Terralaboris asbl

Une lettre recommandée peut-elle interrompre la prescription lorsqu’elle est adressée à un département sans personnalité juridique (Office de tarification d’Union pharmaceutique) ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 5 avril 2007, R.G. 7.962/2005

Mis en ligne le jeudi 27 mars 2008


Cour du travail de Liège, sect. Namur, 5 avril 2007, R.G. 7.962/2005

TERRA LABORIS ASBL – Pascal HUBAIN

Dans un arrêt du 5 avril 2007, la Cour du travail de Liège, section de Namur, admet la validité de l’acte interruptif que constitue une lettre recommandée adressée à un département sans personnalité juridique lorsque la personne morale dont il émane réagit à la lettre et comparait dans l’instance en lieu et place du département.

Les faits

Mr L., pharmacien, était affilié à un office de tarification dépendant de l’Union royale pharmaceutique de la province de Namur.

Il décède le 5 décembre 2000.

Le pharmacien inspecteur demande à sa veuve de veiller à rouvrir immédiatement l’officine pour assurer la continuité des soins.

La veuve de Mr L. persuade alors un ami pharmacien de se charger de l’officine de son mari, en plus de la sienne, et ce du 11 au 15 décembre 2000 puis du 18 au 22 décembre 2000, date à laquelle l’officine sera fermée jusqu’au 1er janvier 2001, date de sa reprise.

Les prestations relatives à ces deux courtes périodes ont été facturées par l’office de tarification aux organismes assureurs concernés.

Le pharmacien remplaçant a donc continué à travailler avec l’office de tarification auprès duquel feu Mr L. était affilié.

L’un de ces organismes assureurs entend toutefois récupérer les sommes remboursées, dans le cadre du tiers payant.

Deux courriers recommandés sont tout d’abord adressés à l’office de tarification en paiement d’une somme de 512, 94 €. Deux autres sont ensuite adressés au pharmacien remplaçant. Enfin, un dernier courrier recommandé est adressé à la veuve du pharmacien décédé.

L’ensemble des remboursements réclamés par les divers organismes assureurs (mais qui ne sont pas à la cause) s’élève à 121.661,88 € !

L’Union royale pharmaceutique de la province de Namur (dont dépend l’office de tarification) contestera auprès de l’Inami la récupération résultant des deux premières lettres recommandées, invoquant d’une part un cas de force majeure et d’autre part une lacune dans l’arrêté royal du 12 août 1970 déterminant les critères d’agréation des offices de tarification dans la mesure où, contrairement à l’arrêté du 15 juin 2001, celui du 12 août 1970 ne précisait pas ce qu’il faut entendre par « titulaire d’officine ».

Le pharmacien remplaçant conteste également être redevable des sommes qui lui sont réclamées d’une part parce qu’il n’a pas bénéficié des prestations et d’autre part parce qu’il a été confronté à un cas de force majeure.

Enfin, la veuve du pharmacien décédé conteste également la récupération en faisant état d’une situation particulière.

Par une requête déposée le 27 février 2003, la mutuelle demande la condamnation de l’office de tarification du pharmacien remplaçant et la veuve du pharmacien décédé à lui payer une somme de 512,94 € à majorer des intérêts depuis la mise en demeure.

L’Union royale pharmaceutique de la province de Namur intervient volontairement à la cause dès lors que l’office de tarification n’a pas de personnalité juridique. Elle invoque la prescription à son égard.

Le jugement

Dans un jugement du 27 octobre 2005, la 6e chambre du tribunal du travail de Namur juge l’action irrecevable contre l’office de tarification, admet ensuite un cas de force majeure et considère qu’aucune disposition n’obligeait le pharmacien remplaçant à conclure un deuxième acte d’adhésion pour l’officine qu’il n’avait pas l’intention de reprendre, cette situation n’ayant été réglée de manière expresse que par le nouvel arrêté royal du 15 juin 2001, dans le sens d’ailleurs de l’obligation d’agréation du titulaire de l’officine et non d’un remplaçant.

Par ailleurs, le tribunal considère également l’action prescrite à l’égard de l’union royale pharmaceutique de la province de Liège puisque aucun acte interruptif n’a été dirigé contre elle.

La position des parties en appel

La mutuelle interjette appel au motif que le pharmacien ayant remplacé son collègue décédé ne disposait d’aucun acte d’adhésion à un office de tarification pour l’officine du pharmacien décédé, l’office de tarification devant attendre cet acte d’adhésion avant de facturer les prescriptions exécutées et ceci même pendant une période de transition.

Pour la mutuelle, l’indu est à récupérer auprès de l’office de tarification mais également auprès du pharmacien remplaçant et de la veuve du pharmacien décédé, celle-ci ayant reçu des remboursements sur le compte de feu son époux.

Par contre, la mutuelle admet que la requête en récupération est irrecevable à l’égard de l’office de tarification, qui n’a pas de personnalité juridique mais que par contre elle peut s’en prévaloir à l’encontre de l’Union royale pharmaceutique de la province de Namur même si la lettre recommandée a été adressée à l’office de tarification. En effet, pour la mutuelle, l’office de tarification est un département interne de l’union royale pharmaceutique de la province de Namur, qui est intervenue à la cause, département à l’encontre duquel la prescription a pu valablement être interrompue.

La mutuelle soutient enfin que l’arrêté royal en vigueur à l’époque ne permettait pas qu’un pharmacien puisse gérer deux officines sans deux actes d’adhésion distincts.

La veuve du pharmacien décédé interjette un appel incident pour le motif qu’elle n’a pas bénéficié personnellement des prestations en sorte que l’action dirigée contre elle n’est pas recevable.

L’arrêt de la Cour du travail

La Cour du travail de Liège examine d’abord les questions de recevabilité, ensuite celle de la prescription et enfin le fondement des actions de la mutuelle contre les quatre intimés.

(1) Concernant la recevabilité de la demande, la Cour du travail de Liège relève tout d’abord qu’il a définitivement été jugé par le premier juge que l’action n’est pas recevable en tant qu’elle met en cause l’office de tarification qui n’a pas de personnalité juridique. Elle refuse d’examiner le moyen invoqué par la veuve du pharmacien décédé car il touche au fond et non à la recevabilité.

(2) Abordant ensuite la question de la prescription, la Cour rappelle tout d’abord le contenu de l’article 174, aliéna 1er, 6° de la loi coordonnée du 14 juillet 1994 qui prévoit un délai de prescription de deux ans de l’action en récupération de la valeur de prestations indûment octroyées à charge de l’assurance soins de santé, le délai commençant à courir à compter de la fin du mois au cours duquel les prestations ont été remboursées. Selon l’alinéa 4 du même article, la prescription peut être interrompue par l’envoi d’une lettre recommandée et cette interruption peut être renouvelée.

En l’espèce, aucune lettre recommandée n’a été adressée à l’Union royale pharmaceutique de la province de Namur, qui est intervenue volontairement à la cause mais bien à l’office de tarification qui n’a pas de personnalité juridique. La Cour admet toutefois la validité de l’acte interruptif, étant les lettres recommandées adressées à l’office de tarification. En effet, l’office de tarification n’est qu’une émanation de l’union mais c’est bien cette dernière qui a immédiatement réagi au courrier reçu et qui a ensuite comparu à l’instance pour intervenir en lieu et place de l’office.

Puisqu’une citation, acte interruptif, est valable même lorsqu’il y a erreur sur l’identité de la personne citée à partir du moment où l’erreur n’a pas nui à la personne juridique qu’il faut mettre à la cause, à fortiori doit-il en aller de même pour une lettre recommandée qui est réceptionnée par la personne juridique qu’il faut mettre en cause et qui a réagi immédiatement.

Toutefois, comme l’acte introductif d’instance a été déclaré irrecevable à l’encontre de l’office de tarification, sans que la Cour ne soit saisie d’un appel sur cette question, les deux lettres recommandées adressées audit office n’ont pu interrompre la prescription à l’égard de l’Union royale pharmaceutique de la province de Namur dont dépend l’office de tarification, son intervention volontaire datant du 13 juin 2005. Par conséquent, l’action dirigée contre l’Union royale pharmaceutique de la province de Liège est prescrite mais pour un motif différent de celui admis par le premier juge.

Enfin, la Cour constate que la mutuelle n’invoque pas la possible opposabilité de l’acte interruptif de prescription à l’égard des débiteurs solidaires (article 1206 du code civil). Cette disposition n’étant pas d’ordre public, la Cour n’ordonne pas de réouverture des débats à ce sujet).

(3) La Cour examine enfin le fondement de la demande contre le pharmacien remplaçant et la veuve du pharmacien décédé.

Elle considère tout d’abord que l’indu peut être réclamé à l’épouse du pharmacien décédé, solidairement tenue avec le pharmacien remplaçant puisqu’elle a profité, par la succession de feu son mari, des remboursements versés sur le compte successoral.

La Cour vérifie enfin si les remboursements sont indus en raison du non respect de la réglementation et s’il existe une cause de justification.

La Cour constate que les parties donnent de l’article 4 de l’arrêté royal du 12 août 1970 une interprétation différente. Elle décide sur ce point que seul le titulaire doit conclure un contrat avec un office de tarification. Elle déduit cette interprétation de l’article 4 qui, après avoir rappelé que les pharmaciens et les médecins tenant dépôt qui pratiquent le système du paiement direct par les organismes assureurs, adhèrent à un office de tarification agréé de leur choix, précise encore qu’il est fait exception à cette règle pour l’adhérant qui cesse d’être titulaire de la pharmacie ou du dépôt de médicament pour lequel il avait adhéré.

La Cour en déduit que la règle ne peut concerner que le titulaire d’officine alors que le pharmacien remplaçant n’est pas titulaire puisqu’il n’a fait que remplacer le titulaire décédé, et ce durant un laps de temps très court, nécessaire à la cession de la pharmacie.

La Cour n’admet donc pas l’affirmation de principe avancée aussi bien par l’INAMI que par la mutuelle selon laquelle le décès du titulaire de l’officine mettrait fin automatiquement au contrat d’adhésion.

Intérêt de la décision

La décision commentée apporte d’utiles précisions sur l’effet interruptif d’une lettre recommandée.

Plusieurs questions peuvent en effet se poser : qu’en est-il d’une lettre recommandée qui n’est pas signée par son auteur (voyez à cet égard le commentaire dans HR TODAY du 29 août 2007, de l’arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 11 mai 2007 ainsi que l’arrêt de la Cour de cassation du 22 septembre 2003, J.T.T. 2004, p.7), adressée à une mauvaise adresse ( pour interrompre la prescription, la lettre recommandée doit non seulement avoir été envoyée mais aussi avoir été reçue par le destinataire ou tout au moins été présentée à son domicile par l’agent des postes – voyez C. trav. Mons, 8e ch., 8 février 1995, R.G. n° 1105 et C. trav. Mons, 8e ch.,12 décembre 2001, R.G. n° 16.754, in http://www.juridat.be, C. trav. Liège,12 novembre 1996, Chron. D.S., 1997, p. 616) ou pour laquelle il est allégué que le contenu ne correspond pas à la réclamation de l’indu, la question de la charge de la preuve se posant alors ( voyez C. trav. Mons, 8e ch.,13 décembre 2000, R.G. n° 14312, in http://www.juridat.be ).

Par contre, une lettre simple, dont la réception n’est pas contestée, n’interrompt pas la prescription lorsque la voie recommandée est imposée par la législation ( voyez en matière d’accidents du travail, C. trav. Mons, 5e chambre, 26 février 1999, R.G. n° 9373, in http://www.juridat.be et la référence à Cass. 7 mars 1983, J.T. 1984,p.105).

Dans l’arrêt commenté, la Cour du travail de Liège se penche plus particulièrement sur l’effet interruptif d’une lettre recommandée adressée à un département qui n’a pas de personnalité juridique. Avec bon sens, la Cour admet l’interruption de la prescription adressée à un département sans personnalité juridique dès lors que la personne morale dont dépend ce département a réagi à la lettre recommandée et est intervenue dans la procédure en lieu et place de son département. La décision doit assurément être approuvée.


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