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Exclusion des allocations de chômage et limites de la récupération

Commentaire de C. trav. Bruxelles (8e chbre), 6 mars 2024, R.G. 2017/AB/353

Mis en ligne le mercredi 14 août 2024


C. trav. Bruxelles (8e chbre), 6 mars 2024, R.G. 2017/AB/353

Terra Laboris

Dans un arrêt du 6 mars 2024, la cour du travail est amenée, une fois de plus, à rappeler que l’exclusion du bénéfice des allocations de chômage ne peut être prononcée que dans les limites de la prescription

Faits de la cause

M. E.M. est malentendant et ne peut s’exprimer que par signes. Il a vécu chez ses parents avec ses frères et sœurs jusqu’à ses 28 ans puis, afin de concilier son besoin d’indépendance avec les contraintes de son handicap, il s’est installé, à partir du 1er juin 2007, dans un appartement séparé dans le même immeuble, qui appartient en totalité à ses parents.

Sur la base de sa déclaration, les allocations au taux isolé lui ont été accordées à partir de ce 1er juin.

Il s’est marié religieusement au Maroc le 13/08/2009 avec Mme E.B. Celle-ci l’a rejoint en Belgique et ils se sont mariés civilement à Bruxelles le 19 juin 2010. M. E.M. a en conséquence reçu les allocations au taux charge de famille au 1er juin 2010.

En septembre 2010, son épouse demande à pouvoir vivre séparément et à se voir allouer un secours, que le juge de paix fixe à 890 €. Le divorce est prononcé le 18 novembre 2011.

Le 29 mai 2012, M. E.M. déclare habiter seul à la même adresse et perçoit les allocations au taux isolé jusqu’au 30 novembre 2014.

Il travaille à partir du 1er décembre 2014 et ne perçoit plus d’allocations.

En août 2015, l’ONEm constate que les déclarations du chômeur ne correspondent pas aux données de la Banque Carrefour de la Sécurité sociale et, après lui avoir permis de faire valoir ses arguments en défense, l’exclut :

  • du droit aux allocations au taux isolé du 1er juin 2007 au 26 mai 2010 et à partir du 9 mai 2012 ;
  • du droit aux allocations au taux ayant charge de famille du 27 mai 2010 au 28 mai 2012.
    La récupération des allocations est ordonnée pour la période du 1er octobre au 30 novembre 2014. Une sanction administrative de 13 semaines est prononcée sur la base de l’article 153 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991.

La motivation de cette décision est d’une part, pour les périodes où il a été indemnisé comme isolé, qu’il ne disposait pas d’une boîte aux lettres distincte dans l’immeuble en sorte qu’il a toujours cohabité avec ses parents et frères et sœurs et, pour la période où il a été indemnisé au taux chef de ménage, qu’il n’a jamais vécu avec Mme E.B.

M. E.M. a soumis cette décision au tribunal du travail francophone de Bruxelles, qui, par jugement de la 17e chambre du 10 mars 2017, a confirmé la décision contestée sous la réserve que la sanction administrative a été réduite à 8 semaines.

M. E.M. a formé contre ce jugement un appel recevable. L’ONEm a introduit une demande reconventionnelle de condamnation pour un montant de 10.495,65€.

L’arrêt commenté

La cour du travail écarte la thèse de l’ONEm que le chômeur n’aurait jamais vécu avec son épouse en se fondant sur le jugement de la justice de Paix d’Anderlecht qui autorise celle-ci à résider séparément, au motif que ceci n’a de sens que parce que, comme le constate cette décision, Mme E.B. s’est installée avec son époux le 1er juin 2010.

La faute du chômeur a été de déclarer tardivement qu’il ne vivait plus avec celle-ci, ce qui a eu pour conséquence l’octroi indu d’allocations au taux charge de famille.

Mais la question centrale est si, compte tenu des circonstances de la cause, M. E.M. devait être considéré comme cohabitant avec ses parents et ses frères et sœurs ou comme isolé en dehors de cette courte période de cohabitation.

Compte tenu de la bonne foi du chômeur, l’ONEm a en effet retenu la prescription triennale pour ce qui concerne la récupération, limitée donc à une partie des allocations perçues depuis le 1er octobre 2012.

La cour du travail relève que le chômeur ne disposait certes pas d’une boîte aux lettres distincte mais prouve sa situation d’isolé à la date du 1er octobre 2012 par divers éléments : contrat de bail, paiement d’un loyer à ses parents, factures d’énergie à son nom, acceptation de la résidence séparée par la commune…

L’arrêt annule donc la récupération des allocations perçues du 1er octobre 2012 au 30 novembre 2014 pour la différence entre les taux d’indemnisation isolé et cohabitant et déboute l’ONEm de sa demande reconventionnelle en récupération d’un indu.

La cour du travail aborde ensuite la thèse de l’ONEm qui soutient que l’exclusion remonte toujours à la date du début de l’infraction constatée et serait donc imprescriptible, ce qui lui permettrait de « poser ce qu’il qualifie de ‘simples constats matériels’ au-delà des limites de la prescription ».

La cour du travail rappelle qu’aux termes de l’article 149, § 3, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 la révision d’une décision n’a d’effet que pour autant que la prescription ne soit pas acquise.

La cour du travail se réfère à des arrêts de la 8e chambre de la Cour du travail de Bruxelles ayant décidé qu’à peine de vider de toute substance la prescription du droit d’ordonner la répétition des allocations de chômage indument perçues, celle-ci inclut la prescription du droit d’invoquer son soutènement (citant entre autres C. trav. Bruxelles (8e ch.), 24 avril 2019, R.G. 2017/AB/842, Chron. Dr. soc., 2020, p. 208 et C. trav. Bruxelles (8e ch.), 7 avril 2022, R.G. 2020/AB/458, Terralaboris).

La solution contraire risquerait en effet « de porter gravement atteinte aux droits des chômeurs de rapporter la preuve de leur situation, ceux-ci n’étant pas supposés conserver indéfiniment les preuves d’éléments tels que leurs achats d’alimentation, la configuration de leur lieu de vie ou de leur boîte aux lettres, etc. ».

L’arrêt relève également que c’est seulement depuis le 1er mars 2017 que les organismes de paiement sont tenus de confronter les déclarations des assurés sociaux au registre national et au registre de la Banque-Carrefour de la sécurité sociale et d’interpeller les assurés sociaux en cas de discordance (cfr article 134ter de l’arrêté royal du 25.11.1991).

La décision de l’ONEm est donc annulée en ce qu’elle exclut M. E.M. du droit aux allocations comme travailleur isolé du 1er juin 2007 au 26 mai 2010 et à partir du 29 mai 2012 et comme travailleur ayant charge de famille du 27 mai 2010 au 28 mai 2012.

En ce qui concerne la sanction administrative pour la tardiveté de la déclaration de la fin de la cohabitation avec son épouse, la cour du travail la réduit à un simple avertissement compte tenu de l’absence d’antécédents du chômeur, de sa bonne foi et des difficultés manifestes qu’il rencontre dans ses démarches administratives en raison de sa situation de malentendant.

Intérêt de la décision commentée

L’arrêt analysé condamne une fois de plus la thèse de l’ONEm quant à son droit de « poser ce qu’il qualifie de ‘simples constats matériels’ au-delà des limites de la prescription », thèse déjà condamnée par plusieurs arrêts de cette chambre.

On précisera que le Ministère public avait, dans le litige tranché par la 8e chambre de la cour le 7 avril 2022 précité, soutenu « qu’il ressort des dispositions légales que l’article 7, § 13, alinéa 2, de l’arrêté-loi ne vise que les actions en récupération, mais pas les décisions d’exclusion. L’article 149, § 3, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 ne renverrait donc pas, pour ce qui concerne la décision d’exclusion, à la prescription triennale de l’article 7, § 13, alinéa 2, de l’arrêté-loi. Selon cette interprétation, l’article 149, § 1er, 3°, de l’arrêté royal s’appliquerait à la décision d’exclusion sans devoir tenir compte du délai de prescription de trois ou cinq ans prévu à l’article 7 de l’arrêté-loi.
L’effet rétroactif de la décision d’exclusion pourrait ainsi valablement remonter, indépendamment de la prescription applicable au droit de l’ONEm d’ordonner la répétition, jusqu’à la date de l’octroi erroné ou irrégulier des allocations ou jusqu’à la date à laquelle le chômeur ne satisfaisait pas ou ne satisfaisait plus à toutes les conditions requises pour pouvoir bénéficier des allocations » (conclusions reproduites dans l’arrêt).


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