Commentaire de C.J.U.E., 16 mai 2024, Aff. n° C-27/23 (FV c/CAISSE POUR L’AVENIR DES ENFANTS), EU:C:2024:404
Mis en ligne le lundi 12 août 2024
C.J.U.E., 16 mai 2024, Aff. n° C-27/23 (FV c/CAISSE POUR L’AVENIR DES ENFANTS), EU:C:2024:404
Un arrêt de la Cour de justice du 16 mai 2024 rappelle le principe d’égalité de traitement entre travailleurs : un travailleur frontalier, bénéficiant des prestations familiales dans l’État membre où il exerce son activité salariée, doit être traité de la même manière que les nationaux pour ce qui est des conditions de perception de celles-ci, s’agissant en l’espèce d’un enfant placé suite à une décision judiciaire d’un autre État membre.
Les faits
Un travailleur frontalier résidant en Belgique et travaillant au Luxembourg, dépendant ainsi du régime luxembourgeois pour les allocations familiales, bénéficie de celles-ci pour un enfant placé au sein de son foyer suite à une décision judiciaire belge.
Le 7 février 2017, le bénéfice de ces allocations lui est retiré avec effet rétroactif au 1er août 2016 au motif que l’enfant ne présente pas de lien de filiation avec l’intéressé et n’a dès lors pas la qualité de ‘membre de la famille’ au sens du code luxembourgeois.
Une procédure est introduite et en première instance la décision est réformée.
Elle est cependant confirmée le 27 janvier 2022 par le Conseil supérieur de la sécurité sociale.
Un pourvoi en cassation est introduit par le travailleur.
Dans sa décision du 19 janvier 2023, la Cour de cassation expose qu’un enfant résident a un droit direct au paiement des prestations familiales mais que, s’agissant d’un enfant non-résident, un tel droit n’est prévu qu’au titre de droit dérivé, et ce pour les ‘membres de la famille’ du travailleur. Les enfants placés dans le foyer de celui-ci par décision judiciaire ne sont pas inclus.
La Cour de cassation renvoie à l’arrêt du 2 avril 2020 (C.J.U.E., 2 avril 2020, C-802/18 (CAISSE POUR L’AVENIR DES ENFANTS c/ f.v.e.G.W., EU:C:2020:269) et demande si cette différence de traitement est conforme au droit de l’Union. Il ressortirait en effet de cet arrêt qu’il est faut entendre par ‘enfant d’un travailleur frontalier’ également celui qui a un lien de parenté avec le conjoint ou le partenaire enregistré du travailleur lorsque ce dernier pourvoit à son entretien.
La Cour de cassation pose dès lors une question préjudicielle.
La question préjudicielle
La Cour de justice est interrogée sur le point de savoir si le principe d’égalité de traitement garanti par l’article 45 TFUE et l’article 7, paragraphe 2, du Règlement n° 492/2011 ainsi que l’article 67 du Règlement n° 883/2004 et l’article 60 du Règlement d’application n° 987/2009 s’opposent à des dispositions d’un État membre en vertu desquelles un travailleur frontalier ne peut percevoir d’allocations familiales dans le régime des travailleurs salariés correspondant à leur activité dans cet État membre pour les enfants placés auprès d’eux par une décision judiciaire, et ce alors que tous les enfants ayant fait l’objet d’un placement par décision judiciaire et résidant dans le même État membre ont le droit de percevoir cette allocation, celle-ci étant versée à la personne physique ou morale investi de la garde de l’enfant et auprès de laquelle il a son domicile légal ainsi que sa résidence effective et continue.
La Cour est encore invitée à préciser si la réponse à la question est susceptible d’être impactée par le fait que le travailleur frontalier pourvoit à l’entretien de cet enfant.
La décision de la Cour
La Cour écarte d’abord le renvoi fait au Règlement n° 883/2004 et à son règlement d’application, les dispositions visées concernant non la situation du travailleur lui-même mais celle des membres de sa famille résidant dans un autre État membre.
Elle en vient à la nature de l’allocation familiale, étant qu’il s’agit d’un avantage social au sens de l’article 7, paragraphe 2, du Règlement n° 492/2011 et qu’elle constitue également une prestation de sécurité sociale relevant des prestations familiales visées à l’article 3 du Règlement n° 883/2004.
Renvoi est fait à son arrêt du 2 avril 2020 (C.J.U.E., 2 avril 2020, Aff. C–802/18, CAISSE POUR L’AVENIR DES ENFANTS, EU:C : 2020:269), où elle a rappelé que le principe d’égalité de traitement prohibe à la fois les discriminations directes (fondées sur la nationalité) et les formes indirectes de discrimination qui, par l’application d’autres critères de distinction, aboutissent au même résultat.
En vertu du principe de la libre circulation des travailleurs, ceux qui font usage de ce droit et exercent une activité salariée dans un État membre doivent y bénéficier des mêmes prestations que les ressortissants de celui-ci, la Cour renvoyant ici à son arrêt du 16 juin 2022 (C.J.U.E., 16 juin 2022, Aff. C–328/20, COMMISSION/AUTRICHE, EU:C:2022:468).
Elle constate qu’en l’occurrence les travailleurs non-résidents ne profitent pas des allocations familiales dans les mêmes conditions que les travailleurs résidents pour ce qui est des enfants placés dans leur foyer. Seuls le seraient ceux nés dans le mariage, hors mariage ou encore adoptés, ceux-ci étant considérés en vertu de la loi nationale comme des membres de la famille.
Il s’agit d’une différence de traitement susceptible de jouer davantage au détriment des ressortissants d’autres États membres, dans la mesure où les non-résidents sont le plus souvent des non-nationaux et, donc, d’une discrimination indirecte fondée sur la nationalité.
La circonstance qu’il s’agit d’un enfant placé par une décision judiciaire d’un autre État membre est sans incidence.
La Cour souligne encore que les autorités compétentes luxembourgeoises sont tenues de reconnaître une décision de placement d’un autre État membre.
La discrimination indirecte étant retenue, la Cour passe ensuite à l’examen de son éventuel objet légitime ainsi que de l’exigence qu’elle ne peut aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif. Or rien n’est produit en ce sens par l’État luxembourgeois.
La Cour répond, dès lors, que les dispositions visées du T.F.U.E. et du Règlement n° 492/2011 ne permettent pas une telle différence de traitement.
La circonstance que le travailleur non-résident pourvoit à l’entretien de cet enfant ne peut être prise en compte pour un enfant placé dans son foyer que si la législation nationale applicable prévoit une telle condition pour un travailleur résident qui aurait reçu la garde d’un enfant placé dans son foyer.
Intérêt de la décision
La Cour rappelle que les travailleurs frontaliers contribuent au financement des politiques sociales de l’État d’accueil, et ce par leurs contributions fiscales et sociales, vu l’activité salariée exercée.
Ils doivent donc pouvoir bénéficier des prestations familiales ainsi que des avantages sociaux et fiscaux de la même manière que les travailleurs nationaux.
La différence de traitement constatée en l’espèce est contraire au droit de l’Union.
La Cour a précisé deux éléments importants, étant que :
• la circonstance que la décision de placement émane d’une juridiction d’un autre État membre que l’État d’accueil n’a pas d’incidence et que
• celle que le travailleur frontalier pourvoit lui-même à l’entretien de l’enfant placé dans son foyer ne peut entrer en ligne de compte que si cette condition existe également pour un travailleur résident, placé dans les mêmes conditions.