Commentaire de Cass., 25 mars 2024, n° S.23.0025.F
Mis en ligne le mercredi 14 août 2024
Cass., 25 mars 2024, n° S.23.0025.F
Terra Laboris
Dans un arrêt du 25 mars 2024, la Cour de cassation, saisie d’un pourvoi contre un arrêt rendu par la Cour du travail de Mons le 1er février 2023 (R.G. 2022/AM/93), reprend les conditions de prise en charge d’aménagements demandés par une personne handicapée, étant que ceux-ci doivent excéder ce que devrait, dans les mêmes circonstances, exposer une personne valide.
Les faits
Un assuré social demanda en 2021 l’intervention de l’AVIQ dans le coût de l’aménagement des voies d’accès à son domicile, s’agissant de la transformation d’un terrain privé en emplacement de parking devant son habitation, celle-ci étant érigée en recul et précédée d’un jardinet avec allée, bordé par un muret.
L’AVIQ a refusé cette aide individuelle à l’intégration, renvoyant à l’article 786 du Code réglementaire wallon de l’action sociale et de la santé.
L’Agence a rappelé que les frais doivent être encourus en raison du handicap, étant qu’il faut démontrer un lien de causalité entre les coûts pour lesquels son intervention est réclamée et une déficience ou une limitation fonctionnelle.
D’autres conditions sont également exigées, étant que les frais doivent constituer des dépenses supplémentaires à celles qu’une personne valide encourt dans des circonstances identiques, ce qui implique, selon le texte, qu’il faut pouvoir démontrer un surcoût par rapport à une personne sans handicap. Enfin, ces frais doivent être jugés nécessaires aux activités de la personne handicapée et/ou à sa participation à la vie en société.
En l’espèce, elle conclut que la prestation n’est pas justifiée par le handicap et qu’elle ne peut dès lors être considérée comme nécessaire aux activités et/ou à la participation à la vie en société de l’intéressé, ne constituant pas par ailleurs des frais supplémentaires à ce qu’une personne valide encourt dans des circonstances identiques.
Plus concrètement encore l’AVIQ souligne que l’intéressé souhaite la création d’une place de parking pour éviter le risque de traverser la route et que ceci n’est en rien lié à la situation du handicap mais est davantage une question de sécurité.
Un recours est introduit par l’intéressé devant le tribunal du travail du Hainaut, division de Charleroi qui, par jugement du 1er février 2022, déboute le demandeur.
Il interjette appel.
La décision de la Cour du travail de Mons
La cour accueille l’appel, jugeant que l’AVIQ doit, sur le plan des principes, accorder à l’intéressé l’intervention demandée. Elle réserve à statuer sur le montant de l’intervention.
Dans sa décision, elle rappelle l’article 278 du Code wallon de l’action sociale et de la santé, qui fixe les critères de prise en compte de la demande de la personne handicapée, étant qu’interviennent notamment (i) la nature de l’aide requise, (ii) le degré de nécessité des prestations sollicitées, (iii) leur coût supplémentaire à celui qu’une personne handicapée encourt dans des situations identiques, (iv) l’existence d’autres interventions légales et réglementaires ainsi encore que (v) l’importance des ressources de la personne handicapée.
La cour reprend également les dispositions pertinentes du Code réglementaire wallon de l’action sociale et de la santé, étant ses articles 784, 785 et 786, § 1er. Cette dernière disposition précise que la prise en charge de l’aide individuelle à l’intégration est accordée à la personne handicapée pour les frais qui, en raison de son handicap, sont nécessaires à ses activités et/ou à sa participation à la vie en société. Les frais visés constituent des frais supplémentaires à ce qu’une personne valide encourt dans des circonstances identiques.
La cour examine longuement la situation de l’intéressé, et ce au regard des critères ci-dessus, étant de savoir si, placée dans les mêmes circonstances, une personne valide présenterait les mêmes besoins d’aménagement d’un emplacement de parking privatif devant son immeuble.
Elle souligne que toute personne normalement valide prend des risques lorsqu’elle traverse une route fréquentée, comme en l’espèce. Elle constate cependant que, sans cet aménagement, l’intéressé est amené à prendre un risque disproportionné et/ou à rencontrer une difficulté excessive par rapport à une personne normale pour regagner son domicile après avoir garé son véhicule, et ce a fortiori lorsqu’il est chargé.
La cour rappelle les affections dont il est atteint, dont notamment une polynévrite diabétique occasionnant des douleurs au niveau des jambes et des épaules.
Elle conclut que l’intéressé ne court pas un risque identique à une personne valide dans de telles circonstances et qu’il n’est pas confronté à des difficultés semblables à celles rencontrées par elle.
En conséquence, il a besoin d’un aménagement spécifiquement caractérisé et imposé par son handicap, ne s’agissant pas d’un aménagement que toute personne non handicapée devrait ou pourrait envisager selon les usages généralement admis pour assurer son confort, sa facilité et sa sécurité dans des circonstances identiques, une personne valide placée dans les mêmes circonstances ne présentant en effet pas les mêmes besoins.
Contrairement à une personne valide, qui peut se garer sans difficulté de l’autre côté de la rue et la traverser sans encourir un risque inconsidéré à condition d’être prudent, l’appelant doit en raison de son handicap pouvoir se garer au plus près de son logement et réduire au maximum la distance à franchir ainsi que diminuer le degré le danger aggravé encouru en traversant la chaussée (requête en cassation –7e feuillet).
Le pourvoi en cassation
L’AVIQ développe un moyen unique de cassation fondé sur les dispositions ci-dessus ainsi que sur l’article 149 de la Constitution.
Dans sa première branche, le pourvoi fait grief à la cour du travail de ne pas avoir rencontré le moyen déduit de ce que plusieurs voisins avaient effectué les mêmes travaux, faisant que ce type de travaux était habituel pour une personne valide placée dans les mêmes circonstances (violation de l’article 149 de la Constitution).
La deuxième branche renvoie aux deux conditions distinctes et cumulatives de la prise en charge figurant à l’article 786, § 1er du Code réglementaire, le demandeur d’aide devant établir non seulement que les travaux sont nécessaires à ses activités et/ou sa participation à la vie en société mais également qu’ils excèdent ce que devrait, dans les mêmes circonstances, exposer une personne valide. Le fait que l’aménagement demandé correspond aux besoins de la personne handicapée ne suffit pas à justifier l’intervention de l’AVIQ.
La décision de la Cour de cassation
La Cour de cassation rappelle les articles 278 du Code wallon de l’action sociale et de la santé ainsi que 785 et 786, § 1er, alinéa 1er, du Code réglementaire wallon de l’action sociale et de la santé.
Elle énonce qu’il découle de ces dispositions que des frais nécessaires en raison du handicap aux activités de la personne handicapée ou à sa participation à la vie en société ne sont pris en charge que s’ils excèdent ce que devrait, dans les mêmes circonstances, exposer une personne valide.
Elle reprend ensuite les constatations faites par la cour du travail, étant l’existence d’importantes difficultés de déplacement en raison de différentes affections (reconnues par le SPF sécurité sociale comme entraînant une perte d’autonomie de deux points et impliquant le recours important à des équipements particuliers), la circonstance que l’intéressé habite au bord d’une route très fréquentée où le stationnement doit se faire du côté opposé à celui de l’habitation ainsi que l’existence d’un risque disproportionné ou d’une difficulté excessive par rapport à une personne normale. Elle rejette la seconde branche du pourvoi, concluant que la cour du travail a vérifié que les frais litigieux constituent des dépenses supplémentaires à celles qu’une personne valide encourrait dans les mêmes circonstances et qu’elle a ainsi justifié légalement sa décision que l’intervention devait être accordée.
La Cour rejette ensuite brièvement la première branche, au motif que la cour du travail a répondu aux conclusions du demandeur et n’était pas tenue de répondre en outre à l’argument déduit des aménagements effectués par les voisins.
Intérêt de la décision
L’intérêt de l’espèce ayant donné lieu à cet arrêt de la Cour de cassation est le rappel qu’elle contient des conditions d’intervention de l’AVIQ dans le remboursement de frais d’assistance personnelle exposés par une personne souffrant d’un handicap, dès lors qu’il y a lieu de comparer ceux-ci avec ceux qu’exposerait une personne valide.
Rappelons à cet égard un arrêt de la Cour du travail de Liège (division Liège) du 12 avril 2023 (C. trav. Liège (div. Liège), 12 avril 2023, R.G. 2022/AL/393 – précédemment commenté) rendu à propos d’une demande de boîte de vitesses automatique sur un véhicule hybride, alors que l’intéressée bénéficiait déjà d’une boîte automatique sur un véhicule de série.
La cour du travail avait, pour ce qui est du surcoût, renvoyé à un arrêt de la Cour de cassation du 16 mars 2015 (Cass., 16 mars 2015, S.14.0049.F – précédemment commenté) et repris les conclusions de M. l’Avocat général GENICOT, pour qui il s’agit d’empêcher que le handicap ne fasse pas supporter à la collectivité des aménagements que toute personne non handicapée devrait ou pourrait en tout état de cause envisager selon les usages généralement admis ou les normes imposées dans des circonstances identiques.