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Charte de l’assuré social : étendue des obligations des institutions de sécurité sociale

Commentaire de C. trav. Liège (div. Namur), 7 décembre 2023, R.G. 2023/AN/25

Mis en ligne le dimanche 14 juillet 2024


Cour du travail de Liège (division Namur), 7 décembre 2023, R.G. 2023/AN/25

Terra Laboris

Un arrêt de la Cour du travail de Liège (division Liège) du 7 décembre 2023 rappelle que l’obligation d’information des institutions de sécurité sociale ne comprend pas un contrôle systématique et d’initiative de toutes les données disponibles pour chaque assuré social et qu’elle ne dispense pas cet assuré de faire les déclarations requises par la législation applicable.

Faits de la cause

Mme C. a réduit son temps de travail dans le cadre d’un régime de fin de carrière à mi-temps et bénéficié à ce titre d’une allocation d’interruption de carrière de 191,33 € nette du 1er septembre 2008 au 31 août 2023.

Le 17 janvier 2019, elle complète un formulaire de demande de pension de retraite du régime des fonctionnaires en indiquant comme date d’arrêt des activités le 1er janvier 2020. Cette pension, d’un montant de 2.308,47€ lui est accordée par le Service fédéral des pensions (ci-après SFP) à dater du 1er janvier 2020, selon décision du 9 octobre 2019.

Le 9 novembre 2021, le SFP indique à Mme C. qu’il ressort de renseignements transmis par la Banque-carrefour de sécurité sociale qu’elle cumule sa pension de retraite avec des allocations d’interruption et lui demande si elle souhaite renoncer au bénéfice des allocations d’interruption pour conserver le paiement intégral de sa pension ou demander la suspension de celle-ci pour conserver le bénéfice des allocations d’interruption.

Mme C. répond le 25 novembre 2021 qu’elle renonce aux allocations d’interruption à compter du 1er janvier 2020.

Mme C. communique à l’ONEm le 26 novembre 2021 un formulaire de déclaration de modification de ses données relatives à l’interruption de carrière faisant état de la perception d’une pension à partir du 1er janvier 2020.

Par des décisions des 30 novembre et 20 décembre 2021, l’ONEm l’informe de la révision de son droit aux allocations d’interruption et de la récupération de celles-ci pour la période du 1er janvier 2020 au 31 octobre 2021.

Rétroactes de procédure

Mme C. introduit un recours devant le tribunal du travail de Liège (division Dinant), mettant en cause l’ONEm et le SFP.

Par un jugement du 13 janvier 2023, ce tribunal décide de confirmer la décision de l’ONEm, la pension de retraite n’étant pas cumulable avec les allocations d’interruption. Il exclut l’existence d’une faute dans le chef de ces deux organismes et accueille la demande reconventionnelle de l’ONEm postulant le remboursement des allocations d’interruption indûment payées.

Mme C. introduit contre ce jugement un appel recevable par lequel elle invoque une faute des deux organismes ayant entrainé un dommage, étant la récupération desdites allocations depuis le 1er janvier 2020. Elle sollicite leur condamnation à lui payer, à titre de dommages et intérêts, la somme de 6.071,56 € qu’elle doit rembourser à l’ONEm Subsidiairement, à supposer qu’elle partage la responsabilité de l’indu, elle sollicite que la récupération soit limitée au tiers de cet indu et l’octroi de termes et délais.

L’arrêt commenté

La cour du travail rappelle les règles qui, en l’espèce, interdisent le cumul entre les allocations d’interruption et la pension de retraite : l’article 6 de l’arrêté royal du 12 août 1991 relatif à l’octroi d’allocations d’interruption aux membres du personnel de l’enseignement et des centres psycho-médico-sociaux et les articles 76, 10°,a), et 91, alinéa 1er, de la loi programme du 28 juin 2013.

Elle rappelle également que l’article 17 de la Charte de l’assuré social impose à l’institution de sécurité sociale de revoir une décision erronée. Cette révision s’opère avec un effet rétroactif sous réserve de la prescription si l’assuré social savait ou devait savoir qu’il n’avait pas ou plus droit à l’intégralité de la prestation, ce que l’institution de sécurité sociale doit prouver.

En l’espèce, la révision ne trouve pas sa cause dans une erreur de droit ou matérielle de l’ONEm mais dans la circonstance que Mme C. a demandé l’octroi de sa pension de retraite à partir du 1er janvier 2020, qu’elle n’a pas informé l’ONEm de l’octroi de cette pension et qu’elle a le 25 novembre 2021 renoncé à ses allocations d’interruption depuis ce 1er janvier 2020.

Les allocations d’interruption étaient donc indues à partir de cette date.

L’arrêt examine alors si ces institutions ont, comme soutenu par Mme C., manqué à leur obligation d’information, ce qui lui permettrait de fonder une demande d’indemnisation sur la base de l’article 1382 du Code civil, la Charte de l’assuré social ne prévoyant pas de sanction en cas de manquement des institutions de sécurité sociale aux devoirs qu’elle édicte.

Quant aux obligations mises à leur charge, l’article 3, alinéa 1er de la Charte leur impose un comportement réactif et proactif ; aux termes de l’alinéa 3 de cette disposition, cette obligation « doit être précise et complète afin de permettre à l’assuré social concerné d’exercer tous ses droits et obligations ». Mais cela n’implique pas que l’assuré social puisse s’abstenir de s’informer sur la portée de ses droits ou obligations ou de faire les déclarations requises. L’arrêt cite un arrêt de la Cour de cassation du 23 novembre 2009 (S.07.0115.F).

Or, lorsque l’ONEm a accordé les allocations d’interruption à Mme C., il a informé celle-ci qu’elle devait obligatoirement lui communiquer le bénéfice d’une pension à charge de l’Etat. Le SFP a également informé Mme C. que sa pension était soumise à la législation sur le cumul, dont notamment avec l’indemnité d’interruption de carrière et qu’elle s’était engagée à déclarer toute situation de cumul, engagement qui lui a encore été rappelé ultérieurement.

Il ne peut pas être exigé de chaque institution de sécurité sociale un contrôle systématique et d’initiative de toutes les données disponibles pour chaque assuré social. Mme C. ne peut donc imputer à faute à l’ONEm et au SPF de ne pas avoir consulté les données de la Banque-carrefour de la sécurité sociale. L’arrêt se réfère à un arrêt de la cour du travail de Mons du 3 février 2022 (R.G. 2020/AM/340).

L’appel de Mme C. est en conséquence déclaré non fondé tant en ce qui concerne sa demande principale que sa demande subsidiaire.

Intérêt de la décision

Le caractère indu des allocations d’interruption à partir du 1er janvier 2020 ne semblait pas contesté, du moins en degré d’appel. L’arrêt commenté aborde néanmoins, références doctrinales et jurisprudentielles à l’appui, la légalité de la décision de révision de l’ONEm.

Mais son intérêt principal est de circonscrire les limites des obligations d’information contenues dans l’article 3, alinéa 1er de la Charte, qui ne permettent pas à l’assuré social de s’abstenir de faire les déclarations requises et qui n’impliquent pas, dans le chef des institutions concernées, un contrôle systématique et d’initiative de l’ensemble des données disponibles pour chaque assuré social.

Mme C. a été informée par le SFP et l’ONEm des règles de non-cumul et de ses obligations de déclaration. En outre, si même ces organismes avaient cette obligation, cela n’exonère en rien l’assuré social de son obligation de déclaration.

Elle est donc condamnée à rembourser à l’ONEm la totalité de l’indu, le SPF est mis hors cause et la demande subsidiaire de termes et délais est jugée déraisonnable.


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