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Mise à disposition d’un logement et espaces partagés : rémunération ?

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 17 mai 2022, R.G. 2021/AL/201

Mis en ligne le mardi 21 février 2023


Cour du travail de Liège (division Liège), 17 mai 2022, R.G. 2021/AL/201

Terra Laboris

Par arrêt du 17 mai 2022, la Cour du travail de Liège (division Liège) rappelle qu’en présence d’un contrat de bail signé avec un travailleur – contrat dont l’effectivité n’est pas déniée –, le partage avec le représentant de l’employeur d’une partie de l’habitation n’est pas nécessairement lié au contrat de travail.

Les faits

L’O.N.S.S. poursuit la condamnation d’une société à payer des cotisations suite à une rectification d’office. Celle-ci est fondée sur l’article 22 de la loi du 27 juin 1969 concernant la sécurité sociale des travailleurs et fait suite au rapport d’une visite de contrôle faite à la demande de l’auditeur du travail. La décision conclut à l’assujettissement d’un avantage en nature accordé à une travailleuse, étant le logement sis à la même adresse que le siège social de l’entreprise (HORECA) qui l’occupe. La société exploite plusieurs restaurants et a nommé deux gérants. L’un loue avec son épouse un rez-de-chaussée commercial à la société dans l’immeuble où le restaurant est exploité. La société a par ailleurs engagé une ouvrière en qualité de commis de cuisine, ainsi que son fils, avec la même fonction. Un contrat de bail a été signé avec la mère, contrat à usage d’habitation privée. Le contrat de travail liant la société et la mère a été rompu d’un commun accord en juin 2019 et le logement a continué à être occupé. C’est alors qu’une enquête a été réalisée à la demande de l’auditorat du travail afin de vérifier si les avantages en nature (logement et/ou nourriture) sont déclarés à l’O.N.S.S. L’enquête porte sur quatre travailleurs, dont les deux intéressés.

Dans le cours de l’enquête, l’audition de l’employeur révèle que le loyer n’est pas déduit du salaire. Par ailleurs, un autre travailleur (qui ne prestait que le week-end) a occupé également cet appartement précédemment. C’est suite à la régularisation de la situation concernant celui-ci qu’un nouveau contrôle est intervenu, donnant lieu au présent litige.

Suite à la décision d’assujettissement, la société a introduit un recours devant le tribunal du travail. L’O.N.S.S. a été débouté de ses demandes. Il interjette appel.

La décision de la cour

La cour rappelle longuement les faits, tels que résultant des mentions du rapport d’inspection. Elle reproduit également les déclarations des divers intervenants dans les procès-verbaux d’audition. Elle souligne que les remarques formulées par les inspecteurs permettent de constater qu’ils suspectent du travail au noir au regard des prestations à temps partiel conclues officiellement, ainsi notamment que des faibles revenus déclarés pour les deux commis.

Sur le plan du droit, la cour reprend l’article 14 de la loi du 27 juin 1969, dont le § 1er contient la notion de rémunération, étant le renvoi à l’article 2 de la loi du 12 avril 1965 concernant la protection de la rémunération des travailleurs. Font partie de la rémunération les avantages évaluables en argent auxquels le travailleur a droit à charge de l’employeur en raison de son engagement. La rémunération en nature fait cependant l’objet d’une réglementation stricte, à l’article 6 de la loi, qui en précise les limites et modalités de paiement, l’article 20 contenant l’évaluation en euros pour ce qui ne concerne pas les avantages en nature évalués à leur valeur courante. Sont ainsi tarifés la nourriture, le logement et les repas.

La loi contient des dispositions spécifiques sur le plan pénal, l’article 31 disposant que les infractions sont constatées et sanctionnées conformément au Code pénal social. Plus précisément, les pouvoirs des inspecteurs sociaux sont visés aux articles 23 à 39 de celui-ci lorsqu’ils agissent d’initiative ou sur demande dans le cadre de leur mission d’information, de conseil et de surveillance.

La tenue des auditions est précisée à l’article 62 du même Code, son article 63 prévoyant la remise d’une copie du texte à la personne entendue.

En l’espèce, des difficultés sont invoquées quant à la régularité des procès-verbaux d’audition, dans la mesure où le gérant entendu ne s’exprimait en français qu’avec une grande difficulté et que ceci a engendré de nombreuses imprécisions et erreurs. La cour refuse d’écarter son audition, au motif que l’enquête ne repose pas que sur celle-ci et que c’était la dernière mesure d’enquête réalisée pour conforter d’un point de vue pratique l’analyse du service juridique de l’O.N.S.S.

La cour en vient ainsi à la question de l’avantage en nature, étant la mise à disposition gratuite de deux pièces par l’employeur versus l’occupation d’un logement sous le couvert d’un contrat de bail distinct du contrat de travail. Les deux ouvriers louaient en effet des chambres mais partageaient la cuisine et le salon privé de l’immeuble avec le gérant et son épouse. Pour la cour, à partir du moment où la validité du bail n’est pas contestée, il ne peut être soutenu que l’utilisation commune de pièces privées est liée au contrat de travail. Le contrat de bail ne porte en effet pas sur la salle de bain et le WC, non plus que sur la cuisine et le salon. La mise à disposition intervenue doit dès lors être considérée comme accordée non par le gérant en cette qualité mais bien en tant que propriétaire et bailleur.

L’O.N.S.S. soutenant par ailleurs qu’il faut tenir compte d’une mise à disposition directe ou indirecte (par le biais d’une personne physique, qui est aussi gérant de l’employeur) et se fondant pour ce sur la doctrine (C. BROUCKE et M. GRATIA, « Les avantages rémunératoires maintenus en cas de suspension ou après la fin du contrat de travail », Ors., 2018/8, pp. 2 et s., et plus spécifiquement p. 13 à propos de la détermination de la valeur de l’avantage imposable), la cour écarte cet argument, revenant à la réalité des faits. Le loyer étant effectivement payé et n’étant pas inférieur à la valeur locative d’une telle partie d’immeuble, il s’agit en l’espèce de modalités d’occupation d’un logement de résidence principale qui a fait l’objet d’un bail conclu avec une personne physique distincte de l’employeur et non d’un avantage à charge de celui-ci en raison de l’engagement du travailleur.

Le jugement est dès lors confirmé.

Intérêt de la décision

La cour tranche dans cet arrêt le caractère rémunératoire ou non d’un avantage dont bénéficient les deux travailleurs dans le cadre d’un contrat de bail valable et distinct du contrat de travail. Elle s’est appuyée sur le caractère effectif de la location ainsi que de la correcte évaluation du loyer payé par les travailleurs. Rien ne permettant de mettre en cause le bail lui-même, il appartient à l’O.N.S.S. d’établir que la mise à disposition des pièces « utilitaires » est liée au contrat de travail, étant un accessoire de celui-ci. Cette preuve n’est pas rapportée en l’espèce.

La cour a également abordé, avec la doctrine invoquée par l’O.N.S.S., la question de la mise à disposition directe ou indirecte. L’O.N.S.S. visait en l’espèce la circonstance que celle-ci était intervenue par le biais de la personne physique qui était également gérant de l’employeur. Cette particularité n’a pas été suffisante pour faire le lien avec le contrat de travail, vu l’effectivité et la validité du contrat de bail.


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