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Pension de conjoint séparé et exercice d’une activité professionnelle

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 23 octobre 2023, R.G. 2022/AL/318

Mis en ligne le dimanche 14 juillet 2024


Cour du travail de Liège (division Liège), 23 octobre 2023, R.G. 2022/AL/318

Terra Laboris

Un arrêt de la Cour du travail de Liège (division Liège) du 23 octobre 2023 rappelle les conditions de cumul de revenus perçus dans le cadre d’une activité professionnelle avec une pension de retraite de conjoint séparé.

Les faits

Une assurée sociale s’est vu notifier le 2 mai 2018 une décision d’octroi d’une pension de conjoint séparé à partir du 1er avril 2018. Ce montant correspond à la moitié du montant au taux ménage.

Le SFP précisait que, selon les données de la banque Carrefour de la sécurité sociale, il avait été constaté qu’elle ne résidait plus à la même adresse que son époux depuis le 19 mars.

Il lui fut demandé de renvoyer le document intitulé " Modèle 74 – déclaration d’activité professionnelle et de prestations sociales », celle-ci exerçant une activité professionnelle par ailleurs.

Le document fut renvoyé le 23 août 2018, par les deux époux, qui précisaient vivre à nouveau sous le même toit.

Le SFP notifia dès lors une décision de révision du droit à la pension de conjoint séparé à partir du 1er août 2018, vu la réinscription à l’adresse du conjoint depuis le 8 juillet.

Le 3 octobre 2018, l’épouse fit parvenir un nouveau formulaire, précisant qu’elle avait cessé l’exercice de son activité professionnelle le 20 septembre, ajoutant que le formulaire précédent avait été signé sous la contrainte de son futur ex conjoint.

Le 24 mai 2019, celle-ci ayant pris un domicile séparé, une nouvelle décision d’octroi de pension de conjoint séparé intervint.

Il fut mis fin au paiement de celle-ci le 28 octobre 2019, vu la transcription 10 jours auparavant du divorce dans les registres de l’État civil.

Un autre motif de révision de la pension pour le passé apparut le 29 juillet 2020, étant que les revenus professionnels de l’intéressée avaient dépassé la limite maximum autorisée.

Les prestations ont dès lors été suspendues pour deux périodes (1er avril 2018 – 31 juillet 2018 et 1er janvier 2019 – 31 octobre 2019).

La poursuite de l’activité professionnelle était en effet intervenue avec perception de revenus de l’ordre de 13 345 € en 2018 et 10 460 € en 2019. Vu le dépassement de la limite autorisée, la pension fut suspendue en totalité.

Une décision de récupération intervint alors le 23 septembre 2020.

Un recours fut introduit devant le tribunal du travail de Liège (division Liège).

Le jugement du tribunal

Le tribunal a réformé la première décision (29 juin 2020) considérant, pour la première période que la décision administrative est justifiée (suspension de la pension au taux ménage) mais limite celle-ci à 11 % du montant versé (au lieu de la moitié) et, pour la seconde période, il a jugé que l’intéressée peut bénéficier de la moitié de la pension du conjoint.

L’appel

Le SFP interjette appel, demandant le rétablissement des deux décisions administratives et le remboursement d’un montant de l’ordre de 8 340 €.

L’avis du ministère public

M l’Avocat général considère que l’intéressée n’élevait pas ses propres enfants (au sens de l’article 55ter de l’arrêté royal du 21 décembre 1967 portant règlement général du régime de pension de retraite et de survie des travailleurs salariés), ce qui aurait permis de tenir compte du plafond majoré.

Il conclut au fondement de l’appel.

La décision de la cour

La cour reprend les conditions d’octroi de la pension de retraite au conjoint séparé ainsi que les règles de récupération.

La question est visée à l’article 25, al. 1er et 2 de l’arrêté royal n° 50 et aux articles 74, § 1er, alinéa 1er, 4°, et § 2, de l’arrêté royal du 21 décembre 1967 ainsi qu’à ses articles 64 et 55ter, cette dernière disposition étant relative à la prise en compte de l’enfant élevé par le bénéficiaire de la pension.

Enfin, les règles de récupération figurent à l’article 21, § 3, de la loi du 13 juin 1966 relative à la pension de retraite et de survie des ouvriers, des employés, des marins naviguant sous pavillon belge, des ouvriers mineurs et des assurés libres.

La thèse du SFP est que les premiers juges ne pouvaient majorer les plafonds des revenus professionnels pouvant être perçus par le conjoint séparé, au motif que l’intéressée n’avait pas ses enfants à charge. Ce serait ainsi à tort qu’ils ont constaté qu’il n’y avait aucun dépassement pour 2018 et que seul un léger dépassement existait pour 2019 (11 %).

La cour examine dès lors cette contestation (en l’absence de l’intimée, qui ne comparait pas et est sans conseil).

Les chiffres indiquent incontestablement que le plafond (de base) des revenus professionnels est dépassé. Celui-ci peut être augmenté conformément à la règle en vigueur en cas de pension de survie (disposition qui permet au conjoint survivant de percevoir une allocation de transition).

La cour procède dès lors à la vérification de la réalisation de la condition légale, étant de savoir si l’intéressée « élève son propre enfant ou un enfant adopté légalement (pour lequel elle n’est pas en droit de toucher des allocations familiales) ».

Il faut que le bénéficiaire qui exerce l’activité professionnelle considérée ait la charge principale d’au moins un enfant dans les conditions exigées pour les conjoints survivants à l’article 55ter.

La cour note que cette notion ne fait pas l’objet de précision dans l’arrêté royal du 3 juillet 2014 (arrêté royal portant exécution de la réforme de la pension de survie et de l’allocation de transition dans le régime de pension des travailleurs salariés et modifiant divers arrêtés royaux).

Cependant, même si la notion est imprécise, les éléments apportés par l’intéressée ne sont pas suffisants (jugement établissant qu’elle est la mère de trois enfants résidant au Congo Brazzaville, ainsi que trois paiements effectués (300 € en 2020, 200 € en 2018 et 60 € en 2020 - ce dernier étant fait à un tiers), eu égard à l’irrégularité et à la faiblesse du montant de l’aide financière en trois ans.

Dès lors, il n’y a pas lieu d’appliquer les majorations, de telle sorte que l’intéressée ne pouvait bénéficier de la moitié de la pension de retraite de son époux en tant que conjoint séparé, ce dernier ne pouvant plus percevoir qu’une pension au taux isolé.

La cour rappelle que le paiement de cette moitié de pension est subordonné à l’arrêt de toute activité professionnelle autre que celle autorisée au sens de l’article 64 de l’arrêté royal du 21 décembre 1967 (qui contient les limites de plafond autorisé).

L’on ne peut dès lors appliquer cet article 64 en son § 6, qui permet de réduire le montant de la pension du pourcentage de dépassement de la limite annuelle.

La cour conclut au fondement de l’appel et fait droit à la demande de récupération, objet de la seconde décision administrative.

Intérêt de la décision

L’article 74 de l’arrêté royal du 21 décembre 1967portant règlement général du régime de pension de retraite et de survie des travailleurs salariés permet au conjoint séparé de corps ou de fait d’obtenir le paiement d’une part de la pension de retraite de son conjoint à certaines conditions, dont celles (i) d’avoir cessé toute activité professionnelle autre que celle qui est autorisée au sens de l’article 64 et de ne pas bénéficier d’une indemnité pour cause de maladie, d’invalidité ou de chômage involontaire par application d’une législation belge ou étrangère de sécurité sociale ni d’une allocation pour cause d’interruption de carrière ou de réduction des prestations de travail et (ii) d’être domicilié officiellement à une adresse distincte.

L’article 64 du même arrêté reprend les conditions de paiement des pensions et contient notamment les règles relatives aux revenus professionnels cumulables, ainsi que celles concernant la majoration du plafond lorsque le bénéficiaire ‘ a la charge principale d’au moins un enfant dans les conditions qui, conformément à l’article 55ter, sont requises des conjoints survivants qui obtiennent de ce chef l’octroi d’une allocation de transition (…)’.

Comme la cour l’a souligné, la notion de ‘charge principale’ n’est pas précisée. Il appartient dès lors au juge de trancher en fait.

Relevons, enfin sur la question de l’octroi, qu’il n’y a aucun âge minimum pour bénéficier de la pension de conjoint séparé et que celle-ci est payable tant que le divorce n’aura pas été transcrit au registre national.


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