Terralaboris asbl

Congé de naissance : y a-t-il un délai pour avertir l’employeur ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 15 novembre 2022, R.G. 2019/AB/428

Mis en ligne le vendredi 26 mai 2023


Cour du travail de Bruxelles, 15 novembre 2022, R.G. 2019/AB/428

Terra Laboris

Dans un arrêt du 15 novembre 2022, la Cour du travail de Bruxelles reprend les règles en matière de congé de naissance (ancien « congé de paternité ») : il n’y a pas de délai pour avertir l’employeur, la seule condition légale est que l’avertissement soit préalable à la prise du congé.

Les faits

Un ingénieur en aéronautique a été engagé par une société belge en qualité d’employé dans le cadre d’un contrat à durée déterminée du 15 février au 30 juin 2016. Suite à la naissance de son fils le 3 mai 2016, l’intéressé signale par courriel à son employeur, confirmant un entretien, qu’il prendrait ses neuf jours de congé de paternité du 20 au 30 juin. Il propose également de terminer un travail en cours pendant une partie de ce temps de congé, mais contre rémunération. La société conteste la prise des jours de congé, au motif que l’employé n’aurait pas respecté le délai d’un mois pour l’informer (délai « de prévenance »). Elle lui indique dès lors que le travail est à effectuer et sans rémunération complémentaire.

L’intéressé conteste l’existence d’une telle condition. La société lui adresse alors un long courrier, annonçant, en gros, qu’à défaut pour lui de se conformer à ses instructions, il serait mis, pour les dix derniers jours du contrat, en absence injustifiée et donc sans rémunération. Lui est également demandée la restitution de matériel électronique, à défaut de quoi la valeur de celui-ci serait déduite de sa rémunération, des explications étant également demandées par écrit à propos de certains fichiers. L’annonce est également faite de l’éventualité d’un licenciement pour motif grave, avec privation des allocations de chômage, à défaut pour lui d’exécuter lesdites prestations. La société confirme encore dans un courriel sa position, étant qu’elle le licencierait pour motif grave le jour suivant à défaut de réponse.

Le congé intervient, dès lors, en date du 22 juin 2016 pour abandon de poste et absence injustifiée ainsi que pour confusion d’intérêts (étant que l’employé aurait voulu donner « manifestement et frauduleusement la primauté à son intérêt personnel »).

Une procédure judiciaire est introduite devant le Tribunal du travail du Brabant wallon le 12 octobre 2016, en paiement d’une indemnité pour licenciement en période de congé de paternité, ainsi que d’une indemnité compensatoire de préavis.

La société dépose des conclusions en première instance en demandant des dommages et intérêts de l’ordre de 18.800 euros au titre de réparation d’un préjudice matériel et 1.000 euros pour un préjudice moral.

Le tribunal statue par jugement du 5 avril 2019, faisant droit à la demande principale dans les montants réclamés et rejette la demande de l’employeur.

La société interjette appel.

Position des parties devant la cour

La société, qui sollicite à titre principal le débouté de la demande dans ses deux postes, demande de poser une question à la Cour constitutionnelle à propos de l’article 30, § 2, de la loi du 3 juillet 1978, celui-ci n’imposant aucune formalité ni délai encadrant la demande du travailleur de bénéficier d’un congé de paternité ou de naissance. La discrimination soulevée concernerait les employeurs bénéficiant ou non d’une sécurité juridique quant à la certitude de l’existence d’un droit au congé et la possibilité d’anticiper cette prise de congé selon qu’ils sont saisis d’une demande émanant de travailleuses (qui doivent prouver la date de leur accouchement au moins sept semaines à l’avance au moyen d’un certificat médical en vertu de l’article 39 de la loi du 16 mars 1971) ou d’une semblable demande émanant de travailleurs masculins (qui ne sont pas soumis à une telle condition formelle), l’article 30, § 2, de la loi du 3 juillet 1978 contenant une lacune à cet égard. La société reformule devant la cour sa demande de dommages et intérêts.

L’intéressé sollicite quant à lui la confirmation du jugement.

L’arrêt de la cour

La cour reprend les conditions de l’exercice du droit au congé de naissance. L’article 30, §§ 2 et 4, de la loi prévoient (en sa version applicable au litige) que le travailleur a le droit de s’absenter à l’occasion de la naissance d’un enfant dont la filiation est établie à son égard pendant dix jours à choisir par lui dans les quatre mois à dater du jour de l’accouchement (§ 2). L’employeur ne peut pour sa part poser un acte tendant à mettre fin unilatéralement au contrat de travail si le travailleur a fait usage de son droit au congé, et ce pendant une période débutant au moment de l’avertissement écrit à l’employeur et se terminant trois mois après celui-ci, sauf pour des motifs étrangers celle-ci, dont la charge de la preuve incombe à l’employeur (§ 4, alinéas 1er et 2).

La cour constate que l’intéressé remplissait les conditions quant à l’exercice du droit au congé et que le texte légal ne prévoit pas le moment auquel la preuve de la filiation doit être apportée. Exiger que cette preuve soit fournie au moment de l’avertissement par le travailleur de son souhait d’exercer son droit renvient à ajouter à la loi une condition qui n’y figure pas. En outre, en l’espèce, la société n’a à aucun moment sollicité la production d’une telle preuve avant le licenciement, alors qu’elle était au courant de la paternité de l’employé. Ayant averti l’employeur le 16 juin, celui-ci bénéficiait de la protection légale à partir de ce moment. La cour note encore que, même si aucun délai minimum n’est fixé par la loi et qu’il faille examiner le caractère « raisonnable » du délai, celui-ci l’est en l’espèce.

Elle ajoute qu’il ne s’agit pas d’une demande de congé soumise à l’appréciation de l’employeur mais d’un droit du travailleur et qu’une clause existant en l’espèce dans le règlement de travail, imposant que toute demande de congé doit être sollicitée à l’avance, elle a été respectée.

La société doit dès lors établir le motif de la rupture, à savoir un « abandon de poste » ou des « absences injustifiées », ainsi qu’une « confusion d’intérêts ». Les griefs ne sont nullement démontrés, le dernier d’entre eux (« primauté à son intérêt personnel ») ayant pour la cour d’ailleurs été abandonné par l’employeur aussitôt qu’il fut proposé par l’employé, et ce bien avant le licenciement.

Enfin, sur la question à poser à la Cour constitutionnelle, la cour la rejette, et ce au motif de l’absence de comparabilité des travailleurs sur le plan d’une grossesse, d’un accouchement et des suites de celui-ci. Elle relève que la protection de la travailleuse est nettement plus étendue, tant en termes de durée que d’indemnité de protection, et que l’obligation pour celle-ci de remettre un certificat médical indiquant la date présumée de l’accouchement est en lien avec la prise de cours du congé prénatal, ce qui ne constitue pas un avantage dans le chef de l’employeur par rapport aux travailleurs masculins. L’indemnité de protection est dès lors due.

La cour examine ensuite s’il y a motif grave de licenciement, question rapidement réglée, vu le non-respect du délai de trois jours entre la connaissance des faits et le licenciement.

Enfin, quant à la demande reconventionnelle fondée sur le fait que l’intéressé engagé pour une période déterminée aurait dû, à l’issue de celle-ci, avoir clôturé la mise au point d’un logiciel, la cour rappelle que les obligations du travailleur sont en principe des obligations de moyen et non de résultat et que celui-ci n’est pas responsable – à supposer que le grief soit établi – du fait que le résultat escompté ne fut pas atteint en l’espèce.

Intérêt de la décision

Le congé de naissance (ancien « congé de paternité ») est prévu à l’article 30, §§ 2 et suivants, de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail. Celui-ci s’applique non seulement aux travailleurs du secteur privé, mais également aux contractuels du secteur public. Il permet à ceux-ci de s’absenter pendant quinze jours dans la période de quatre mois qui suit celui de l’accouchement à l’occasion de la naissance d’un enfant dont la filiation est établie à leur égard.

Depuis le 1er janvier 2023, ce congé de naissance est de vingt jours pour les naissances intervenues à partir de cette date. Le travailleur pourra conserver sa rémunération complète pendant les trois premiers jours du congé et, ultérieurement, une allocation de 82% du salaire brut perdu.

L’affaire tranchée par la Cour du travail de Bruxelles dans cet arrêt du 15 novembre 2022 met en évidence la question de l’obligation d’avertissement préalable de l’employeur. Celui-ci n’est nullement formalisé, pouvant être oral ou écrit. L’on notera que, sur le plan de la preuve, l’usage de l’écrit est bien évidemment indiqué, et ce même avec un double signé pour réception par l’employeur.

Selon le Service public fédéral Emploi, Travail et Concertation sociale, l’avertissement préalable implique que le travailleur doit informer son employeur qu’il va prendre ses jours de congé de naissance au plus tard avant le début de sa journée de travail.

Le travailleur est protégé contre le licenciement (sauf pour motif étranger), et ce à partir du moment de l’avertissement donné à l’employeur et jusqu’à cinq mois après l’accouchement.

La sanction en cas de licenciement irrégulier est le paiement de la rémunération brute de six mois, cumulable avec l’indemnité compensatoire de préavis.

La cour du travail a fait application de ces règles dans l’arrêt commenté. L’on notera la tentative de question préjudicielle à destination de la Cour constitutionnelle, tentative avortée vu l’écueil – évident – de la comparabilité des travailleurs masculins avec les travailleuses (et leur protection liée à la maternité).


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be