Commentaire de C. trav. Liège (div. Namur), 9 novembre 2023, R.G. 2023/AN/26
Mis en ligne le dimanche 14 juillet 2024
Cour du travail de Liège (division Namur), 9 novembre 2023, R.G. 2023/AN/26
Terra Laboris
Un arrêt de la Cour du travail de Liège (division Namur) du 9 décembre 2023 a examiné la question du point de départ de la prescription de l’action de l’assureur-loi en récupération de versements effectués au titre d’allocations d’incapacité permanente de travail, sur la base du taux admis par lui alors qu’il s’est avéré ultérieurement qu’elles n’étaient pas dues vu l’absence de taux d’incapacité permanente.
Les faits
Un accident du travail, survenu le 25 février 2016, avait été reconnu et fait l’objet d’une décision de l’assureur-loi consolidant les séquelles de celui-ci à la date du 1er octobre 2016, moyennant une incapacité permanente de 3 %. En conséquence, la victime fut indemnisée sur cette base sur pied de l’article 64, § 4, de la loi du 10 avril 1971.
Rétroactes de procédure
Une procédure fut engagée par la victime aux fins de faire fixer les séquelles de l’accident, celle-ci ne marquant pas accord avec le taux retenu par l’assureur-loi.
Le tribunal du travail désigna un expert par jugement du 27 mars 2020.
Dans son rapport, celui-ci considéra que, la lésion retenue étant une contusion du genou droit, celle-ci s’était progressivement résorbée, l’intéressée présentant parallèlement des lésions dégénératives débutantes (donc non traumatiques) ainsi qu’un status post méniscectomie sans lien avec l’accident. Il rejeta l’imputabilité à l’accident de deux interventions chirurgicales et considéra qu’à la date de consolidation, soit le 1er octobre 2016 – date également retenue par l’assureur -, il y avait un retour à l’état antérieur.
Dans le cadre de cette procédure en première instance, l’assureur introduisit une demande reconventionnelle, demandant le remboursement des montants payés au titre d’avance sur l’incapacité permanente. Il s’agit d’un montant de l’ordre de 1 850 €.
Le tribunal statua par jugement du 13 janvier 2013, retenant qu’il n’y avait pas prescription. Celle-ci, de trois ans, n’avait pu commencer à courir, l’entreprise d’assurance étant dans l’obligation légale de procéder au paiement des avances, et ce « à tout le moins » jusqu’au dépôt du rapport d’expertise.
Le tribunal fit dès lors droit à la demande reconventionnelle de l’assureur.
La victime interjette appel.
Position des parties devant la cour
Pour l’appelante, le délai de prescription de l’indu fixé à l’article 69 de la loi du 10 avril 1971 prend cours au moment où le paiement des prestations indues a été effectué. Les conclusions d’instance datant du 15 juin 2021, toutes les allocations payées plus de trois ans avant cette date, soit le 15 juin 2018, ne peuvent être récupérées. En conséquence, seul un montant de l’ordre de 650 € pourrait être récupéré par l’assureur.
Celui-ci considère que la prescription ne peut prendre cours qu’une fois le rapport d’expertise entériné et que préalablement à cette date les paiements ne sont pas des paiements indus dépourvus de cause au sens de l’article 1235 du Code civil mais des paiements effectués sur la base d’une obligation légale prévue à l’article 63 de la loi du 10 avril 1971.
À titre subsidiaire, il plaide que la prescription aurait été suspendue jusqu’au prononcé du jugement ou du dépôt du rapport d’expertise, lui-même étant jusqu’à cette date dans l’impossibilité d’agir.
La décision de la cour
La cour reprend la question de l’indu, en droit.
La première disposition rappelée est l’article 1235, alinéa 1er de l’ancien Code civil, selon lequel « Tout paiement suppose une dette : ce qui a été payé sans être dû est sujet à répétition », principe figurant actuellement à l’article 5.195 du nouveau Code civil sous la formulation « Tout paiement suppose une dette : ce qui a été payé sans être dû est sujet à restitution ».
Viennent ensuite les dispositions de la loi du 10 avril 1971, étant d’une part l’article 24, alinéa 2, relatif à l’allocation annuelle, qui remplace les indemnités journalières à dater du jour où l’incapacité présente le caractère de la permanence (point de départ constaté par l’accord des parties ou par une décision coulée en force de chose jugée) et de l’autre l’article 63 paragraphe 4, qui concerne l’obligation pour l’assureur de payer à titre d’avance l’allocation journalière ou mensuelle.
Cette disposition concerne l’hypothèse d’un litige quant à la nature ou au taux d’incapacité de travail. Est faite ici obligation à l’assureur de payer l’allocation visée à l’article 24 sur la base du taux d’incapacité proposé par lui (cette obligation existant également pour les articles 22, 23, et 23 bis, non concernés ici).
La cour rappelle, à propos de cette obligation à charge de l’assureur, que le paiement des avances n’entraîne pas de reconnaissance de droit. Il ne constitue pas une obligation de payer une allocation éventuellement supérieure à celle qui serait ultérieurement déterminée par une décision judiciaire (rappelant ici C. trav. Mons, 14 janvier 2009, Bull. Ass., 2009, page 267). En effet, les dispositions légales relatives au règlement des indemnités sont d’ordre public et ne peuvent permettre une telle interprétation.
Elle reprend également l’arrêt de la Cour de cassation du 11 juin 2007 (Cass., 11 juin 2007, S.06.0090.N), dans lequel celle-ci enseigne que ce paiement est effectué dans l’attente de la fixation des sommes définitives. Il devra dès lors être imputé sur celles-ci et éventuellement être remboursé dans la mesure où il est supérieur.
La cour en vient ensuite à l’examen de l’espèce, relevant que l’action en répétition des sommes trop versées par l’assureur est fondée quant à son principe.
Se pose cependant la question de la prescription, l’article 69 alinéa premier de la loi disposant que l’action en répétition d’indemnités indues se prescrit par trois ans.
La cour relève que le point de départ de ce délai n’est pas fixé par la loi.
Elle renvoie dès lors à la doctrine et à la jurisprudence majoritaires.
En doctrine, il s’agit de B. GRAULICH : « L’indu : révision d’une décision, prescription de la récupération, modalités de la récupération et renonciation à celle-ci », Regards croisés sur la sécurité sociale, F. Étienne et M, Dumont (dir.), Limal, Anthemis, 2012, page 65 ainsi que de M. JOURDAN, S. REMOUCHAMPS et C. LORGEOUX, Accident du travail : procédure (contentieuse et non contentieuse) et règles de prescription, EPS, n° 2023/4, Wolters Kluwer Belgium, Liège, 2023, pages 344 à 347.
Elle reprend également les tendances rencontrées en jurisprudence. La jurisprudence majoritaire rejoint la doctrine ci-dessus, considérant que le point de départ du délai de prescription de l’action en répétition d’un indu est le paiement lui-même et non le moment où il se révèle.
La cour renvoie notamment à C. trav. Mons, 11 mai 2016, R.G. 2008/AM/21.064, C. trav. Liège, 25 juin 2002, R.G. 19.505/92 et C. trav. Bruxelles, 22 août 2013, R.G. 2011/AB/997).
Elle précise encore que la jurisprudence minoritaire considère que la prescription ne peut commencer à courir qu’une fois établie l’absence de cause des versements effectués de bonne foi par l’entreprise assurance, c’est-à-dire une fois le jugement ou l’arrêt définitif statuant sur la nature ou sur le degré d’incapacité (aucune décision n’étant ici citée).
La cour rejoint le premier courant ci-dessus et fait dès lors droit à l’appel, limitant l’indu au montant admis par l’appelante.
Intérêt de la décision
Une première discussion porte sur le caractère obligatoire pour l’assureur-loi de procéder à des avances en vertu de l’article 63, § 4, de la loi. Celui-ci ne vise cependant que l’hypothèse d’un litige quant à la nature ou au taux d’incapacité de travail de la victime ou quant au degré de nécessité de l’assistance régulière d’une autre personne. Il ne concerne pas le cas où l’assureur-loi, en dehors de tout litige, entreprend de verser, les allocations sur la base du taux d’incapacité permanente reconnu par lui. Ceci a été souligné dans un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 17 avril 2023 (C. trav. Bruxelles, 17 avril 2023, R.G. 2021/AB/279 ), qui a constaté dans l’espèce tranchée où étaient en cause des versements faits dans le cadre de l’incapacité temporaire que les différents paiements faits par l’assureur avaient été effectués avant tout litige, celui-ci n’étant réellement apparu qu’après la proposition d’accord-indemnité notifiée par lui, qui plus est pour une question distincte, celle du taux d’incapacité permanente. Ces paiements n’avaient partant pas été faits au titre d’avances en application de l’article 63, § 4, de la loi et encore moins en exécution d’une obligation légale tirée de cette disposition. Ils avaient été faits d’initiative et sans aucune réserve pour toute la période d’incapacité totale, révélant par là-même la reconnaissance par l’assureur de la durée de celle-ci, reconnaissance en l’espèce confirmée par la suite dans la proposition d’accord – indemnité transmise. Pour la cour du travail de Bruxelles de tels paiements ne sont pas dépourvus de cause et ils ne constituent pas un indu.
La même solution devrait pouvoir se dégager pour des paiements faits en dehors de toute obligation légale, d’initiative et sans aucune réserve, pour ce qui est de l’incapacité permanente. Aucune jurisprudence ne nous semble exister sur la question.
Il peut encore être utile d’ajouter au débat un jugement rendu par le Tribunal du travail de Liège (division Verviers) le 20 février 2020 (Trib. trav. Liège (div. Verviers), 20 février 2020, R.G. 18/199/A), qui a jugé que, s’agissant d’un montant indu en matière d’accident du travail, une distinction doit être faite entre le sort de l’incapacité temporaire et celui de l’incapacité permanente, les avances faites dans le cadre de l’article 63, § 4 de la loi du 10 avril 1971, n’impliquant pas une reconnaissance du droit, mais étant une obligation légale (le tribunal renvoyant à l’arrêt Cour de cassation du 11 juin 2007, n° S.06.0090.N). L’assureur-loi a dès lors le droit de récupérer les sommes allouées au titre d’avances sur la base de l’article précité. L’indu a été limité à la période de 3 ans avant le dépôt des conclusions contenant la demande de répétition, le point de départ de l’action en répétition de l’indu étant la date du paiement et non le moment où l’indu est révélé.
Cette décision aborde le second point d’intérêt de la problématique, qui est le point de départ du délai de prescription. A cet égard la cour a relevé dans l’arrêt commenté deux tendances, rejoignant la jurisprudence et la doctrine majoritaires, qui retiennent le moment du paiement et non celui où l’indu s’est révélé.