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Avances sur GRAPA : détermination du montant

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 24 janvier 2022, R.G. 2020/AL/550

Mis en ligne le mardi 7 février 2023


Cour du travail de Liège (division Liège), 24 janvier 2022, R.G. 2020/AL/550

Terra Laboris

Dans un arrêt du 24 janvier 2022, la Cour du travail de Liège (division Liège) rappelle qu’en vertu de la loi du 22 mars 2001 et de son arrêté royal d’exécution du 23 mai 2001, il faut distinguer le paiement de la GRAPA de celui des avances, celles-ci pouvant être versées dans l’attente du calcul du montant définitif mais ne devant pas être réduites eu égard à des ressources dont le bénéficiaire viendrait à disposer ultérieurement mais qui ne sont pas encore dans son patrimoine.

Les faits

Une assurée sociale, née en 1951, était admissible à la pension à dater du 1er août 2016. En janvier de la même année, le Service fédéral des Pensions a procédé au calcul de sa pension et a examiné d’office son droit à la garantie de revenus aux personnes âgées. Interrogée sur ses ressources, l’intéressée a indiqué que, ses parents étant décédés en 2012 et 2013, un litige opposait depuis le décès les cinq enfants du couple, dont elle-même, en ce qui concerne le patrimoine. Elle a indiqué être propriétaire pour un-cinquième de la maison familiale et ne pas posséder de capitaux mobiliers.

Le litige persistant, l’intéressée a continué à répondre aux questions du SFP en ce qui concerne les revenus qu’elle percevrait de l’héritage. Une avance sur GRAPA lui a été octroyée à partir du 1er août, dans l’attente de la déclaration de succession définitive. Parmi les ressources retenues, le SFP a tenu compte du prix de vente de l’immeuble des parents (102.000 euros), ce montant étant neutralisé par l’application de l’immunisation légale propre à la vente de la seule maison d’habitation. Il a également tenu compte d’un capital mobilier de l’ordre de 50.000 euros. C’est donc, outre la pension de retraite, uniquement la part putative dans les capitaux appartenant aux parents, et non la part dans l’immeuble, qui a été retenue pour calculer la GRAPA.

Des procédures judiciaires étant introduites (notamment à l’initiative de l’intéressée), le règlement de la succession s’est enlisé. En novembre 2017, le SFP a notifié qu’il avait réexaminé son droit à une GRAPA (qui n’est pas une pension mais une aide sociale) et qu’il n’y avait pas eu de modification permettant une révision.

Une procédure a alors été initiée devant le Tribunal du travail du Liège (division Liège), la demanderesse sollicitant que la révision intervienne sans tenir compte d’un héritage dont elle ne disposait pas encore et que le paiement de la GRAPA soit calculé en conséquence.

La décision du tribunal

Le tribunal a rendu un jugement le 10 novembre 2020. Il a constaté que les fonds étaient bloqués depuis 2016, que l’intéressée n’en bénéficiait pas et que, vu les contestations en cours, le montant qu’elle percevrait était inconnu. Afin qu’elle puisse mener une vie conforme à la dignité humaine, le recours a été jugé très largement fondé, le SFP étant condamné à payer la GRAPA à partir du 1er août 2016, sans tenir compte de la succession de la mère tant que la demanderesse n’avait pas été envoyée en sa possession effective.

Le SFP a interjeté appel. Entre-temps, le litige successoral s’est poursuivi. Le SFP a exécuté le jugement du tribunal du travail et l’intéressée a perçu des arriérés d’un montant approchant 15.000 euros (avec pécule de vacances).

Position des parties devant la cour

Le SFP conteste la recevabilité ratione temporis du recours initial, sur pied de l’article 23 de la Charte de l’assuré social. Sur le fond, il considère que le seul fait qu’un bénéficiaire de GRAPA soit propriétaire de biens ou de valeurs suffit pour que ceux-ci soient pris en considération, sans qu’il soit nécessaire qu’ils soient immédiatement disponibles. Il renvoie par analogie à un arrêt de la Cour de cassation du 18 juin 2018 et sollicite de rétablir les décisions administratives avec condamnation de l’intimée à restituer le montant versé dans le cadre de l’exécution provisoire.

Quant à l’intéressée, elle sollicite la confirmation du jugement et forme un appel incident, dans la mesure où le jugement n’a pas acté ses réserves concernant une demande de dommages et intérêts.

La décision de la cour

La cour se prononce sur la recevabilité du recours initial. Elle rappelle qu’en vertu de l’article 23 de la Charte de l’assuré social, sans préjudice d’un délai plus favorable résultant de législations spécifiques, les recours contre des décisions prises par les institutions de sécurité sociale en matière d’octroi, de paiement ou de récupération de prestations doivent, à peine de déchéance, être introduits dans les trois mois de leur notification ou de la prise de connaissance de la décision par l’assuré social en cas d’absence de notification. Le recours ayant été introduit plus de trois mois après l’une des décisions rendues, la cour précise que ceci n’est pas un motif d’irrecevabilité, le recours ayant été introduit dans le délai légal par rapport à une autre décision, et que la question de la recevabilité est dès lors sans pertinence car la décision visée ne pourrait amener à élargir la période litigieuse.

Sur le fond, elle reprend la loi du 22 mars 2001 instituant la garantie de revenus aux personnes âgées. Celle-ci pose le principe en son article 7 que toutes les ressources et pensions doivent être prises en considération pour le calcul de la garantie de revenus (sauf exceptions légales).

En l’espèce, le produit de la vente a été immunisé par un abattement spécifique, de telle sorte que la cour considère ne pas devoir s’attacher à l’examen des dispositions légales relatives à la prise en compte des immeubles, seule étant litigieuse celle du patrimoine mobilier. L’arrêté royal du 23 mai 2001 portant réglementation générale en la matière règle la question des capitaux mobiliers (placés ou non), étant qu’est portée en compte une somme égale à 4% de la tranche entre 6.200 et 18.600 euros et 10% des montants supérieurs à celle-ci. C’est ce calcul qui a été fait par le SFP.

La cour rappelle ensuite que l’arrêté royal du 23 mai 2001 permet l’octroi d’avances (article 11) lorsqu’il apparaît qu’une décision définitive ne peut encore être prise. En l’espèce, ce qu’il faut vérifier c’est si l’intéressée dispose (la cour souligne) des ressources visées à l’article 7 de la loi dès lors qu’elle est héritière mais non encore en possession de sa part. Dans les faits, le SFP lui a fait savoir que l’examen de son droit à la GRAPA ne pouvait être clôturé parce que l’administration attendait la déclaration de succession définitive. Ce qui est versé est dès lors une avance.

La cour rappelle, outre le caractère d’aide sociale de la GRAPA, l’arrêt de la Cour de cassation du 10 janvier 2000 (Cass., 10 janvier 2000, n° S.99.0044) rendu en matière d’aide sociale délivrée par les C.P.A.S., qui a jugé que le droit à celle-ci n’est pas subordonné aux erreurs, à l’ignorance, à la négligence ou à la faute de celui qui demande de l’aide (sauf fraude).

Ayant constaté que le non-règlement de la procédure en matière de liquidation de la succession est lié à de nombreux recours interjetés par l’intéressée, la cour souligne, suite à cette décision de la Cour suprême, qu’il est essentiel d’octroyer des avances, même lorsque le dossier n’est pas encore en mesure d’être totalement instruit, fût-ce pour des motifs imputables au demandeur de GRAPA.

Les opérations sont en cours depuis près de huit ans ; en attendant, la somme à laquelle l’intéressée pourrait prétendre, qui n’est pas encore déterminée avec précision, est bloquée et celle-ci ne touche même pas les intérêts. Retenir au titre de ressources pour le calcul des avances des sommes dont l’assuré social ne dispose pas effectivement revient à le mettre dans l’impossibilité de mener une vie conforme à la dignité humaine, c’est-à-dire, selon les propres termes de la cour, à « enrayer ce qui est précisément la raison d’être des avances ».

Si, lorsque la succession sera clôturée, il appartiendra au SFP de tenir compte de la part d’héritage de l’intéressée, une telle prise en compte n’a pas lieu d’être au stade des avances, à un moment où celle-ci ne dispose pas de ces revenus. Lors du calcul de la GRAPA définitive, l’indu sera à rembourser et la cour souligne qu’il appartient à l’administration de vérifier dans quelle mesure des mécanismes de subrogation auprès du notaire qui détient les fonds pourront le cas échéant fluidifier la récupération de l’indu.

Le jugement entrepris est dès lors confirmé, sous l’émendation qu’il n’y a pas lieu de tenir compte de l’héritage pour le calcul des avances, mais bien pour le règlement définitif de la GRAPA.

Intérêt de la décision

L’article 7 de la loi du 22 mars 2001 impose de prendre en considération, pour le calcul de la garantie de revenus, toutes les ressources et pensions, de quelque nature qu’elles soient, dont dispose le demandeur ou le conjoint ou cohabitant légal avec lequel il partage la même résidence principale. N’est pas en cause, dans cette espèce, la question du produit de la vente d’un immeuble, mais celle de la perception effective de ressources mobilières.

La cour a souligné que la difficulté principale du dossier consiste à déterminer si l’intéressée dispose de ressources au sens de l’article 7 ci-dessus. Il s’agit de disposer effectivement des ressources à prendre en compte et la seule qualité de créancier ou d’héritier ne suffit pas. La cour a rappelé que, même si l’intéressée était en quelque sorte responsable du retard pris par la liquidation de la succession (vu l’intentement de multiples recours, les changements de notaire, etc.), la Cour de cassation a posé le principe que le droit à l’aide sociale n’est pas subordonné aux erreurs, à l’ignorance, à la négligence ou à la faute de celui qui demande de l’aide.

La cour a également fait la distinction entre les avances sur GRAPA, qui peuvent être versées en application de l’article 11 de l’arrêté royal du 23 mai 2001, et le montant de la GRAPA auquel la personne a droit. Les avances se justifient dès lors qu’une décision définitive sur le montant ne peut pas encore être prise.

La cour conclut à juste titre, dans cet arrêt du 24 janvier 2022, que, s’il y a lieu de prendre en compte les revenus mobiliers provenant d’un héritage lorsque ceux-ci pourront entrer dans le patrimoine du bénéficiaire, le montant des avances à verser par le SFP n’est pas tributaire de ce calcul. C’est le montant de la GRAPA lui-même qui doit être payé et, s’il est de nature à engendrer un indu, la cour souligne encore qu’il appartient à l’administration de prendre toutes mesures afin de limiter (ou d’éviter) celui-ci.


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