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Licenciement survenu pendant une incapacité de travail de longue durée

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 18 octobre 2023, R.G. 2021/AB/468

Mis en ligne le vendredi 24 mai 2024


C. trav. Bruxelles, 18 octobre 2023, R.G. 2021/AB/468

Dans un arrêt du 18 octobre 2023, la Cour du travail de Bruxelles rappelle qu’un licenciement survenu pendant une période d’incapacité de travail de longue durée peut, sans être discriminatoire, être manifestement déraisonnable.

Les faits

Une société active dans le secteur du nettoyage avait engagé une ouvrière en qualité de technicienne de surface le 26 novembre 2010. Les relations ont évolué, dans le cadre de contrats de remplacement successifs jusqu’à la conclusion de deux contrats à durée indéterminée, chacun pour un temps très partiel. Ils contenaient l’un et l’autre l’obligation d’avertir immédiatement l’employeur en cas d’incapacité de travail.

L’intéressée a été en incapacité à partir du 30 avril 2012.

Quatre mois après le début de celle-ci, elle a été licenciée moyennant un préavis à prester.

L’incapacité s’est prolongée pendant de nombreuses années. La travaileuse ne transmettant pas régulièrement ses certificats de prolongation d’incapacité, elle reçut quatre lettres recommandées entre mai 2016 et mars 2017 aux fins de justification.

Par la suite, les certificats ont été adressés régulièrement.

En septembre 2018, un certificat de prolongation fut délivré en date du 10 par le médecin traitant. Il couvrait la période du 1er septembre au 30 novembre. Ce certificat fut envoyée par lettre recommandée en date du 24 octobre.

Entre-temps, une mise en demeure lui avait été adressée le 11 octobre, l’employeur considérant que dans la mesure où elle n’avait pu justifier son incapacité travail pour la période à partir du 1er septembre elle était absente sans justification depuis lors. Elle était cependant invitée à reprendre le travail dans les 48 heures ou à justifier son absence.

L’intéressée a refusé de réceptionner ce courrier recommandé.

Un rappel lui a été adressé le 26 octobre, la société recevant, concomitamment, le certificat médical pour la période du 1er septembre au 30 novembre.

Par lettre du 7 novembre, lui fut encore adressé un rappel pour absence injustifiée et absence de réaction aux deux lettres recommandées des 11 et 26 octobre.

Le 16 novembre 2018, la société notifia à l’ouvrière son licenciement pour motif grave. Celui-ci est fondée sur les lettres recommandées adressées les 11 et 26 octobre de même que le 7 novembre. Pour ce qui est du motif de licenciement, il lui est fait grief de ne pas avoir repris le travail en date du 1er septembre et de ne pas avoir justifié son absence. Ceci constitue le motif grave de rupture.

Rétroactes de la procédure

La travailleuse contesta le licenciement et déposa une requête devant le tribunal du travail francophone de Bruxelles le 15 octobre 2019.

En cours de procédure, la société paya l’indemnité compensatoire de préavis, abandonnant ainsi le motif grave. Un nouveau C4 fut établi.

Par jugement du 7 janvier 2021, le tribunal du travail admit le droit à une indemnité compensatoire de préavis (une question de décompte se posant cependant, vu le premier licenciement intervenu en 2012 moyennant un préavis à prester). Il alloua également une indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable.

La société interjette appel.

L’arrêt de la cour

La demanderesse originaire, qui avait sollicité le paiement d’une indemnité pour licenciement discriminatoire et en avait été déboutée, a repris ce chef de demande, dans le cadre d’un appel incident. La cour examine dès lors celui-ci, l’intéressée considérant avoir été licenciée en raison d’un handicap.

Pour la cour, il ne fait aucun doute que les problèmes de santé (gonalgies et état dépressif), qui rendaient celle-ci incapable de travailler depuis 2012, répondent à la définition du handicap au moment de son licenciement. Ceci n’est d’ailleurs pas contesté par la société.

La cour estime cependant que les éléments invoqués sont insuffisants pour permettre de présumer l’existence d’une telle discrimination. Dans la mesure où elle était en incapacité de travail, elle demeurait dans l’obligation de couvrir ses absences de manière ininterrompue par des certificats médicaux. Or, des lettres recommandées ont dû lui être envoyées à diverses reprises afin de l’amener à respecter ses obligations.

Elle considère que le congé notifié le 16 novembre 2018 est en lien avec l’absence de justification en temps voulu de l’absence au travail, notant que, au moment du licenciement, l’ouvrière a attendu six semaines pour justifier celle-ci, et ce même si au moment du congé l’employeur disposait du certificat.

La cour précise que dans ce contexte le fait que le licenciement intervienne pendant une période d’incapacité travail ne peut suffire à présumer l’existence d’une discrimination liée à un handicap ou même à l’état de santé.

En outre, l’intéressée ne démontre pas l’existence d’une pratique discriminatoire au sein de la société qui aurait abouti à systématiquement licencier pour motif grave les travailleurs en incapacité n’ayant pas justifié leur absence pour ce motif à l’issue de plusieurs rappels, et ce quelles que soient les circonstances.

Pour la cour, il n’y a rien d’anormal à ce qu’un employeur invite les travailleurs en incapacité de travail - qu’elle soit de courte ou de longue durée - à couvrir celle-ci de manière ininterrompue et qu’il leur adresse des rappels en cas de carence.

La circonstance qu’après plusieurs lettres de rappel un licenciement intervienne ne constitue pas la démonstration d’une pratique discriminatoire - même indirecte.

La cour écarte dès lors que le licenciement puisse être intervenu en infraction à la loi du 10 mai 2007 et déboute l’intimée de ce chef de demande.

Pour ce qui est du licenciement manifestement déraisonnable, en revanche, la cour confirme la décision du tribunal quand bien même l’ouvrière a tardé à justifier son incapacité (chose qui s’était déjà produite par le passé). L’employeur, qui lui reprochait une absence injustifiée, était en possession du certificat et ne s’est pas comporté comme un employeur normal et raisonnable en adressant un troisième rappel en date du 7 novembre et en la licenciant le 16 pour ce motif.

L’employeur plaidant que le certificat n’aurait pas été valable car comportant une mention inexacte en en-tête (« certificat d’incapacité travail – travailleur indépendant »), la cour considère que cette mention ne peut contredire la réalité de la prolongation de l’incapacité travail attestée par le médecin traitant. Par ailleurs, si la société estimait ne pas devoir se satisfaire de ce certificat, il lui appartenait de s’enquérir auprès de l’intéressée afin qu’elle obtienne de son médecin traitant un autre modèle.

Pour la cour, aucun employeur normal et raisonnable n’aurait agi de la sorte.

Pour ce qui est du quantum, la cour fait grief à la demanderesse originaire de ne pas justifier le montant de 17 semaines qu’elle réclame et retient que l’indemnité doit être fixée à 10 semaines de rémunération.

La rémunération de base ne peut inclure les montants qui constituent des frais propres à l’employeur, leur caractère rémunératoire n’étant pas établi (abonnement social, frais de vêtements et indemnité RGPT), mais elle doit comprendre le double pécule de vacances, qui constitue un avantage acquis même s’il est payé par une caisse de vacances.

Enfin la cour règle une question relative à un indu, l’indemnité compensatoire de préavis payée en cours d’instance ayant été calculée sans tenir compte du licenciement intervenu en 2012, l’ancienneté à prendre en compte devant être arrêtée à cette date (et les périodes d’interruption travail après celle-ci étant sans conséquence sur le délai de préavis) et non à partir de 2018.

La cour admet un indu et condamne la travailleuse à restituer celui-ci.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la cour du travail de Bruxelles démontre une nouvelle fois que les demandes pour licenciement discriminatoire et pour licenciement manifestement déraisonnable évoluent selon des règles propres, tant en ce qui concerne le motif à prendre en compte que les règles en matière de preuve.

Pour la première (discrimination), le travailleur doit établir des faits précis et concrets permettant de présumer l’existence d’une discrimination. Cette charge de la preuve appartient à la partie qui s’estime victime de celle-ci et à défaut d’établir de tels faits (et non une impression, un sentiment général, un vécu subjectif,…), la partie demanderesse échoue à apporter la preuve qui est à sa charge. Le juge ne poursuit pas davantage l’examen de la demande, examen qui consisterait à vérifier si l’employeur apporte la preuve de l’absence de discrimination.
Relevons en l’espèce que l’élément invoqué par la partie demanderesse est la survenance de la mesure de licenciement pendant une période d’incapacité de travail. La concomitance du congé avec une suspension du contrat pour cause d’incapacité de travail n’est, ainsi que le retient en général la jurisprudence, pas suffisante pour constituer une telle donnée de fait permettant d’activer la présomption légale.

Par contre, pour ce qui est du caractère manifestement déraisonnable du licenciement,
sans revenir ici sur les discussions relatives à la charge de la preuve selon que la communication des motifs concrets a ou non été demandée et que l’employeur y a ou non donné suite, le contrôle judiciaire va porter, en cas de licenciement en lien avec la conduite du travailleur, sur le comportement de l’employeur face à celle-ci, qui constitue un contrôle de proportionnalité.

La cour rappelle que les partenaires sociaux y ont intégré l’ancienne définition donnée par l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978, s’inspirant de la jurisprudence de la Cour de cassation dans un arrêt du 22 novembre 2010 (Cass., 22 novembre 2010, S.09.0092.N) en ajoutant la notion d’employeur normal et raisonnable. C’est dès lors le comportement de l’employeur qui est apprécié. En l’espèce, la cour reproche à la société une réaction disproportionnée dans son examen de la situation en novembre 2018, l’absence étant justifiée au moment du licenciement. La cour semble par ailleurs admettre implicitement que les griefs– établis au dossier – auraient pu justifier le licenciement mais non pour motif grave.


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