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Intervention du Fonds de Fermeture : conditions de l’indemnité de transition

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 31 janvier 2022, R.G. 2020/AL/530

Mis en ligne le mardi 7 février 2023


Cour du travail de Liège (division Liège), 31 janvier 2022, R.G. 2020/AL/530

Terra Laboris

Dans un arrêt du 31 janvier 2022, la Cour du travail de Liège (division Liège) examine l’article 42 de la loi du 26 juin 2002 relative aux fermetures d’entreprises qui fixe les conditions du droit à l’indemnité de transition, la cour envisageant l’examen de la conformité de cette disposition à la Constitution.

Les faits

Suite à la faillite de son employeur, un ouvrier du secteur de l’HORECA (garçon de salle) introduit une déclaration de créance auprès du curateur. Celle-ci porte sur des arriérés de rémunération et une indemnité de rupture. Le jugement déclaratif de faillite date du 16 octobre 2017. La demande d’indemnisation contresignée par le curateur est introduite au Fonds de Fermeture le 2 novembre. Trois semaines plus tard, le travailleur est réengagé dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée, toujours pour des fonctions de garçon de salle, et ce par une autre société, qui a son siège social à l’adresse de l’employeur failli. En juillet 2018, le contrat de travail prend fin pour force majeure médicale.

Concomitamment, le Comité de gestion du Fonds de Fermeture décide qu’il y a eu reprise de l’activité de la société faillie par la société pour le compte de laquelle l’intéressé a presté. Une partie des montants réclamés est payée mais un litige survient au motif que celui-ci a perçu du Fonds de Fermeture non une indemnité de rupture mais une indemnité de transition. Celui-ci conteste, faisant notamment valoir que le contrat de travail dans lequel il a été engagé après la faillite était à temps partiel et qu’il s’agissait dès lors d’un contrat « restrictif » justifiant le versement d’une indemnité compensatoire de préavis et non d’une indemnité de transition.

Les parties restant sur leur position, une procédure est introduite par le travailleur devant le Tribunal du travail de Liège (division Liège) en paiement de la différence entre le montant perçu et le montant de l’indemnité de rupture qu’il estime due.

Il a été fait droit à sa demande par jugement du 10 novembre 2020.

Position des parties devant la cour

Le Fonds de Fermeture, débouté en première instance, conteste les conclusions du jugement a quo, considérant que le tribunal a donné à la théorie des contrats restrictifs une interprétation très extensive et que ceci méconnaît le caractère d’ordre public des dispositions légales. Il conclut également sur les indemnités de procédure, dont il estime qu’elles doivent être fixées aux montants réduits et non aux indemnités de droit commun.

L’intimé considère pour sa part que la théorie des contrats restrictifs doit trouver à s’appliquer non seulement lorsqu’un travailleur repris après faillite passe d’un contrat à durée indéterminée à un contrat à durée déterminée, mais également d’un temps plein à un temps partiel, ou encore – comme en l’espèce – d’un temps partiel (32 heures) à un autre temps partiel (22 heures). Il sollicite la confirmation du jugement et l’application du tarif général pour l’indemnité de procédure de première instance ainsi que pour celle d’appel.

La position du ministère public

L’arrêt reprend brièvement la position du ministère public, qui conclut que la théorie des contrats restrictifs ne peut trouver à s’appliquer, son champ d’application étant limité aux hypothèses où le travailleur perd le bénéfice de l’ancienneté acquise auprès de l’employeur failli.

La décision de la cour

La cour procède à l’examen de la législation, s’agissant de la loi du 26 juin 2002 relative aux fermetures d’entreprises. Elle rappelle notamment qu’il incombe au Fonds de Fermeture, en cas de fermeture d’entreprise ou en cas de reprise d’actif non soumise à la section 4 du chapitre concerné de la loi (qui traite de l’indemnité de transition), lorsque l’employeur ne s’acquitte pas de ses obligations pécuniaires envers les travailleurs, de payer tant les rémunérations dues en vertu des conventions individuelles ou collectives de travail que les indemnités et avantages dus en vertu de la loi ou de celles-ci. Lorsqu’il s’agit d’appliquer la section 4, le Fonds de Fermeture a les mêmes obligations pécuniaires envers les travailleurs non repris et il est également tenu, à l’égard des travailleurs qui ont droit à l’indemnité de transition, aux mêmes obligations pécuniaires (rémunération ainsi qu’indemnités et avantages ci-dessus), à l’exception de l’indemnité de rupture.

La cour reprend les dispositions de la section 4, telles qu’applicables en l’espèce, et conclut que l’indemnité de rupture à charge du Fonds de Fermeture (la cour souligne) et l’indemnité de transition sont alternatives et non cumulatives. Le travailleur bénéficiera à charge du Fonds soit de l’une, soit de l’autre, soit encore d’un panachage des deux dans le temps. Il ne percevra jamais les deux pour la même période.

Renvoyant à un arrêt de la Cour de cassation du 17 septembre 1990 (Cass., 17 septembre 1990, n° 7.127), l’arrêt précise que le travailleur va en théorie réclamer l’indemnité de rupture au curateur, la demande d’indemnité de transition ne pouvant être adressée qu’au Fonds de Fermeture. En l’espèce, le curateur n’a pas versé l’indemnité de rupture. Après avoir constaté que l’article 42 de la loi, qui fixe les conditions pour avoir droit à l’indemnité de transition, n’impose pas de seuil minimal en termes de durée, de volume horaire ou de salaire du contrat conclu après la faillite avec l’employeur qui a repris l’actif, la cour se penche sur la convention collective de travail n° 32bis, dont l’article 7 énonce le principe de transfert de plein droit des contrats de travail, l’article 14 garantissant par ailleurs le maintien de l’ancienneté acquise par le travailleur en raison de ses prestations de travail chez l’ancien employeur, de même que la prise en compte de la période éventuelle d’interruption d’activité pendant la période précédant le nouvel engagement.

Pour la cour, il s’en déduit que, dès lors qu’il y a transfert, le travailleur licencié dans le cadre de la faillite et réengagé bénéficiera, s’il est à nouveau licencié, des avantages liés à une ancienneté cumulée, que ce soit pour la durée du préavis ou la hauteur de l’indemnité correspondante.

Elle en vient ensuite à la théorie des contrats restrictifs, les parties ne contestant pas qu’il s’agit d’une reprise d’actif au sens de l’article 12 de la loi du 26 juin 2002 et que la C.C.T. n° 32bis trouve à s’appliquer, le litige concernant la question de savoir si le travailleur a été « réengagé ». Pour la cour, il s’agit de vérifier si n’importe quel contrat de travail conclu après la faillite avec le repreneur permet de considérer que les conditions de l’article 42, 2°, sont remplies, étant que doit avoir été conclu après la faillite un contrat de travail avec l’employeur qui a effectué la reprise de l’actif (i) soit avant que cette reprise d’actif n’ait lieu, (ii) soit au moment de cette reprise d’actif, soit encore (iii) dans un délai supplémentaire de six mois suivant celle-ci. Parmi ces conditions, ne figurent pas le volume horaire non plus que le salaire minimum.

Référence a été faite par le demandeur originaire à un arrêt de la Cour de cassation du 5 mai 1997 (Cass., 5 mai 1997, n° S.96.0086.F). La cour note qu’il y a accord des parties sur le fait que celui-ci est transposable à la loi du 26 juin 2002 et qu’il peut trouver à s’appliquer au litige. Cet arrêt renvoie à l’Exposé des motifs du projet de la loi du 12 avril 1985 (loi chargeant le Fonds d’indemnisation des travailleurs licenciés en cas de fermeture d’entreprises du paiement d’une indemnité de transition). La Cour de cassation a souligné que le législateur n’a exclu du droit à l’indemnité de licenciement et à l’indemnité de rupture prévues par les lois du 28 juin 1966 et du 30 juin 1967 le travailleur qui est admis au bénéfice de l’indemnité de transition que parce qu’il bénéficiait, chez son nouvel employeur, du maintien intégral de son ancienneté de service et avait perçu cette indemnité de transition pendant la période d’interruption du travail.

La Cour de cassation a encore souligné dans cet arrêt que le législateur de 1985 a pu avoir en vue la situation du travailleur engagé dans un contrat à durée indéterminée par son nouvel employeur, qui peut faire valoir vis-à-vis de lui son ancienneté depuis le début. Elle a ensuite rejeté le pourvoi, sur la base de ce qui précède, contre un arrêt ayant admis qu’un travailleur ne pouvait prétendre à l’indemnité de transition parce qu’il avait été repris sous contrat à durée déterminée et que l’exclusion du droit à l’indemnité de rupture à charge du Fonds de Fermeture, prévue par l’article 2, alinéa 4, de la loi du 30 juin 1967, ne lui était dès lors pas applicable.

Pour la cour du travail, cet arrêt permet de considérer que l’article 42, alinéa 1er, 2°, de la loi ne s’applique qu’au travailleur ayant conclu un contrat à durée indéterminée, celui-ci étant le seul susceptible de lui assurer le bénéfice de son ancienneté. Cependant, ceci ne doit pas valoir pour n’importe quel contrat moins favorable, vu que le travailleur se verrait exclu du bénéfice de l’indemnité de transition. Si la C.C.T. n° 32bis garantit le maintien de l’ancienneté, elle n’offre aucune garantie en termes de volume horaire. L’article 42 de la loi du 26 juin 2002 ne fixe quant à lui aucune condition quant au contrat nouvellement conclu et la cour du travail souligne l’audace (sic) de la Cour de cassation, qui, par une interprétation téléologique, a exclu les contrats à durée déterminée.

En l’espèce, il faut constater que l’intéressé a conservé le bénéfice de son ancienneté et que la théorie des contrats restrictifs doit bien être considérée comme inapplicable.

La cour estime cependant devoir poursuivre l’examen de la situation, prenant en compte d’abord la rupture du contrat pour force majeure médicale, qui, vu l’absence d’indemnité de préavis à la rupture du lien contractuel, rend d’autant plus important le bénéfice d’une indemnité de rupture à charge du Fonds de Fermeture, et l’article 42 lui-même, qui est susceptible d’être discriminatoire. En effet, tel qu’interprété par la Cour de cassation, celui-ci peut créer une différence de traitement prohibée entre d’une part les travailleurs qui passent d’un contrat à temps plein à un contrat à temps partiel (pour qui s’applique la théorie des contrats restrictifs et peuvent donc bénéficier de l’indemnité de rupture à charge du Fonds de Fermeture) et d’autre part ceux dont le régime de travail est altéré, que ce soit en termes de volume horaire ou de salaire moindre, sans pouvoir se prévaloir de cette théorie.

La cour ne tranche pas dans cet arrêt du 31 janvier 2002, renvoyant le débat vers les parties, à qui elles demandent de conclure sur l’opportunité d’une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle.

Intérêt de la décision

Affaire à suivre donc, vu les pistes dégagées par la cour du travail quant à la portée de l’article 42, envisagée eu égard à une possible discrimination entre travailleurs.

L’on notera que la cour ne formule pas d’office la question qu’elle envisagerait de poser à la Cour constitutionnelle, laissant aux parties le soin d’envisager celle-ci tant dans son principe que dans son texte.

Sur la question de l’indemnité de transition, à propos de laquelle la jurisprudence n’est pas abondante, l’on peut retenir deux jugements récents, l’un du Tribunal du travail du Hainaut et l’autre du Tribunal du travail du Brabant wallon :

  • Dans un jugement du 13 février 2019 (Trib. trav. Hainaut, div. Mons, 13 février 2019, R.G. 16/1.096/A), le Tribunal du travail du Hainaut a jugé que l’article 12 de la loi du 26 juin 2002 relative aux fermetures d’entreprise subordonne le paiement de l’indemnité de transition à la reprise de l’actif dans un délai de six (ou neuf) mois. Pour qu’il y ait reprise d’actif, il faut et il suffit que l’activité principale de l’entreprise soit poursuivie. Cette poursuite peut s’accompagne d’une reprise d’éléments d’actifs de l’entreprise en faillite mais pas nécessairement. Dans les entreprises où l‘activité repose essentiellement sur le facteur humain, la poursuite de l’activité peut être déduite de l’engagement de ce même personnel appelé à effectuer des prestations identiques auprès du nouvel employeur.
  • Le 15 mars 2018 (Trib. trav. Brabant wallon, div. Nivelles, 15 mars 2018, R.G. 15/1.450/A – précédemment commenté), le Tribunal du travail du Brabant wallon a rappelé le lien entre la loi du 26 juin 2002 et la C.C.T. n° 32bis. La condition d’occupation d’un an du travailleur repris (transfert avec reprise d’actif), posée par le Fonds, qui devrait permettre au travailleur de prouver qu’il est toujours dans les liens d’un contrat à durée déterminée ou à temps partiel, condition qui – si elle est respectée – autoriserait le Fonds à payer l’indemnité de préavis en lieu et place de l’indemnité de transition, est une pratique administrative qui n’est pas acceptable. Il faut mettre en parallèle les dispositions de la loi du 26 juin 2002 sur les fermetures d’entreprise et la CCT 32bis : le travailleur ne sera considéré comme repris au sens de la loi du 26 juin 2002 que si les articles 41 et 42 ainsi que 14 de la CCT 32bis sont respectés.

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