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Standstill et suppression d’un type d’aide à l’emploi

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Liège), 22 février 2022, R.G. 20/2.601/A et 20/2.904/A

Mis en ligne le mardi 7 février 2023


Tribunal du travail de Liège (division Liège), 22 février 2022, R.G. 20/2.601/A et 20/2.904/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 22 février 2022, le Tribunal du travail de Liège (division Liège) interroge la Cour constitutionnelle à propos de la suppression en Région wallonne du complément de reprise du travail pour le chômeur âgé de cinquante-cinq ans, suppression intervenue par le décret du 2 février 2017.

Les faits

Une assurée sociale, bénéficiaire d’allocations de chômage, demande en 2012 un complément de reprise du travail ordinaire. Celui-ci lui est accordé. En février 2020, elle sollicite un renouvellement de ce complément, qui lui est de nouveau octroyé, jusqu’au 30 juin. Une nouvelle demande interviendra pour la période ultérieure mais fera l’objet d’un refus.

Une décision administrative intervient le 14 janvier 2021, exposant les motifs de ce refus. Selon l’ONEm, le décret de la Région wallonne du 2 février 2017 relatif aux aides à l’emploi à destination des groupes-cibles a abrogé le régime relatif au complément de reprise du travail à partir du 1er juillet 2017. L’article 129bis de l’arrêté royal organique s’est ainsi trouvé abrogé par le décret.

Un recours est introduit devant le Tribunal du travail de Liège.

La décision du tribunal

Le tribunal reprend les articles 129bis et 129ter, applicables au moment des faits. Ceux-ci régissent les conditions d’octroi du complément de reprise du travail, qui est une indemnité accordée complémentairement au salaire du chômeur âgé qui a repris le travail comme salarié ou qui s’installe comme indépendant à titre principal. Ce complément peut être accordé pour toute la reprise du travail ou être limité dans le temps.

Le chômeur doit avoir, au dernier jour du mois de la reprise du travail, atteint l’âge de cinquante-cinq ans, ne pas être considéré comme travailleur ayant charge de famille au sens de l’article 110, § 1er, alinéa 1er, 5° ou 6°, justifier de vingt ans de passé professionnel, ne pas bénéficier d’un complément d’entreprise octroyé dans le cadre de ce régime ou d’une allocation complémentaire dans le cadre de l’arrêté royal du 19 septembre 1980 (travailleurs frontaliers âgés licenciés ou mis en chômage complet) et ne pas avoir refusé ce régime ou renoncé au complément d’entreprise (les conditions pour en bénéficier étant remplies).

Le tribunal reprend le montant de ce complément, qui est de 150 euros par mois calendrier, et il rappelle la procédure aux fins de percevoir celui-ci. Il précise également que le travailleur ne doit pas avoir, pour le mois concerné, perçu d’allocations comme chômeur complet ni d’allocations dans le cadre d’une interruption de carrière ou d’un crédit-temps, ou encore d’allocations comme chômeur complet dans le cadre de l’assurance maladie-invalidité, qu’il ne peut avoir demandé l’allocation de garantie de revenus et qu’il ne peut avoir été, dans la période de six mois qui précède la reprise du travail, au service du même employeur ou du groupe auquel cet employeur appartient, sauf si, pendant cette occupation, il satisfaisait déjà aux conditions pour pouvoir bénéficier de ce complément.

Après ce rappel, le tribunal en vient au décret de la Région wallonne du 2 février 2017 relatif aux aides à l’emploi à destination des groupes-cibles, décret intervenu suite à la régionalisation des aides à l’emploi.

De nouvelles catégories ont été retenues, étant les demandeurs d’emploi de moins de vingt-cinq ans peu ou moyennement qualifiés, les demandeurs d’emploi de longue durée et les travailleurs âgés de cinquante-cinq ans et plus. Pour ces derniers, a été mis en place un régime de réduction trimestrielle des cotisations sociales patronales (secteur privé marchand) et les anciennes aides à l’emploi ont été supprimées. L’article 129bis de l’arrêté royal a dès lors été abrogé.

Le législateur a prévu des mesures transitoires, étant notamment que, si l’occupation a débuté avant le 1er juillet 2017, le travailleur pouvait bénéficier du complément pendant une certaine durée, le bénéfice de celui-ci étant cependant supprimé à partir du 1er juillet 2020.

Se pose, pour le tribunal, la question du respect de l’article 23 de la Constitution, qui contient l’obligation de standstill. Cette obligation s’oppose à ce que le législateur et l’autorité réglementaire compétents réduisent sensiblement le niveau de protection offert par la norme applicable sans qu’existent pour ce faire de motifs liés à l’intérêt général.

Il rappelle le mode d’analyse de la conformité d’une norme nouvelle à ce principe, étant qu’il faut vérifier le motif d’intérêt général qui a présidé à la régression constatée et montrer en quoi celle-ci est in casu appropriée, nécessaire et proportionnée (au sens strict) à l’objectif légitime identifié.

Le tribunal reprend ici la doctrine (F. LAMBINET, « Mise en œuvre du principe de standstill dans le droit de l’assurance chômage : quelques observations en marge de l’arrêt de la Cour de cassation du 5 mars 2018 », www.terralaboris.be, p. 9). Il y a, dans l’examen du respect du principe de standstill, une répartition de la charge de la preuve, le requérant devant démontrer un amoindrissement du niveau de protection préalablement reconnu à un droit fondamental et l’autorité normative devant prouver la légitimité et la proportionnalité de la disposition (significativement) régressive épinglée.

Le tribunal reprend l’avis de l’auditeur du travail, qui, à l’instar de la partie demanderesse, l’invite à poser une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle, étant de savoir si, en supprimant les compléments de reprise du travail, le législateur wallon n’a pas violé l’obligation de standstill, étant entendu que la demanderesse en a été privée à partir du 1er juillet 2020.

La Cour constitutionnelle étant habilitée, sur question préjudicielle, à décider si un décret est contraire à l’article 23 de la Constitution, le tribunal conclut qu’il doit l’interroger. Il pose dès lors la question de savoir si les articles 28 et 36 du décret du 2 février 2017 violent l’article 23, alinéa 3, 2°, de la Constitution et/ou les articles 10 et 11 de la Constitution, ces dispositions étant lues ou non en combinaison les unes avec les autres et, éventuellement, avec l’article 2.1 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, l’article 12.1 de la Charte sociale européenne et l’article 1er du Premier protocole additionnel à la C.E.D.H., en ce qu’il supprime pour la Région wallonne le complément de reprise du travail à partir du 1er juillet 2020.

Intérêt de la décision

La question posée à la Cour constitutionnelle (figurant également dans un autre jugement du même tribunal du 21 février 2022 – R.G. 20/1.203/A) ne manque pas d’intérêt, le législateur décrétal ayant, après une période de trois ans, supprimé purement et simplement l’avantage en cause.

Les mesures provisoires prévues par le décret ont permis aux chômeurs de continuer à bénéficier du complément jusqu’à la fin de l’occupation ou de l’établissement en cours si le complément était à durée indéterminée mais, dans tous les cas, au plus tard au 30 juin 2020 ou jusqu’à la date de fin normale si le complément était à durée déterminée, mais également avec une limite, étant celle de la durée de l’occupation ou de l’établissement en cours.

Le système mis en place par le décret du 2 février 2017 supprime l’avantage octroyé directement aux chômeurs, étant le complément financier perçu, et a remplacé ce type d’aide par une réduction trimestrielle des cotisations sociales patronales. Aucune compensation autre n’est dès lors intervenue pour le travailleur lui-même.

La réponse de la Cour constitutionnelle est attendue avec grand intérêt.


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