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Non-respect des mesures de publicité en cas de temps partiel : effets de la présomption de prestation à temps plein

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 15 septembre 2022, R.G. 2021/AB/317

Mis en ligne le vendredi 28 avril 2023


Cour du travail de Bruxelles, 15 septembre 2022, R.G. 2021/AB/317

Terra Laboris

Dans un arrêt du 15 septembre 2022, la Cour du travail de Bruxelles rappelle la jurisprudence de la Cour de cassation lorsque la présomption de temps plein est activée en cas de non-respect des dispositions en matière de temps partiel : l’employeur a la charge de la preuve contraire et l’objet de celle-ci est d’établir l’impossibilité pour le travailleur d’avoir pu prester à temps plein.

Les faits

Un contrôle de plusieurs inspections sociales fut effectué dans un centre commercial à Gand en octobre 2018. A l’occasion de celui-ci, il fut constaté qu’un travailleur était occupé, selon lui à temps partiel, mais qu’il ne fut pas en mesure de produire son contrat de travail sur le lieu du contrôle. Une enquête fut dès lors poursuivie en ce qui concerne ce travailleur, occupé en qualité de nettoyeur.

Son employeur, interrogé, fit état d’un régime de travail à temps partiel et fixe (24,25 heures par semaine).

Un Pro Justitia fut dressé, constatant une infraction à l’article 157 de la loi-programme du 22 décembre 1989. En conséquence, l’O.N.S.S. décida de procéder à la régularisation des cotisations, conformément à l’article 22ter, alinéa 2, de la loi du 27 juin 1969, et ce pour la période non prescrite, étant d’un an (octobre 2017 – octobre 2018).

La société fut ainsi mise en demeure de payer un montant de l’ordre de 6.000 euros de cotisations et accessoires. Celle-ci effectua le paiement sous réserve et introduisit une procédure devant le Tribunal du travail néerlandophone de Bruxelles.

Celui-ci rejeta la demande par jugement du 19 mars 2021.

La société interjeta appel.

Position des parties devant la cour

La société ne conteste pas que le travailleur était occupé et qu’il n’a pas pu produire un contrat de travail à temps partiel. La présomption de travail à temps plein est cependant renversée, selon elle. Elle renvoie à l’horaire dans le contrat de travail, aux documents sociaux, aux heures rentrées par le travailleur, à sa déclaration à lui-même, à un courrier qu’elle lui a adressé, à des formulaires de chômage partiel, ainsi encore qu’à une lettre confirmant qu’il suivait des études. Pour la société, ces éléments suffisent à établir qu’il n’y a pas de temps plein. En ordre subsidiaire, elle offre de prouver ce fait par témoins.

Quant à l’O.N.S.S., il considère qu’il y a infraction à l’article 157 de la loi-programme du 22 décembre 1989 et que la présomption de temps plein joue. C’est la société qui a la charge de la preuve et elle échoue à renverser la présomption. L’Office conteste que les documents produits soient de nature à établir l’impossibilité pour le travailleur de prester à temps plein. Il reprend successivement les éléments déposés par l’employeur et en conteste la force probante.

La décision de la cour

La cour fait tout d’abord un rappel en droit, étant l’article 22ter, alinéa 2, de la loi du 27 juin 1969, l’article 157 de la loi-programme du 22 décembre 1989 auquel la disposition précédente renvoie, ainsi que l’article 15 de la loi du 8 avril 1965 repris dans l’article 157 ci-dessus (disposition relative aux règlements de travail).

Pour la cour, il découle de la lecture combinée de ces trois dispositions que le contrat de travail à temps partiel (ou un extrait de celui-ci) ainsi qu’un extrait du règlement de travail doivent être conservés sur tout lieu du travail où peut se trouver le travailleur. C’est à l’employeur de permettre le contrôle des prestations des travailleurs à temps partiel. La cour rappelle les travaux parlementaires (Doc. parl., Ch., 1989-1990, 975/10, p. 45 ; Doc. parl. Sénat, 1989-1990, 849/2, p. 24), étant qu’il s’agit de faciliter les contrôles en vue d’éviter le travail au noir.

Les faits n’étant pas contestés, elle examine si les éléments produits par l’employeur sont de nature à renverser la présomption de l’article 22ter. Rappelant la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 31 janvier 2011, n° S.10.0052.F), il s’agit pour l’employeur, dans le cadre de cette preuve contraire, de prouver que le travailleur à temps partiel n’a pas effectué de prestations à temps plein dans le cadre d’un contrat de travail à temps plein.

La cour examine, dès lors, l’ensemble des éléments soumis par la société. Elle les rejette, successivement.

En premier lieu, pour ce qui est du contrat de travail et des documents sociaux, qui concordent, elle retient qu’il s’agit de documents élaborés unilatéralement par l’employeur et qui ne sont pas de nature à établir que le travailleur n’a pas effectué de prestations à temps plein dans le cadre d’un contrat de travail à temps plein.

En ce qui concerne un récapitulatif des « heures prestées » (document émanant du client) pour une période déterminée, ce document n’est pas non plus de nature à prouver l’absence de prestations à temps plein. Elle précise qu’il n’est pas exclu que, pendant la période litigieuse, le travailleur ait presté comme nettoyeur chez d’autres clients de la société.

La déclaration du travailleur lui-même est rejetée comme non probante, de même que les éléments relatifs à des études que l’intéressé était censé suivre pendant la période concernée. Pour la cour, ces documents ne permettent pas de conclure que l’intéressé a suivi effectivement des cours auprès de l’institut où il était inscrit, relevant en outre le caractère vague et peu contributif de cette pièce. Elle n’est pas davantage de nature à établir que l’intéressé, en suivant ces cours et/ou en organisant des séminaires, a été dans l’impossibilité d’effectuer des prestations à temps plein.

De même, un courrier de l’employeur, daté du 12 décembre 2018 (soit après l’établissement du Pro Justitia), indiquant à tort que l’obligation de conserver sur le lieu du travail le contrat à temps partiel repose sur le travailleur, n’est pas de nature à établir que celui-ci n’a pas effectué de prestations à temps plein. De même le fait que l’intéressé soit artiste n’est pas de nature à établir que la présomption est renversée.

La cour examine encore les documents chômage, s’agissant d’une déclaration de chômage partiel. Le fait de bénéficier d’allocations de chômage n’exclut pas la possibilité d’effectuer des prestations de travail à temps plein.

L’ensemble de ces pièces est en conclusion considéré comme n’étant pas susceptible de prouver à suffisance de droit l’impossibilité matérielle pour l’intéressé de travailler à temps plein dans le cadre d’une occupation à temps plein pendant la période concernée, l’arrêt précisant encore que la preuve n’est pas apportée qu’il prestait pour un autre employeur ou qu’il était dans l’impossibilité (physique ou mentale) d’effectuer de telles prestations.

Enfin, sur la demande d’enquête, la cour la considère superflue, le travailleur ayant été entendu et ayant fait une déclaration. Elle déplore que, si des tiers entendaient témoigner, des déclarations conformes à l’article 961/1 du Code judiciaire n’aient pas été déposées.

Intérêt de la décision

Cet arrêt rappelle l‘important enseignement de la Cour de cassation en la matière, en son arrêt du 31 janvier 2011, étant d’abord que la preuve contraire de la présomption que les travailleurs ont presté dans le cadre d’un contrat de travail à temps plein doit être apportée par l’employeur et que l’objet de cette preuve contraire est de démontrer que les travailleurs à temps partiel n’ont pas effectué de prestations à temps plein dans le cadre d’un contrat de travail à temps plein.

Dans cette affaire, la Cour du travail de Bruxelles avait considéré qu’aucun règlement de travail, contrat de travail ou extrait du contrat de travail constatant les horaires de travail n’avait pu être présenté à l’inspecteur social et que la société n’avait pas respecté les mesures de publicité prescrites en cas de travail à temps partiel suivant des horaires fixes, faisant que les travailleuses concernées étaient ainsi présumées avoir presté à temps plein. De même, avaient été rejetés les contrats de travail produits après le contrôle et les comptes individuels ainsi que les déclarations de l’employeur au secrétariat social.

Pour la Cour de cassation, la cour du travail avait ainsi considéré de manière certaine et sans méconnaître les règles relatives à la charge de la preuve et l’article 22ter que la société ne prouvait pas que les travailleuses concernées n’effectuaient pas des prestations de travail à temps plein dans le cadre d’un contrat de travail à temps plein.

Le même type de document a été, manifestement, produit dans l’affaire tranchée par la Cour du travail de Bruxelles dans l’arrêt commenté du 15 septembre 2022. L’intérêt de celui-ci est dès lors de rappeler l’absence de force probante de telles pièces, celles-ci n’étant pas de nature à permettre d’apporter la preuve contraire de la présomption légale.

La cour a, cependant, dans cet arrêt, donné des indications quant à l’objet de la preuve contraire : l’employeur doit par exemple établir que le travailleur prestait pour un autre employeur ou qu’il était dans l’impossibilité physique ou mentale de travailler à temps plein.


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