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Fonds de Fermeture : contrats restrictifs (suite)

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 12 septembre 2022, R.G. 2020/AL/530

Mis en ligne le vendredi 24 février 2023


Cour du travail de Liège (division Liège), 12 septembre 2022, R.G. 2020/AL/530

Terra Laboris

Dans un arrêt du 12 septembre 2022, la Cour du travail de Liège (division Liège) tranche la question posée dans un arrêt du 31 janvier 2022, à propos de la théorie des « contrats restrictifs », posant la question du droit à une indemnité de rupture ou à une indemnité de transition.

Rétroactes

La Cour du travail de Liège a rendu un arrêt le 31 janvier 2022 (précédemment commenté) relatif aux « contrats restrictifs ». Elle concluait sa décision en ordonnant une réouverture des débats.

Pour rappel, la théorie des contrats restrictifs est issue notamment d’un arrêt de la Cour de cassation du 5 mai 1997 (Cass., 5 mai 1997, n° S.96.0086.F).

En l’espèce tranchée ce 12 septembre 2022, un travailleur avait, après la faillite de son employeur (pour laquelle il avait demandé l’intervention du Fonds de Fermeture pour des arriérés de rémunération et une indemnité de rupture), été réengagé dans un régime de travail moins élevé, passant d’un temps partiel de trente-deux heures par semaine à un temps plus réduit, de vingt-deux heures. Pour la cour du travail, ceci ne permettait pas de considérer qu’il n’avait pas été réengagé par le repreneur au sens de l’article 41 de la loi du 26 juin 2002 relative aux fermetures d’entreprises. En conséquence, toujours en application de cette disposition, il n’avait pas droit à une indemnité de rupture mais à une indemnité de transition. L’intéressé avait, par ailleurs, vu son second contrat rompu pour force majeure médicale et n’avait à ce moment bénéficié ni d’un préavis ni du paiement d’une indemnité de rupture dans laquelle il aurait conservé son ancienneté.

La cour avait dès lors estimé devoir interroger les parties sur l’opportunité d’interroger la Cour constitutionnelle sur l’article 42 de la même loi, vu une possible violation par celui-ci du principe constitutionnel d’égalité, étant la différence de traitement créée d’une part entre les travailleurs qui passent d’un contrat à temps plein à un contrat à temps partiel (et qui peuvent se prévaloir de la théorie des contrats restrictifs et, ainsi, bénéficier d’une indemnité de rupture) et les travailleurs qui voient leur régime de travail altéré (soit vu la modification du régime horaire, soit vu la réduction du salaire) sans pouvoir se prévaloir de cette théorie.

La cour a ordonné la réouverture des débats. Ceux-ci ont été repris à l’audience du 9 mai 2022, à l’issue de laquelle M. l’Auditeur général près la Cour du travail de Liège a déposé un avis complémentaire. Il examine, dans celui-ci, d’une part l’incidence de la rupture pour force majeure médicale et, de l’autre, la pertinence de poser une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle.

Sur le premier point, il confirme la position donnée dans un avis antérieur, selon laquelle il faut considérer que le travailleur a été « réengagé » par le repreneur et remplit dès lors la condition visée à l’article 42, alinéa 1er, 2°, de la loi du 26 juin 2002, eu égard à la circonstance que ce contrat permet de continuer à bénéficier de l’ancienneté antérieure. Le droit à l’indemnité de transition est dès lors confirmé. M. l’Avocat général considère que la force majeure médicale n’a pas d’incidence, la portée de l’article 42, alinéa 1er, 2°, visant le contrat conclu entre le travailleur et le repreneur, les circonstances ultérieures étant indifférentes.

Pour ce qui est de l’opportunité d’interroger la Cour constitutionnelle, il souligne que la différence de traitement porte sur l’existence de deux catégories de travailleurs se trouvant dans une situation comparable, étant d’une part ceux dont le CDI est rompu en raison de la faillite et qui concluent avec le repreneur un CDD avec des conditions de travail différentes et, de l’autre, ceux dont le CDI est également rompu en raison de la faillite et qui concluent avec le repreneur un CDI avec des conditions différentes. Pour M. l’Avocat général, cette différence de traitement préjudiciable au travailleur repose sur un critère objectif, étant le réengagement du travailleur par le repreneur dans le cadre d’un CDI ou d’un CDD.

Il rappelle, avec la Cour de cassation, que l’Exposé des motifs de la loi du 12 avril 1985 (Doc. parl. Sénat, 1983-1984, n° 697/1) a considéré que le législateur n’a voulu exclure du droit à l’indemnité de rupture à charge du Fonds de Fermeture que le travailleur engagé par CDI par le repreneur dans la mesure où il pourra faire valoir à l’égard de celui-ci pour le calcul de son préavis l’ancienneté acquise chez l’employeur failli. Celui engagé par le repreneur sous CDD a donc droit à l’indemnité de rupture à charge du Fonds.

Il s’est agi de trouver un équilibre entre l’instauration d’une indemnité de transition (qui reste à charge de la collectivité) et une indemnité de rupture à charge du Fonds. Il conclut que, dans ce contexte, le législateur a pu raisonnablement exclure le travailleur repris sous CDI du droit à une indemnité de rupture à charge du Fonds de Fermeture, même s’il est repris sous des conditions de travail moins avantageuses.

Il souligne également, dans un examen approfondi, d’autres mesures dont il faut tenir compte pour apprécier si celle en cause est raisonnablement justifiée, comparant les avantages et inconvénients de la reprise sous CDD avec des conditions de travail identiques ou différentes, ainsi que sous CDI.

Cet examen confirme le caractère objectivement raisonnable et justifié de la différence de traitement, l’avis se clôturant par le constat de l’absence de violation des articles 10 et 11 de la Constitution.

L’arrêt de la cour du 12 septembre 2022

La cour reprend la discussion.

Elle constate que les parties ont interprété différemment la question soulevée dans l’arrêt du 31 janvier 2022. Elle se rallie à la position du Fonds de Fermeture et du Ministère public, qui avaient interprété celle-ci comme visant le passage de travailleurs d’un contrat à durée indéterminée à un contrat à durée déterminée et qu’en conséquence, compte tenu de la jurisprudence de la Cour de cassation, ceux-ci peuvent se prévaloir de la théorie des contrats restrictifs, ce que ne peuvent pas faire les travailleurs qui passent d’un contrat à durée indéterminée à un autre contrat indéterminée mais voient leur régime de travail altéré.

La cour rétablit dès lors les termes de la question, concluant, vu la reformulation, qu’elle ne doit pas être posée, n’étant pas indispensable pour rendre sa décision. Elle clôture le litige en constatant que le travailleur n’a pas droit à l’indemnité de rupture.

Le jugement est dès lors réformé.

Intérêt de la décision

L’arrêt de la Cour de cassation du 5 mai 1997 est au cœur de ce débat. Le pourvoi se fondait sur une violation de diverses dispositions de la loi du 12 avril 1985 chargeant le Fonds d’indemnisation des travailleurs licenciés en cas de fermeture d’entreprises du paiement d’une indemnité de transition, ainsi que de la C.C.T. n° 32bis, notamment. La Cour avait rappelé que l’article 14, alinéa 1er, de la C.C.T. n° 32bis prévoit que l’ancienneté acquise par le travailleur en raison de ses prestations de travail chez l’ancien employeur, de même que la période éventuelle d’interruption d’activité du travailleur précédant son nouvel engagement, à la suite de la faillite ou du concordat, sont prises en considération pour la détermination du délai ou de l’indemnité de préavis.

Selon les travaux préparatoires de la loi du 12 avril 1985, le législateur n’a ainsi exclu du droit à l’indemnité de licenciement et à l’indemnité de rupture le travailleur admis au bénéfice de l’indemnité de transition que parce qu’en vertu de la convention collective, il bénéficiait chez son nouvel employeur du maintien intégral de son ancienneté de service et avait perçu l’indemnité de transition pendant la période d’interruption du travail.

Pour la Cour de cassation, le législateur n’a pu avoir en vue que la situation du travailleur qui, engagé par contrat à durée indéterminée par son nouvel employeur, peut faire valoir à l’égard de celui-ci pour le calcul du préavis ou de l’indemnité de rupture l’ancienneté acquise chez son employeur précédent. Elle a conclu qu’en considérant que le défendeur (le travailleur) ne peut prétendre à l’indemnité de transition parce qu’il a été repris sous contrat à durée déterminée et que l’exclusion du droit à l’indemnité de rupture à charge du Fonds ne lui est pas applicable, l’arrêt de fond justifie légalement sa décision. La Cour avait ainsi consacré une règle prétorienne.


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