Terralaboris asbl

Preuve du motif grave : validité des éléments de preuve recueillis par Cd-Rom et par caméra de surveillance

Commentaire de Trib. trav. Liège, 6 mars 2007, R.G. 358.225

Mis en ligne le jeudi 27 mars 2008


Tribunal du travail de Liège, 6 mars 2007, R.G. N° 358.225

TERRA LABORIS ASBL – Sandra CALA

Dans un jugement du 6 mars 2007, le tribunal du travail de Liège a fait un très intéressant rappel des principes et a conclu à l’existence d’un abus de droit dans l’exercice du pouvoir de rupture, en cas de recours à un moyen de preuve illicite.

Les faits

Une vendeuse est accusée, sur plainte de son employeur, de vol dans la caisse et d’abus de confiance, ceci sur la base notamment d’une bande vidéo. Cette audition est consécutive à une rupture, intervenue le même jour, sur le champ, pour le motif grave ci-dessus. L’information pénale fera l’objet d’un classement sans suite. L’employée va alors citer son ex-employeur devant le tribunal du travail, demandant, notamment, en sus d’arriérés de sommes, une indemnité compensatoire de préavis, une indemnité pour licenciement abusif et une dernière indemnité pour frais de défense.

Examen des chefs de demande par le tribunal

Le tribunal va longuement se pencher sur l’existence du motif grave, ainsi que – et surtout – sur la légalité d’un moyen de preuve (Cd Rom) ainsi que sur un procédé de surveillance par caméra.

Pour apprécier l’existence et la preuve du motif grave, le tribunal va en effet devoir examiner en premier lieu la légalité des moyens de preuve déposés par l’employeur, étant le CD de vidéo surveillance déposé. Il va constater que, celui-ci ayant été obtenu en violation de la CCT n° 68, il y a lieu de l’écarter en tant que moyen de preuve du motif grave. Le tribunal considère, en effet, que si l’employeur a un droit de surveillance sur l’exécution du travail, le travailleur a droit au respect de la vie privée et que l’apparition des nouvelles technologies de communication a augmenté le nombre d’hypothèses où il peut y avoir conflit entre l’exercice de ces deux droits.

Reprenant la philosophie et les termes de la convention collective de travail n° 68 du 16 juin 1998 conclue au sein du CNT, relative à la protection de la vie privée des travailleurs à l’égard de la surveillance par caméras sur le lieu du travail, le tribunal constate qu’en l’espèce la mise en place par l’employeur d’une caméra fixe a été effectuée dans un espace ouvert aux clients et dirigée sur la caisse enregistreuse et ses alentours immédiats : installation réalisée dans l’irrespect total des dispositions de la CCT n° 68. La société ne conteste pas en outre qu’aucune information n’a été donnée aux travailleurs et ne soutient pas davantage avoir respecté les règles de procédure (et celles de finalité et de proportionnalité) prévues à la convention collective, préalablement à l’installation de la caméra.

S’il y a violation de la CCT, le tribunal relève cependant qu’il n’existe pas de sanction spécifique dans ce texte à l’encontre de l’employeur en défaut.

Revenant à l’argumentation de la demanderesse, qui soutient qu’aucun caractère probant ne peut être attaché au CD de vidéosurveillance, puisqu’il contient des images irrégulièrement obtenues, le tribunal est amené à examiner l’arrêt de la Cour de cassation du 2 mars 2005 (Cass., 2 mars 2005, RG P041644/F), qui avait été rendu, sur cette question mais en matière pénale, ce que le tribunal souligne. La Cour suprême y avait considéré que, aucune sanction (nullité) n’étant prévue par la loi, c’est au juge qu’il appartient d’apprécier les conséquences, sur la recevabilité des moyens de preuve produits aux débats, de l’irrégularité qui a entaché leur obtention. Le juge d’appel avait donc pu décider que l’absence d’informations préalables à la surveillance de l’outil utilisé par l’employeur ne pouvait entraîner l’obligation pour lui d’écarter des débats les constatations opérées grâce à cette surveillance.

Le tribunal reprend ensuite les conclusions du Ministère public, qui avait longuement examiné les contours du problème au regard de la Convention Européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales (art. 6, concernant le procès équitable et art. 8, relatif au respect de la vue privée et familiale). Il ressortait, pour l’avocat général, d’un précédent arrêt de la Cour de cassation du 27 février 2001 (R.G. P/990706/N) que le droit au respect de la vie privée consacré par l’article 8 de la convention n’est pas un droit absolu. Si la convention collective n° 68 a, par ailleurs, pour objectif de garantir le respect de la vie privée des travailleurs dans l’entreprise et la protection de leur dignité, le Ministère Public relève que ce droit n’a pas été institué pour couvrir des infractions et que, à son sens, la violation éventuelle de la vie privée du travailleur ainsi que le non respect des règles de la convention collective ne doivent pas entraîner l’exclusion du moyen de preuve.

Après avoir rappelé ceci et s’être encore attaché à reprendre l’enseignement de la Cour de cassation dans son arrêt du 27 février 2001, le tribunal du travail poursuit qu’il s’agit d’arrêts rendus en matière pénale et non en matière civile et que les règles de preuve devant le juge civil (admissibilité et administration en justice) sont distinctes.

Sur l’appréciation du problème postérieurement à l’arrêt de la Cour de cassation du 2 mars 2005, le tribunal rappelle un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 15 juin 2006 (R.G. 48484), qui a considéré que la comparaison effectuée dans l’arrêt de la Cour de cassation entre la gravité de l’infraction commise lors de la collecte de la preuve et/ou de l’information litigieuse et la gravité de l’infraction illicitement constatée n’est en aucune manière pertinente en droit civil, où le débat ne porte nullement sur la constatation d’une infraction. La Cour du travail avait retenu que, dans le cas qui lui était soumis, les « aveux » de la travailleuse avaient indubitablement été obtenus à raison de la constatation initiale des faits au moyen de caméras illicitement placées.

Le tribunal suit cette jurisprudence de la Cour du travail de Bruxelles et considère que le CD de vidéosurveillance déposé, obtenu en violation de la CCT n° 68, doit être écarté en tant que moyen de preuve du motif grave, puisque les images enregistrées ont été obtenues de manière illicite et au mépris total du principe de loyauté dans l’exécution du contrat de travail et de loyauté dans les moyens de preuve recherchés par l’employeur. Il en découle que les aveux extrajudiciaires qui auraient été contenus dans une déclaration de police, aveux obtenus dans la foulée, doivent également être écartés.

Le tribunal admet, toutefois, que le motif grave peut être démontré par d’autres moyens de preuve, obtenus légalement et loyalement.

Ainsi, le tribunal finira par admettre que le licenciement pour motif grave était justifié et que, par conséquent, la demande relative à l’indemnité compensatoire de préavis ne pouvait aboutir.

Il se trouvait cependant également saisi d’une demande de dommages et intérêts au titre de licenciement abusif. Sur cette question, dans l’appréciation des faits, il reprend les principes généraux de l’abus de droit : l’employeur doit adopter, lors du licenciement, le comportement d’un homme prudent et diligent et, s’il a des motifs réels de licencier, il doit s’abstenir d’entourer le licenciement de circonstances inutilement dommageables pour le travailleur. Un manquement à ces règles est un abus de droit, une faute et, si le travailleur subit par cette faute un dommage distinct de celui réparé par l’indemnité de préavis, il peut en réclamer la réparation.

En l’espèce, la travailleuse apporte la preuve d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité, dans la mesure où des images ont été obtenues de manière illicite et au mépris total du principe de loyauté dans l’exécution du contrat de travail et de loyauté dans les moyens de preuve recherchés par l’employeur. Le procédé mis en œuvre par la société constitue, pour le tribunal, une faute par rapport aux règles prévues par celle-ci, ainsi qu’une faute au sens de l’article 1382 du Code civil : il s’agit d’un comportement que n’aurait pas eu un bon père de famille et ce comportement est de nature à porter atteinte à la vie privée de la travailleuse.

En ce qui concerne le préjudice, le tribunal retient que celle-ci démontre avoir subi un dommage du fait de ce comportement fautif réalisé au cours du processus qui a abouti à son licenciement pour motif grave. Il y a dommage particulier subi à la suite de cette faute, à savoir une atteinte à sa vie privée. Ce dommage sera évalué à 1.500 euros forfaitaires.

Intérêt de la décision

Celui-ci découle d’une part de la réaffirmation du pouvoir d’appréciation du juge civil sur la jurisprudence de la Cour de cassation visée, rendue en matière pénale, ainsi que sur la sanction judiciaire du non respect des obligations de la convention collective de travail n° 68. Il faut également relever que la sanction du non respect des obligations contenues dans la convention collective est appréciée indépendamment de l’existence ou non du motif grave – lui-même établi par ailleurs -.


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