les parties s’accordent sur l’application au contrat de travail de la Convention de Rome de 1980 et du Règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil sur la loi applicable aux obligations contractuelles du 17 juin 2008 (Rome I).

Le tribunal relève cependant que celui-ci ne vaut que pour les contrats conclus à partir du 17 décembre 2009, alors que celui liant les parties date de 2007. Il constate également qu’un choix a été fait dans le contrat de travail, étant l’application du droit luxembourgeois. Celui-ci vaut pour les conditions médicales de l’embauche, les congés payés, la période d’essai, la fin du contrat et les congés de maladie.

Ce choix n’a pas été contesté par l’O.N.S.S., qui est intervenu à la demande du travailleur, l’Office constatant, dans un courrier du 10 mai 2021, que rien n’indique que le choix fait aurait pour conséquence de priver le travailleur de la protection assurée par le droit qui lui serait applicable si aucun choix n’avait été effectué. D’où le fait que l’application du droit du travail luxembourgeois ne fut pas contestée, la volonté des parties n’étant pas remise en cause. Le tribunal rappelle en effet que le choix des parties ne peut porter préjudice à l’application des dispositions impératives de la loi qui serait applicable à défaut de choix (article 6 de la Convention de Rome). Le critère à retenir pour le droit applicable en vertu de cette règle implique de déterminer le pays où le travailleur accomplit habituellement son travail.

Le tribunal reprend très longuement l’enseignement de la Cour de Justice dans son arrêt KOELZSCH (C.J.U.E., 15 mars 2011, Aff. n° C-29/10 (KOELZSCH c/ ETAT DU GRAND-DUCHE DE Luxembourg, EU:C:2011:151), décision qui a énoncé les principes, étant que ce critère doit être interprété de manière autonome, dans le sens que le contenu et la portée de cette règle de renvoi ne peuvent pas être déterminés sur la base du droit du juge saisi, mais doivent être établis selon des critères uniformes et autonomes pour assurer à la Convention de Rome sa pleine efficacité dans la perspective des objectifs qu’elle poursuit. Dans cet arrêt KOELZSCH, la Cour de Justice fait un renvoi à une ancienne jurisprudence (arrêt du 13 juillet 1993, Aff. n° 125/92, MULOX IBC Ltd c/ GEELS, EU:C:1993:306).

La Cour de Justice a également précisé dans son arrêt KOELZSCH qu’une telle interprétation ne doit pas faire abstraction de celle donnée aux critères prévus à l’article 5, point 1, de la Convention de Bruxelles lorsqu’ils fixent les règles de détermination de la compétence juridictionnelle pour les mêmes matières et reprennent des notions similaires. Elle renvoie également au préambule de la Convention de Rome, qui indique que celle-ci poursuit, dans le domaine du droit international privé, l’œuvre d’unification juridique amorcée par l’adoption de la Convention de Bruxelles.

Le tribunal poursuit par le rappel des principes repris dans l’arrêt KOELZSCH à propos de l’article 6, étant que celui-ci a été conçu pour donner une réglementation plus appropriée dans des matières où les intérêts d’un des co-contractants ne sont pas sur le même plan que ceux de l’autre, et ce afin d’assurer une protection adéquate à la partie qui est à considérer, d’un point de vue socio-économique, comme la plus faible dans la relation contractuelle. Cette disposition concerne les contrats individuels de travail et la Cour rappelle qu’il y a lieu, pour l’application de cette disposition, de tenir dûment compte du souci d’assurer une protection adéquate au travailleur en tant que partie contractante la plus faible.

Il faut dès lors appliquer la loi de l’Etat dans lequel celui-ci exerce ses activités professionnelles plutôt que celle de l’Etat du siège de l’employeur. C’est là où il exerce ses activités professionnelles que le travailleur remplit sa fonction économique et sociale et c’est là que l’environnement professionnel et politique influence l’activité de travail. Le respect des règles de protection du travail prévues par le droit de ce pays doit, dans la mesure du possible, être garanti. Aussi faut-il réserver au critère du pays où le travailleur « accomplit habituellement son travail » une interprétation large.

L’arrêt KOELZSCH a également précisé, s’agissant du secteur du transport international, qu’il faut tenir compte de l’ensemble des éléments qui caractérisent l’activité du travailleur : Etat où est situé le lieu à partir duquel il effectue ses missions de transport, reçoit les instructions pour celles-ci et organise son travail, ainsi que lieu où se trouvent ses outils de travail. Il y a également lieu de vérifier les lieux où le transport est principalement effectué, les lieux de déchargement de la marchandise ainsi que l’endroit où le travailleur rentre après ses missions.

La conclusion de la Cour dans l’arrêt KOELZSCH est que, dans l’hypothèse où le travailleur exerce ses activités dans plus d’un Etat contractant, le pays dans lequel il accomplit habituellement son travail est celui où – ou à partir duquel –, compte tenu de l’ensemble des éléments qui caractérisent ladite activité, il s’acquitte de l’essentiel de ses obligations à l’égard de l’employeur.

Après le rappel de l’arrêt KOELZSCH, vient l’enseignement de l’arrêt VOOGSGEERD (C.J.U.E., 15 décembre 2011, Aff. C-384/10 (VOOGSGEERD c/ NAVIMER, EU:C:2011:842), rendu dans le cadre du secteur maritime. La Cour y a rappelé que la juridiction saisie doit tenir compte de l’ensemble des éléments qui caractérisent l’activité du travailleur et, notamment, établir dans quel Etat est situé le lieu à partir duquel il effectue ses missions de transport, reçoit les instructions sur celles-ci et organise son travail, ainsi que le lieu où se trouvent ses outils de travail, ceci étant expressément les critères déjà dégagés dans l’arrêt KOELZSCH.

S’il ressort de ces constatations que le lieu est toujours le même, celui-ci doit être considéré comme étant celui où il accomplit habituellement son travail au sens de l’article 6, § 2, sous a), de la Convention. La Cour confirme que cette disposition doit dès lors être interprétée en ce sens que le juge national doit tout d’abord établir si le travailleur accomplit habituellement son travail dans un même pays, qui est celui dans lequel – ou à partir duquel –, compte tenu de l’ensemble des éléments qui caractérisent l’activité en cause, il s’acquitte de l’essentiel de ses obligations à l’égard de son employeur.

Le tribunal poursuit par un dernier renvoi à la jurisprudence de la Cour de Justice, étant son arrêt SCHLECKER (C.J.U.E., 12 septembre 2013, Aff. n° C-64/12, SCHLECKER c/ BOEDEKER, EU:C:2013:551), où elle a précisé que, parmi les critères significatifs de rattachement, il faut prendre notamment en compte le pays où le salarié s’acquitte des impôts et des taxes afférents au revenu de son activité ainsi que celui dans lequel il est affilié à la sécurité sociale et aux divers régimes de retraite ainsi que d’assurance maladie-invalidité. En outre, le juge national doit tenir compte de l’ensemble des circonstances de l’affaire, la Cour citant notamment les paramètres liés à la fixation du salaire et des autres conditions de travail.

En l’espèce, appliquant ces principes, le tribunal constate que le travailleur relève des régimes d’assurance maladie-invalidité et de retraite luxembourgeois, qu’il paie ses impôts au Luxembourg et qu’en cas d’incapacité de travail, il devait aviser non seulement la société à son siège social au Luxembourg, mais également la caisse nationale de santé luxembourgeoise.

D’autres éléments sont également retenus, étant que les fiches de salaire sont émises depuis le Luxembourg, le salaire lui-même ainsi que les conditions de travail ayant été fixés en application de la loi luxembourgeoise, ce qui n’a pas été contesté par le travailleur pendant son occupation (de longue durée). Enfin, le tribunal retient que c’était également au Luxembourg que se trouvait la ligne hiérarchique dont il recevait les instructions et à laquelle il devait rendre des comptes.

Pour le tribunal, la loi applicable est dès lors la loi luxembourgeoise, qui aurait d’ailleurs été celle à retenir à défaut de choix des parties, et il statue dès lors en application de celle-ci.

Intérêt de la décision

Cette espèce a, comme exposé ci-dessus, fait l’objet de deux jugements, le premier portant sur la compétence des juridictions belges et le second sur la loi applicable.

Relevons, sur le premier point, que le tribunal a eu à interpréter la Convention de Bruxelles, remplacée par le Règlement n° 44/2001 du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matières civile et commerciale (dit « Règlement Bruxelles I »), règlement entré en vigueur le 1er mars 2002, lui-même étant remplacé par le Règlement n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 (dit « Règlement Bruxelles Ibis »), qui n’apporte que peu de modifications.

Dans son premier jugement, le tribunal avait renvoyé à l’arrêt de la Cour de Justice NOGUEIRA et alii (C.J.U.E., 14 septembre 2017, Aff. n° C-168/16 et C-169/16, NOGUEIRA e.a. c/ CREWLINK IRELAND LTD et MORENO OSACAR c/ RYANAIR DESIGNATED ACTIVITY COMPANY, EU:C:2017:688), ainsi qu’à d’autres affaires plus anciennes, les arrêts SCHLECKER et KOELZSCH étant déjà repris, ainsi que VOOGSGEERD.

Le tribunal s’était déclaré compétent pour connaître du litige, mais avait réservé à statuer sur la recevabilité de la demande, les parties n’ayant pas conclu sur la clause d’attribution de for du contrat de travail ni sur la loi applicable.

Le jugement du 18 mai 2022 poursuit l’examen de la cause par le renvoi aux mêmes principes, s’agissant de déterminer, pour la loi applicable, les critères de la Cour de Justice. L’on notera que le premier critère retenu est celui de la sécurité sociale (assurance maladie-invalidité et retraite), de même que le critère fiscal.

Viennent ensuite des éléments relatifs au salaire et aux conditions de travail, s’agissant du lieu où sont émises les fiches de paie, et du mode de détermination du salaire et des conditions de travail – éléments non contestés par le travailleur pendant la durée de son occupation.


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