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Effet direct d’une disposition de droit européen

Commentaire de C.J.U.E., 29 février 2024, Aff. n° C-549/22 (X c/ RAAD VAN BESTUUR VAN DE SOCIALE VERZEKERINGSBANK), EU:C:2024:184

Mis en ligne le lundi 12 août 2024


C.J.U.E., 29 février 2024, Aff. n° C-549/22 (X c/ RAAD VAN BESTUUR VAN DE SOCIALE VERZEKERINGSBANK), EU:C:2024:184

Dans un arrêt du 29 février 2024, la Cour de Justice rappelle sa jurisprudence constante quant aux conditions requises pour qu’une disposition de droit européen puisse se voir reconnaître un effet direct, permettant qu’elle soit invoquée par le justiciable devant le juge national.

Les faits

La requérante est domicilié en Algérie. Son conjoint, qui avait travaillé aux Pays-Bas, y était assuré sur le plan de la sécurité sociale au moment de son décès. Elle bénéficie en conséquence d’une prestation de survie de conjoint survivant.

Ses droits ont été rétablis avec effet rétroactif suite à une procédure judiciaire, la prestation ayant été supprimée le 1er novembre 2012.

L’institution de sécurité sociale prit plus tard une décision nouvelle le 19 septembre 2018, informant l’intéressée de la réduction de cette pension à compter du 1er janvier 2013, au motif qu’elle aurait dû être versée selon le principe du pays de résidence.

Celui-ci prévoit un paiement en fonction d’un pourcentage exprimé en fonction du coût de la vie dans le pays par rapport à celui aux Pays-Bas. Il s’agit, pour l’Algérie, de 60 % du montant maximal de la prestation à partir du 1er janvier 2013 et de 40 % de celui-ci à partir du 1er janvier 2016.

L’intéressée a introduit une procédure contestant cette décision.

La décision de la juridiction de renvoi

Le Centrale Raad van Beroep (cour d’appel en matière de sécurité sociale et de fonction publique) interroge la Cour de Justice.

Celle-ci constate que les parties sont en désaccord sur la question de savoir si l’Accord d’association CE–Algérie s’oppose en son article 68, paragraphe 4, à la réduction de la pension sur la base du principe du pays de résidence.

Elle s’interroge d’abord sur le champ d’application personnel de cette disposition, étant qu’elle vise uniquement les travailleurs et non les membres de leur famille.

Par ailleurs, si tel était le cas, elle se demande si seuls les survivants résidant aux Pays-Bas bénéficient du libre transfert des montants de la prestation vers l’Algérie ou si ceux qui y résident peuvent également invoquer cette disposition.

Ensuite, la cour pose la question de l’effet direct de l’article 68, soulignant que le contenu matériel des principes qui y sont énoncés ainsi que les modalités de coopération entre les États parties à l’accord sont régis par une décision du conseil d’association.

Cependant, renvoyant à diverses décisions de la jurisprudence de la Cour de Justice, elle se demande si certains éléments de cette disposition ne sont pas susceptibles d’avoir un effet direct, dont l’interdiction de discrimination en matière de sécurité sociale.

Enfin, se pose également la question de la licéité des clauses de résidence.

Les questions préjudicielles

La cour pose trois questions relatives à l’article 68, paragraphe 4, de l’accord d’association.

La première porte sur le point de savoir s’il s’applique à la veuve d’un travailleur, qui réside en Algérie et souhaite exporter sa prestation de survie vers ce pays.

La deuxième, posée dans l’hypothèse où la réponse à la première question est affirmative, concerne le point de savoir si la disposition a un effet direct permettant aux personnes auxquelles elle s’applique de s’en prévaloir directement devant les juridictions des États membres pour faire écarter l’application des règles de droit national contraires.

La troisième, toujours en cas de réponse affirmative à la question précédente, concerne l’interprétation de la disposition, étant de savoir si elle s’oppose à l’application du principe du pays de résidence, qui entraîne une limitation de l’exportation de la prestation de survive.

La réponse de la Cour de Justice

La Cour répond d’abord à la deuxième question, relative à l’effet direct de la disposition.

Celle-ci permet aux travailleurs de nationalité algérienne de bénéficier du libre transfert vers l’Algérie, au taux appliqué en vertu de la législation de l’État membre débiteur, des pensions et rentes de vieillesse, de survie ainsi que de risque professionnel, à l’exception des prestations spéciales à caractère non contributif.

Le mécanisme adopté par l’accord d’association est de faire arrêter par le conseil d’association, et ce avant la fin de la première année après l’entrée en vigueur de l’accord, les dispositions permettant d’en assurer l’application ainsi que les modalités d’une coopération administrative entre les parties contractantes.

La Cour constate qu’aucune disposition n’a en l’espèce été arrêtée avant la fin de la première année suivant le 1er septembre 2005 (date d’entrée en vigueur).

Elle en vient ainsi aux principes relatifs à l’effet direct d’une disposition, ainsi que jugé de manière constante dans sa jurisprudence, étant qu’une disposition d’un accord conclu par l’Union avec des États tiers doit être considérée comme étant d’application directe lorsque, eu égard à ses termes ainsi qu’à l’objet et à la nature de l’accord, elle comporte une obligation claire et précise qui n’est pas subordonnée, dans son exécution ou dans ses effets, à l’intervention d’un acte ultérieur (citant ici notamment son arrêt Akdas (C.J.U.E., 26 mai 2011, Aff. n° C–485/07, (RAAD VAN BESTUUR VAN HET UITVOERINGSINSTITUUT WERKNEMERSVERZEKERINGEN c/ H. AKDAS ET ALII), EU:C:2011:346).
L’accord contient une obligation de résultat claire et précise, qui consiste à permettre aux intéressés de bénéficier du transfert vers l’Algérie des pensions inhérentes visées par la disposition, et ce au taux appliqué en vertu de la législation de l’État membre débiteur. Cette obligation n’est subordonnée ni dans son exécution ni dans ses effets à l’intervention d’un acte ultérieur.
Le rôle dont le conseil d’association est investi est de faciliter le respect du droit au libre transfert mais ne peut être considéré comme conditionnant l’application immédiate de ce droit (renvoyant par analogie à son arrêt KZIBER (C.J.U.E., 31 janvier 1991, Aff. n° C–18/90 (OFFICE NATIONAL DE L’EMPLOI (ONEM) c/ KZIBER), EU:C:1991:36).

L’accord témoigne d’une volonté de renforcer et d’approfondir les objectifs de l’accord de coopération CEE – Algérie (accord précédent) et doit être considéré comme confirmant l’effet direct du droit au libre transfert vers l’Algérie des prestations inhérentes visées à la disposition.

Les personnes auxquelles elle s’applique peuvent dès lors s’en prévaloir directement devant les juridictions des États membres pour faire écarter l’application des règles de droit national contraires.

Sur la première question, la Cour conclut que la disposition s’applique lorsque le conjoint survivant réside dans l’État membre débiteur mais qu’il irait à l’encontre de la logique sous-tendant le principe même du libre transfert des prestations vers un État étranger d’exiger que le bénéficiaire soit tenu de résider dans cet État membre débiteur. Elle s’applique dès lors au survivant d’un travailleur qui, souhaitant transférer la prestation de survie vers l’Algérie, n’est pas travailleur et réside en Algérie.

Enfin, sur la troisième question, la Cour relève que selon les termes mêmes de l’article 68, les prestations peuvent être transférées vers l’Algérie « au taux appliqué en vertu de la législation de l’État membre (ou des États membres) débiteur(s) ».

Il en découle que l’État membre débiteur dispose d’une marge d’appréciation pour établir les règles relatives au calcul du montant des prestations.

La disposition permet dès lors de prévoir des règles - telles que la règle basée sur le principe du pays de résidence - visant à adapter le montant de celles-ci à l’occasion du transfert. Ces règles doivent cependant respecter la substance du droit sans priver celui-ci de son effet utile (la Cour renvoyant ici encore par analogie à son arrêt du 8 mai 2003 (C.J.U.E., 8 mai 2003, Aff. n° C–438/00 (DEUTSCHER HANDBALLBUND EV c/ KOLPAK,) EU:C:2003:255).

La prestation est fixée, en l’espèce, en fonction du coût de la vie aux Pays-Bas et vise à garantir au conjoint survivant un revenu de base calculé en fonction du coût de la vie dans cet État membre. Le fait d’adapter le montant pour tenir compte du coût de la vie dans le pays tiers n’apparaît pas susceptible de vider de sa substance le droit au libre transfert pour autant que la détermination du taux soit basée sur des éléments objectifs, ce qu’il appartient, selon la Cour, à la juridiction de renvoi de vérifier.

La réponse à la troisième question est dès lors que la disposition examinée ne s’oppose pas à la réduction du montant d’une prestation de survie en raison du fait que le bénéficiaire réside en Algérie lorsque la prestation vise à garantir un revenu de base calculé en fonction du coût de la vie dans l’État membre débiteur et que la réduction ainsi opérée respecte la substance du droit au libre transfert.

Intérêt de la décision

L’Accord d’association C.E. – Algérie du 22 avril 2002 a remplacé dès son entrée en vigueur (1er septembre 2005 – date de sa parution au J.O.U.E.) l’Accord de coopération entre la Communauté économique européenne et la République algérienne démocratique et populaire du 26 avril 1976.

L’intérêt de l’arrêt commenté est de rappeler qu’il a un effet direct, en son article 68, paragraphe 4, cette disposition pouvant ainsi être invoquée devant les juridictions nationales aux fins de faire écarter – le cas échéant – une disposition de droit interne contraire.

La Cour de Justice a rappelé dans cet arrêt du 29 février 2024 sa jurisprudence en la matière, les conditions de l’effet direct étant bien définies : elle a en effet jugé dans divers arrêts, dont l’arrêt Akdas, ci-dessus, qu’une disposition d’un accord conclu par l’Union avec des États tiers doit être considérée comme étant d’application directe lorsque, eu égard à ses termes ainsi qu’à l’objet et à la nature de l’accord, elle comporte une obligation claire et précise qui n’est subordonnée, dans son exécution ou dans ses effets, à l’intervention d’aucun acte ultérieur.

Tel est le cas de l’article 68, paragraphe 4, de l’accord d’association, qui contient le droit au libre transfert vers l’Algérie des prestations de sécurité sociale visées par la disposition. L’on notera que seules les prestations spéciales à caractère non contributif sont exclues, le texte mentionnant expressément les pensions et rentes de vieillesse, les pensions de survie ainsi que les indemnités et rentes en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle.


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