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Exigences de la sommation interruptive de prescription en matière de récupération de revenu d’intégration sociale

Commentaire de C. trav. Liège (div. Namur), 16 août 2023, R.G. 2022/AN/30

Mis en ligne le vendredi 12 juillet 2024


C. trav. Liège (div. Namur), 16 août 2023, R.G. 2022/AN/30

Par arrêt du 16 août 2023, la Cour du travail de Liège (division Namur) rappelle la prescription applicable en matière de récupération d’indû de revenu d’intégration sociale ainsi que les conditions de la sommation interruptive de prescription.

Les faits

À la suite d’une enquête de police, l’Auditorat du travail informa un C.P.A.S. de la région namuroise de la cohabitation d’une bénéficiaire de revenu d’intégration sociale (complément) avec un tiers, et ce depuis plusieurs années.

La décision fut prise le 23 février 2021 de supprimer le revenu d’intégration sociale au taux isolé avec effet au 7 janvier 2015, les revenus à prendre en compte étant supérieurs à l’intervention du C.P.A.S.

La décision rétablissait également le droit au RIS au taux cohabitant, sous déduction des ressources du tiers. Le RIS était par ailleurs à réviser vu la naissance d’un enfant, entraînant la majoration au taux charge de famille avec effet au 18 septembre 2015 sous déduction des revenus du tiers.

D’autres modifications étaient également décidées à partir de l’année 2016 vu la mise au travail de l’intéressée, le revenu d’intégration étant finalement supprimé pour une dernière période à partir du 1er mai 2017.

L’indu est de l’ordre de 48 000 € pour la période du 7 janvier 2015 au 30 septembre 2020.

L’intéressée a été avisé de la possibilité d’être entendue préalablement à la décision ainsi que de se faire assister ou représenter.

L’audition a eu lieu et lors de celle-ci l’intéressée a nié la cohabitation, tout en reconnaissant qu’elle était en couple avec le tiers en question.

À la suite de cette audition, le C.P.A.S. procéda à l’annulation de la décision prise le 23 février 2021 mais, concrètement, en maintint la teneur, prenant une nouvelle décision identique.

Rétroactes de procédure

Un recours fut introduit devant le tribunal du travail de Liège, division Namur, contre les deux décisions, en vue de leur annulation et/ou réformation, la demanderesse postulant également qu’il soit dit pour droit qu’elle pouvait prétendre au revenu d’intégration au taux isolé.

Elle demandait également la condamnation du C.P.A.S. au paiement du revenu d’intégration conformément à sa thèse, étant la reconnaissance de ce taux isolé du 7 janvier 2015 au 30 septembre 2015 et au taux personne ayant charge de famille depuis le 1er octobre 2015, sans prise en considération des ressources du tiers.
A titre infiniment subsidiaire, elle plaidait la prescription partielle de la demande de remboursement.

Quant au C.P.A.S., il sollicitait la condamnation au remboursement de l’indu tel qu’il l’avait calculé.

Le tribunal a statué par jugement du 14 janvier 2022, disant pour droit, quant au fond, qu’il y avait ménage de fait et que la partie des ressources du cohabitant qui dépassait le montant du revenu d’intégration à prendre en compte devait être déduite de celui-ci.

La période de récupération a été fixée à cinq ans, le tribunal admettant la prescription pour la période antérieure. Les parties ont été invitées à soumettre des décomptes précis sur le montant de l’indu.

Suite à l’appel interjeté par la demanderesse originaire, l’affaire est venue devant la cour du travail.

Les arrêts rendus par la cour du travail

L’arrêt du 17 janvier 2023

La cour a rendu un premier arrêt le 17 janvier 2023. Sur le fond, le jugement a été confirmé sur la question du ménage de fait. Une réouverture des débats a été ordonnée afin de préciser notamment la période à prendre en compte pour le remboursement.

L’arrêt du 16 août 2023

L’arrêt reprend d’abord la position des parties sur les questions toujours en litige dans le cadre de la réouverture des débats.

L’appelante demande la limitation de la période litigieuse au motif de prescription partielle. Elle plaide que la prescription quinquennale est applicable et que la seconde décision ne peut pas être considérée comme une sommation interrompant la prescription. Elle fait notamment valoir que n’y figure pas le délai dans lequel elle doit s’exécuter non plus que le risque qu’elle court de se voir attraire en justice à défaut de s’exécuter volontairement. Elle estime que la première sommation valable du C.P.A.S. est la demande reconventionnelle introduite par voie de conclusions déposées le 9 juin 2021. Il en découle que la prescription est acquise pour la période antérieure au 1er juin 2016.

Pour le C.P.A.S., l’intéressée doit être condamnée à rembourser l’indu, qu’il limite cependant à un montant de l’ordre de 33 000 €, montant tenant compte de la prescription applicable selon ses calculs.

La cour renvoie à l’article 29 de la loi du 26 mai 2002 concernant le droit à l’intégration sociale, selon lequel l’action en remboursement se prescrit conformément à l’article 2277 du Code civil, la prescription pouvant être interrompue par une sommation faite soit par une lettre recommandée à la poste, soit contre un accusé de réception.

Elle retient que les parties considèrent que la prescription applicable est de cinq ans et confirme le jugement à cet égard, estimant qu’il y a lieu de faire application de ce délai.

Pour ce qui est du point de départ, elle constate que le C.P.A.S. dans sa seconde décision a annulé la première, de telle sorte que celle-ci ne peut plus sortir d’effet.

Elle examine dès lors le courrier recommandé du 24 mars 2021, qui contient la décision prise le 23 mars et conclut que celui-ci doit être considéré comme une sommation au sens de l’article 29, § 4, de la loi du 26 mai 2002. Celle-ci ne pose en effet aucun formalisme pour ce qui est de la sommation en la matière, hormis qu’elle doit être envoyée par courrier recommandé.

Elle en dégage que celle-ci contient la volonté manifeste du C.P.A.S. d’obtenir le remboursement de l’indu – le montant de celui-ci étant d’ailleurs donné. Les éléments retenus par la cour sont que (i) l’intéressée est invitée à faire part d’une proposition de remboursement, (ii) le délai de prescription de cinq ans est rappelé et (iii) elle peut demander la renonciation totale ou partielle à la récupération de l’indu.

L’appelante renvoyant à un article de doctrine (T. DELAHAYE, « La mise en demeure », J.T., 2018 page 281 et s.), selon lequel des conditions supplémentaires seraient requises au niveau du contenu et considérant que la lettre recommandée ne contient pas certains éléments (délai d’exécution, risque de se voir attraire en justice) et ne peut donc valoir sommation au sens légal, la cour précise que l’auteur a nuancé ces exigences dans la suite de sa contribution en soulignant le peu de formalisme attaché par la loi à la sommation.

La cour reprend un extrait des développements faits par cet auteur, celui-ci ayant souligné que, s’agissant d’un acte juridique la mise en demeure exige un écrit (contrairement au fait juridique) et que, mise à part cette exigence, elle n’est soumise à aucune autre condition de forme, ne devant même pas contenir des termes comme « mise en demeure » ou « sommation ». L’essentiel est qu’elle contienne l’expression claire et non équivoque de la volonté du créancier. L’auteur exige cependant qu’elle ait un caractère comminatoire, une lettre qui ne traduirait pas clairement la volonté du créancier de donner des suites juridiques à la non-exécution par le débiteur ne pouvant être assimilée à une mise en demeure.

Pour la cour, tel est bien le cas de la décision prise par le C.P.A.S. le 23 mars 2021. Une telle décision constitue une sommation interrompant la prescription. L’indu est dès lors à calculer en fonction de cette date et doit couvrir les cinq années la précédant.

Intérêt de la décision

La loi du 26 mai 2002 contient une disposition spécifique relative au délai de prescription en matière de récupération d’un indu. La règle est le renvoi à l’article 2277 du Code civil pour l’action en remboursement visée à l’article 24, § 1er, de la loi (s’agissant de l’hypothèse de la révision d’un octroi avec effet rétroactif en cas notamment d’omission, de déclarations incomplètes et inexactes de la personne) et également pour l’action visée à l’article 27, al. 1er, de la loi (portant sur le droit propre du C.P.A.S. au remboursement du revenu d’intégration à charge de la personne responsable d’une blessure ou d’une maladie qui a donné lieu au paiement de celui-ci).

Est soumise au même délai de prescription de l’article 2277 du Code civil l’action en remboursement du revenu d’intégration exercée contre les débiteurs d’aliments (qui est également une action exercée en vertu d’un droit propre à celui-ci).

Dès lors cependant qu’une lésion ou une maladie ayant entraîné l’obligation pour le C.P.A.S. de payer le revenu d’intégration sociale résulte d’une infraction, l’action peut être exercée en même temps que l’action pénale et devant le même juge et elle se prescrit conformément à l’article 2262 bis, § 1er, alinéas 2 et 3 du Code civil.

Les diverses prescriptions établies en vertu de l’article 29, § 4 de la loi peuvent être interrompues par une sommation faite soit par lettre recommandée à la poste, soit contre accusé de réception.

Ceci a amené la cour à constater que la seule exigence mise par la loi à la sommation notifiée par écrit est qu’elle soit adressée par lettre recommandée à la poste.

La sommation faite contre accusé de réception est un autre cas, admis comme interruptif de prescription et, pour celui-ci, aucune condition spécifique n’est prévue par le texte.


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