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Mesures de précaution liées au COVID-19 et motif grave

Commentaire de Trib. trav. fr. Bruxelles, 5 décembre 2022, R.G. 21/2.141/A

Mis en ligne le vendredi 28 avril 2023


Tribunal du travail francophone de Bruxelles, 5 décembre 2022, R.G. 21/2.141/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 5 décembre 2022, le Tribunal du travail francophone de Bruxelles, examinant si le non-respect de mesures prises contre la propagation du COVID-19 est susceptible de constituer un motif grave, conclut que le manque de célérité dans la décision de licenciement peut s’avérer inconciliable avec le critère de l’impossibilité immédiate et absolue de poursuivre la relation professionnelle.

Les faits

Une infirmière prestant en maison de repos depuis 2005 fut informée en décembre 2020 de la dégradation importante de l’état de santé de sa mère résidant à Kinshasa. Elle s’est en conséquence rendue au Congo pendant cinq jours en décembre 2020 et a effectué à cette occasion quatre tests COVID, tous négatifs, étant lors de son départ de Bruxelles, à son arrivée et à la veille de son départ de Kinshasa, ainsi qu’à son retour à Bruxelles.

Après la reprise du travail, le 5 janvier 2021, elle passa un nouveau test COVID, comme l’ensemble des membres du personnel, et ce à l’initiative d’Iriscare. Elle a alors informé, selon ses dires, sa supérieure de son voyage à l’étranger. Les résultats du test du 5 janvier ont été communiqués quelques jours plus tard et il est apparu qu’elle était alors positive au COVID-19. Elle a dès lors été placée en incapacité de travail. Un échange de courriels est intervenu.

Elle a repris le travail le 18 janvier 2021 et a fait l’objet d’un rapport disciplinaire le lendemain, au motif de non-respect des règles de sécurité liées à la crise sanitaire. Ce rapport a été adressé par la directrice des ressources humaines au secrétaire général du C.P.A.S. qui gère la maison de repos. L’intéressée a alors fait l’objet d’une convocation au bureau permanent et a été entendue.

Suite à cette audition, elle a été licenciée avec effet immédiat pour les faits en cause. Le motif précis du chômage sur le formulaire C4 vise un licenciement pour faute grave au motif de non-respect des mesures de sécurité sanitaire ainsi que la mise en danger d’autrui.

Un recours a été introduit devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles.

Position des parties devant le tribunal

La demanderesse, qui sollicite le paiement d’une indemnité compensatoire de préavis de neuf mois et vingt-quatre semaines, conteste le motif grave. Elle estime en premier lieu qu’il y a eu un manque de diligence du CPAS dans la mise en œuvre de la procédure et que le délai de trois jours n’est dès lors pas respecté, ce qui tend à démontrer par ailleurs que les faits n’étaient pas d’une gravité telle qu’ils étaient susceptibles de rompre immédiatement la relation de travail. Elle estime également que le CPAS n’établit pas que sa contamination résulte de son déplacement à l’étranger, ni que le simple fait d’effectuer un tel déplacement induit en soi une mise en danger de la santé de ses collègues (ce qui lui est notamment reproché au titre de motif grave). Elle estime avoir dû faire un déplacement nécessaire et plaide qu’elle n’a pas commis de faute, ayant pris toutes les précautions utiles.

Quant au CPAS, il maintient qu’il y a une faute de l’intéressée, en ne prévenant pas les responsables de son voyage dans un pays placé « zone rouge », ainsi qu’en n’effectuant pas de quarantaine ni le test PCR requis sept jours après son retour en Belgique et, enfin, en ayant mis les patients et le personnel en danger. Il s’agit d’un motif grave, celui-ci devant être apprécié au regard de la qualité de professionnelle de la santé de l’intéressée et de l’environnement de travail (maison de repos hébergeant des personnes fragiles).

La décision du tribunal

Le tribunal reprend en droit les principes en la matière appliqués aux éléments de la cause, étant la question de l’audition préalable, s’agissant du licenciement d’un contractuel de la fonction publique, ainsi que de la notion de « faute ». Il souligne que celle-ci n’est pas limitée aux seuls manquements à une obligation légale, réglementaire ou conventionnelle, mais qu’elle s’entend aussi de toute erreur de conduite que ne commettrait pas un employeur ou un travailleur normalement prudent et avisé (avec renvoi à Cass., 26 juin 2006, n° S.05.0004.F).

Pour le tribunal, dans l’appréciation du caractère de motif grave, il faut se poser la question de savoir si le comportement reproché permet ou non le maintien de la confiance indispensable dans les relations professionnelles, indépendamment du fait de savoir si la faute est de nature contractuelle ou si l’employeur a subi un préjudice (renvoyant ici à Cass., 6 mars 1995, n° S.94.0071.F et à Cass., 9 mars 1987, n° 26.158).

Il reprend également les éléments qui vont influencer son appréciation, l’examen de la faute grave devant se faire à la lumière de toutes les circonstances qui l’accompagnent et qui sont de nature à lui conférer le caractère de motif grave : ces éléments concernent à la fois le travailleur et l’employeur, ainsi qu’une série de circonstances telles que l’ancienneté, le type de fonction, le temps, le lieu, le degré de responsabilité, le passé professionnel, l’état de santé physique et mental, la nature de l’entreprise et l’importance du préjudice.

Il en vient ainsi à la vérification des éléments de l’espèce.

Sur la question du délai, d’abord, le tribunal conclut que les « responsables » de l’intéressée étaient informés de son voyage en « zone rouge » dès le 5 janvier 2021 et qu’elle n’a été convoquée à une audition (fixée elle-même devant le bureau permanent du CPAS le 12 février 2021) que le 27 janvier 2021, le licenciement intervenant le 15 février 2021. La chronologie indique que ses responsables n’ont pas averti le secrétaire permanent du CPAS avec célérité, et ce d’autant que la convocation n’est pas intervenue immédiatement.

Pour le tribunal, il conviendra d’apprécier les conséquences de ceci lors de l’examen de la gravité du motif, le délai de trois jours étant cependant respecté eu égard à l’audition de la travailleuse, qui constituait une mesure de nature à permettre à l’autorité de disposer de la connaissance certaine requise.

Il en vient ainsi aux faits, constatant que ceux-ci sont établis. L’intéressée a commis une faute en ce qu’elle n’a pas respecté les dispositions fédérales relatives aux retours en Belgique (formulaire de localisation du passager). De même, elle n’a pas informé l’employeur de son voyage en « zone rouge » avant toute reprise sur le lieu de travail, alors que l’attention du personnel était régulièrement attirée sur le respect des mesures sanitaires et de protection. Par ailleurs, le non-respect de ces mesures a pu contaminer d’autres personnes et, de ce fait, les mettre en danger. Même si cette mise en danger n’était pas volontaire, elle est établie, fût-ce théoriquement.

Ces fautes ne revêtent cependant pas un caractère de gravité tel qu’elles pouvaient justifier le licenciement sans préavis ni indemnité. Le tribunal relève des circonstances qui en atténuent la gravité, étant le motif du voyage, le fait que l’intéressée a effectué quatre tests COVID et que ceux-ci ont tous été négatifs, qu’elle a donné entière satisfaction pendant quinze ans et, enfin, qu’un long délai s’est écoulé entre la prise de connaissance par les responsables du CPAS et le licenciement.

Si le CPAS considérait ces faits comme constituant une faute grave, il y avait lieu de convoquer immédiatement l’intéressée pour l’entendre. La chronologie des faits est incompatible avec l’existence d’une faute rendant immédiatement impossible la poursuite de toute collaboration professionnelle, ce qui indique pour le tribunal que le CPAS ne considérait pas que ceux-ci aient été suffisamment graves pour justifier le licenciement.

L’indemnité compensatoire de préavis est dès lors due.

Intérêt de la décision

Ce jugement du Tribunal du travail francophone de Bruxelles reprend la distinction entre la faute (et éventuellement la faute ayant un certain degré de gravité et pouvant être qualifiée de « faute grave ») et le motif grave (à savoir la faute à ce point grave qu’elle rend immédiatement et totalement impossible la poursuite des relations contractuelles).

Cette distinction réapparaît dans la chronologie des faits, puisque l’employeur lui-même, même s’il peut situer la connaissance effective de la faute grave à un moment qu’il aura consciencieusement choisi (l’audition de la travailleuse s’imposant, en effet, en l’espèce et la décision de licencier devant être prise par un organe collégial), le manque de célérité, le maintien d’un statu quo et la poursuite de prestations peuvent en eux-mêmes contredire la conclusion de l’impossibilité immédiate et absolue de poursuivre la relation contractuelle.

Le temps écoulé entre la connaissance par la ligne hiérarchique et la décision de licencier peut être conciliable avec la notion des trois jours ouvrables reprise à l’article 35 de la loi du 3 juillet 1978, mais ce même délai peut être un élément d’appréciation de l’absence (ou de la moindre) gravité lorsque la faute fait l’objet de l’appréciation au fond. Le fait de laisser perdurer les relations contractuelles pendant tout ce temps n’est, quant à lui, pas conciliable avec la notion de motif grave.


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