Commentaire de Trib. trav. Brabant wallon (div. Nivelles), 18 avril 2024, R.G. 23/30/A
Mis en ligne le mercredi 14 août 2024
Trib. trav. Brabant wallon (div. Nivelles), 18 avril 2024, R.G. 23/30/A
Le tribunal du travail du Brabant wallon rappelle, dans un jugement du 18 avril 2024, que la non-justification de la prolongation d’une absence pour incapacité de travail ne peut être en elle-même assimilée à un abandon de poste entraînant un acte équipollent à rupture.
Les faits
Une travailleuse, prestant pour une société de titres services depuis le 5 novembre 2018, déménage avec effet au 1er avril 2022. Par courriel du 24 mars, son époux a avisé la société de sa nouvelle adresse (courriel rappelé le 1er avril).
Le 4 janvier, elle avait adressé un certificat médical justifiant une absence pour incapacité de travail de quelques jours, au motif de « grossesse, fatigue (premier trimestre) ».
La société reçoit ultérieurement trois autres certificats médicaux, allant jusqu’au 31 mars 2022.
C’est à ce moment que l’époux a signalé le changement d’adresse, et ce pour l’envoi de documents sociaux.
La travailleuse invoquera ultérieurement avoir transmis de nouveaux certificats médicaux mais aucune preuve ne figure au dossier.
Le 5 avril 2022, une mise en demeure lui est envoyée à son ancienne adresse, constatant une absence injustifiée. Le courrier précise qu’à défaut de réaction, l’employeur déduira une volonté de ne pas poursuivre la relation de travail. Ce courrier retournera à l’employeur avec la mention « non réclamé » ainsi qu’une nouvelle lettre de mise en demeure, identique, envoyée le 19 avril 2022.
Le 2 mai, toujours à l’ancienne adresse, l’employeur envoie un courrier constatant un acte équipollent à rupture en raison de l’abandon de poste. Le courrier, comme les précédents, retournera à l’expéditeur avec la mention « non réclamé ».
En juin, l’époux de l’intéressée reprend contact avec la société, rappelant le déménagement et s’étonnant du fait qu’elle n’a pas perçu ses indemnités de mutuelle depuis fin mars 2022.
Son conseil intervient rapidement un peu plus tard, contestant la situation. Il réclame une indemnité compensatoire de préavis ainsi qu’une indemnité de protection de la maternité.
Les parties restant sur leur position, une procédure est introduite devant le tribunal du travail du Brabant wallon.
La décision du tribunal
Le tribunal examine, en premier lieu, la question de l’acte équipollent à rupture, rappelant que ce mode de rupture se fonde sur plusieurs dispositions (articles 32, 3°, 17, 1°, 20, 1°, LCT ainsi que 1134 CC et 5.73 CC). Cette dernière disposition impose aux parties d’exécuter de bonne foi le contrat qui les lie, chacune d’elles devant dans son exécution se comporter comme le ferait une personne normalement prudente et raisonnable placée dans les mêmes circonstances et nul ne pouvant abuser des droits qu’il tire du contrat. Le texte poursuit que toute dérogation est réputée non écrite.
Après un rappel des deux formes de ce mode de rupture (inexécution fautive ou modification unilatérale d’un élément essentiel du contrat), le tribunal en vient à la question de la mise en demeure du débiteur de l’obligation (défaillant). Celle-ci s’impose dans la mesure où la volonté de rompre le contrat dans le chef du travailleur pourra se déduire d’une absence de réponse à une - voire plusieurs – mise(s) en demeure. Le tribunal souligne cependant que cette règle n’est pas absolue et que la Cour de cassation l’a confirmé, lorsqu’il ressort notamment de la nature de la convention ou des circonstances de la cause que l’exécution en nature de l’obligation contractuelle est devenue impossible ou inutile pour le créancier. De nombreuses décisions sont citées, dans la jurisprudence ancienne de la Cour, la plus récente étant l’arrêt du 22 mars 1985 (Cass., 22 mars 1985, n° 4417).
Le tribunal ajoute que la partie qui a constaté à tort l’acte équipollent à rupture devient elle-même l’auteur de celle-ci sans qu’il soit nécessaire qu’elle ait eu la volonté de rompre le contrat (référence étant ici faite à l’arrêt de la Cour de cassation du 10 mars 2014 (Cass., 10 mars 2014, S.12.0019.N).
En l’espèce, après le 31 mars 2022, la travailleuse reste en défaut d’établir la communication à l’employeur de quatre certificats médicaux (allant jusqu’au 16 juin 2022). L’article 31 LCT lui imposait des obligations précises à cet égard et l’intéressée y a manqué.
Ce manquement n’entraîne cependant pas par lui-même la rupture du contrat sauf s’il devait traduire sa volonté de ne pas en poursuivre l’exécution. La preuve d’une telle volonté doit être rapportée par la société mais cette preuve n’est pas rapportée, en l’espèce.
Un employeur prudent et diligent d’une structure à taille raisonnable devait au retour de la première mise en demeure tenter de prendre contact avec la travailleuse.
Renvoyant à un arrêt de la Cour du travail de Liège (section Namur) du 27 mars 2000 (C. trav. Liège (sect. Namur), 27 mars 2000, Chron. Dr. Soc., 2001, page 557) , le tribunal juge que si l’absence de réaction d’un travailleur invité à justifier ses absences au travail peut être considérée comme constituant un congé tacite dans son chef, c’est à la condition qu’il ait bien reçu les mises en demeure de l’autre partie ou, plus précisément, qu’il ait valablement été atteint par les courriers au moyen desquels celle-ci l’a mis en demeure de respecter ses obligations.
L’indemnité compensatoire de préavis est dès lors due.
La demanderesse ayant également postulé une indemnité de protection de maternité, le tribunal constate que depuis le 4 janvier 2022 l’employeur était informé de la situation et que par ailleurs il savait que l’état de grossesse était la cause de l’incapacité de travail.
Cependant, l’intéressée n’ayant pas justifié de cette incapacité à partir du 1er avril 2022, le tribunal retient une faute dans son chef, faute qui a amené l’employeur à poser l’acte de rupture. L’absence de justification de l’incapacité travail est dès lors la cause de celle-ci, à l’exclusion de toute référence à l’état de grossesse.
Enfin, en ce qui concerne les dépens, le tribunal fait de longs développements, renvoyant à un arrêt de la Cour de cassation du 16 janvier 2023 (Cass., 16 janvier 2023, C.21.0193. F), selon lequel en vertu des articles 1017 et 1138, 2°, du Code judiciaire ainsi que du principe dispositif, le juge statue sur la charge des dépens indépendamment de toute demande des parties.
Le juge ne peut cependant liquider de son propre chef les dépens si ceux-ci n’ont pas fait l’objet d’un relevé détaillé déposé. Le tribunal rappelle également que la compensation des dépens est possible lorsqu’aucune des parties n’obtient totalement gain de cause et il renvoie encore ici à un arrêt de la Cour de cassation (Cass., 19 janvier 2012, F.10.0142.N), selon lequel la compensation des dépens peut être appliquée simplement lorsque le demandeur n’obtient pas totalement gain de cause. L’intéressée échoue en l’espèce sur certains chefs de demande, n’obtenant gain de cause qu’à concurrence de 33 %. Les dépens doivent dès lors être proratisés.
Intérêt de la décision
Ce jugement rappelle une nouvelle fois les risques liés à un constat d’acte équipollent à rupture dans l’hypothèse où ce constat aurait été effectué à tort.
Dans un arrêt du 8 janvier 2020 (C. trav. Bruxelles, 8 janvier 2020, R.G. 2017/AB/242), la Cour du travail de Bruxelles a souligné – ce qui est repris dans le jugement – que la partie qui constate à tort un acte équipollent à rupture devient l’auteur même de celle-ci sans qu’il soit nécessaire de constater qu’elle ait eu la volonté de rompre le contrat. Elle est dès lors redevable d’une indemnité de rupture à l’autre partie (à la condition cependant que celle-ci en fasse la demande). En l’espèce, l’employeur avait estimé – à tort – que le travailleur avait exprimé sa volonté de ne plus poursuivre l’exécution du contrat. La cour avait considéré que dans le contexte d’un travailleur victime d’un hold-up au travail ayant entraîné des séquelles psychologiques qui avaient justifié des incapacités de travail répétées, l’employeur n’avait pas pu déduire de l’absence au travail de celui-ci non couverte par un certificat médical et de l’absence de réponse aux lettres adressées en période habituelle de vacances sur une période d’à peine huit jours que le travailleur avait exprimé sa volonté de ne plus poursuivre l’exécution du contrat.
Dans l‘espèce commentée, la travailleuse n’a pas valablement été mise en demeure de justifier de la prolongation de son absence (vu l’erreur d’adresse - et le retour à l‘employeur). Ces courriers de mise en demeure – qui ne sont pas toujours nécessaires comme le reprend le tribunal – sont cependant à tout le moins indiqués dès lors que c’est un manquement contractuel et légal qui est invoqué (l’absence de justification) et qu’il incombe à l‘employeur d’établir, à partir de ceux-ci, la volonté de la travailleuse de ne plus poursuivre l’exécution du contrat.
Ce manquement est par ailleurs tempéré dans ses effets dans la mesure où il est par ailleurs admis qu’existe une présomption de poursuite de cette incapacité et qu’il appartient à l’employeur de s’enquérir du motif de l’absence prolongée.
Rappelons encore un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 30 mai 2016 (C. trav. Bruxelles, 30 mai 2016, R.G. 2014/AB/470), selon lequel en l’absence de tout autre élément indiquant une volonté de rompre le contrat, un manquement du travailleur à ses obligations en matière de justification de son incapacité de travail ne peut s’analyser automatiquement en un abandon d’emploi.