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Accident du travail : exigence d’un contrat de travail

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 21 avril 2022, R.G. 2020/AB/511

Mis en ligne le mardi 7 février 2023


Cour du travail de Bruxelles, 21 avril 2022, R.G. 2020/AB/511

Terra Laboris

Dans un arrêt du 21 avril 2022, la Cour du travail de Bruxelles rappelle, à l’occasion de l’accident mortel d’un jeune prestant dans une ferme de soins, après l’expiration de la convention ad hoc, qu’il y a lieu de prouver que les conditions d’existence d’un contrat de travail sont remplies afin de pouvoir retenir l’application de la loi du 10 avril 1971.

Les faits

Une convention est conclue en septembre 2015 entre M. H., propriétaire d’une ferme de soins, et un élève de l’enseignement spécial secondaire flamand (BUSO), couvrant l’année scolaire 2015-2016 (fin le 27 mai 2016), convention destinée à remplacer l’obligation de fréquentation scolaire. Celle-ci est prolongée par une courte période de stage. Après la fin de l’année scolaire elle-même, il est décidé de continuer la collaboration, dans l’attente de l’obtention d’un travail dans le circuit protégé. Les relations se poursuivent sous la forme de « trajet soins verts », via le GTB (Gespecialiseerd Team Bemiddeling) et le VDAB. Le jeune stagiaire est victime d’un accident mortel le 11 juillet 2016, alors qu’il était occupé à tondre une pelouse avec un tracteur, se noyant dans un étang.

L’ONSS considérant que le jeune-homme était engagé dans les liens d’un contrat de travail pour étudiant pendant cette courte période (4 et 11 juillet 2016), notifie une déclaration de prestation et de salaire.

FEDRIS, estimant également M. H. avait agi comme employeur et n’avait pas d’assurance accident du travail, procède à son affiliation d’office, conformément à l’article 50 de la loi du 10 avril 1971. Elle lui réclame un montant de l’ordre de 2.500 euros, en application des articles 58, § 1er, 3°, et 60 de la loi. Les paiements interviennent sous réserve et une procédure est introduite devant le Tribunal du travail de Louvain.

La décision du tribunal

Le Tribunal du travail de Louvain considére, par jugement du 22 juin 2020, qu’il y a accident du travail et que les montants réclamés sont justifiés.

Appel est interjeté par M. H.

La procédure concerne, comme en première instance, FEDRIS, le père du jeune homme décédé et l’ONSS.

La décision de la cour

Sur le plan des faits, la cour note que M. H. devait savoir qu’à partir de la première semaine de juin, un terme définitif avait été mis à la convention conclue et au stage qui lui avait succédé.

Elle renvoie à l’arrêté du Gouvernement flamand portant octroi de subsides à des agriculteurs et horticulteurs pour la diversification vers des activités de ferme de soins du 20 décembre 2013, qui prévoit que, tant que la convention de ferme de soins n’a pas été signée par l’agriculteur ou l’horticulteur et la structure, les dispositions y reprises ne sont pas juridiquement contraignantes et qu’aucun subventionnement ne peut être accordé pour celle-ci. Cette convention est résiliable à tout moment par l’agriculteur ou l’horticulteur ou la structure. La présence du demandeur d’aide à la ferme de soins est toujours autorisée par le demandeur de soins ou son représentant légal et ne peut pas être imposée sur la base de la convention de ferme de soins. Si la structure ou l’agriculteur (ou l’horticulteur) résilie la convention par anticipation, la partie qui la résilie doit en informer immédiatement l’autre partie et l’Agence. Enfin, si, après la durée de la convention de ferme de soins, la structure et l’agriculteur (ou l’horticulteur) souhaitent poursuivre leur collaboration, une nouvelle convention de ferme de soins sera conclue.

La cour constate qu’aucune convention nouvelle n’a été signée, de telle sorte qu’aucune convention de ferme de soins ne pouvait exister au moment de l’accident, et ce d’autant que le jeune avait terminé son enseignement secondaire au 30 juin. Par ailleurs, l’intention avait été, dans l’attente d’un emploi adapté, de poursuivre la collaboration sous la forme d’un « trajet soins verts », mais, si un projet de convention à cet égard avait été prévu, il n’a pas abouti. Conformément à l’article 12 de l’arrêté ci-dessus, il n’a pas de valeur juridique contraignante, n’étant signé ni par la structure ni par l’agriculteur.

La cour entreprend dès lors de vérifier la nature du lien contractuel entre les parties, en l’absence d’écrit. L’ayant-droit et l’ONSS ayant conclu à l’existence d’un contrat de travail pour étudiant, la cour rappelle qu’on entend par étudiant celui (ou celle) qui poursuit des études dans l’enseignement supérieur, moyen, professionnel, technique ou artistique, renvoyant à M. DAUPHIN (M. DAUPHIN, Studentenarbeid, Wolters-Kluwer, Mechelen, 2006, p. 11). Or, en l’espèce, le jeune avait terminé ses études et était dans l’attente, via l’ASBL GTB et le VDAB, d’un emploi adapté. Il n’avait dès lors plus la qualité d’étudiant.

M. H. contestant l’existence d’un contrat de travail, la cour rappelle les composantes de celui-ci, étant la prestation de travail, la perception d’une rémunération et l’existence d’un lien de subordination sous l’autorité de l’employeur.

Les prestations en cause consistent dans le fait que, pendant deux jours, le jeune a effectué des activités déterminées (tonte de la pelouse, entretien du jardin, nettoyage des écuries, etc.). Pour la cour, il ressort des éléments de fait qu’une convention verbale valable est intervenue, par laquelle le jeune marquait accord pour effectuer divers travaux dans l’exploitation de M. H. Des prestations ont dès lors été effectuées dans le cadre d’une convention verbale.

Il n’y avait pas de rémunération prévue, M. H. ne s’étant pas engagé au paiement de celle-ci, non plus que d’avantages en nature. L’absence de fixation d’une rémunération pour un travail fourni suffit à exclure l’existence d’un contrat de travail (renvoyant ici à Cass., 25 octobre 2004, n° S.98.0158.F).

En conséquence, la loi du 10 avril 1971 ne doit pas trouver à s’appliquer, M. H. n’ayant pas la qualité d’employeur.

La cour conclut également que c’est à tort que FEDRIS a fait application des articles 50 et 58 de la loi sur les accidents du travail. Elle annule les décisions prises à cet égard. C’est dès lors vers l’ayant-droit que FEDRIS – qui a payé les frais de transfert de la victime et des funérailles – doit se tourner.

La cour rappelle encore que, dans une telle hypothèse, les intérêts ne sont dus qu’à partir de la mise en demeure (renvoyant à Cass., 12 novembre 2012, n° S.11.0015.N). En l’occurrence, aucune mise en demeure n’ayant été envoyée, les intérêts courront à partir de la citation en intervention forcée.

Intérêt de la décision

La cour rappelle, à l’occasion de cette dramatique affaire, l’exigence d’un contrat de travail pour l’application de la loi du 10 avril 1971.

Celle-ci est également l’occasion de découvrir – ou d’approfondir – la mesure adoptée par le Gouvernement flamand dans son arrêté du 20 décembre 2013, s’agissant d’accorder des subventions à des agriculteurs ou horticulteurs qui, en collaboration avec une structure, proposent des activités de ferme de soins dans leur entreprise, conformément aux dispositions fixées par le décret du 28 juin 2013 relatif à la politique agricole et de la pêche. Il s’agit de subventions accordées par période d’heures de travail (20 euros pour trois heures consécutives en journée, avec un maximum de 40 euros).

La réglementation prévoit, sur le plan des assurances, une obligation pendant toute la durée de la convention de ferme de soins d’une assurance de la responsabilité civile en cas de dommage à des tiers occasionné par le demandeur d’aide dans le cadre de l’exercice des activités de ferme de soins dans l’entreprise. Cette police d’assurance doit mentionner explicitement l’exercice d’activités de ferme de soins.

Dans l’espèce tranchée, la durée de la convention avait expiré, et il s’agit de déterminer la nature de la relation contractuelle entre l’ex-demandeur et l’agriculteur. D’où le renvoi à la condition fondamentale d’existence d’un contrat de travail, ce contrat ne pouvant en l’espèce bénéficier de la présomption de l’article 121 de la loi du 3 juillet 1978. Rappelons qu’en vertu de celui-ci, nonobstant toute stipulation expresse, le contrat conclu entre un employeur et un étudiant, quelle qu’en soit la dénomination, est réputé contrat de travail jusqu’à preuve du contraire.


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