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Conditions d’opposabilité d’un un accord de coopération entre institutions de sécurité sociale

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 8 janvier 2024, R.G. 2023/AB/335

Mis en ligne le mercredi 14 août 2024


C. trav. Bruxelles, 8 janvier 2024, R.G. 2023/AB/335

Terra Laboris

Un arrêt du 8 janvier 2024 de la Cour du travail de Bruxelles rappelle que, à défaut de publication, un accord de coopération entre institutions de sécurité sociale n’est pas opposable à l’assuré social.

Les faits

Une personne âgée de 94 ans introduit le 5 mai 2020 une demande auprès de l’État belge (SPF Sécurité sociale, Direction générale des personnes handicapées).

Elle indique dans le formulaire de demande qu’il s’agit d’une « reconnaissance de mon handicap ».

L’État belge lui répond par courrier du 12 octobre 2020, se référant à une « demande d’attestations ». Il lui fait parvenir une attestation de reconnaissance de handicap (14 points de réduction d’autonomie lui ayant été reconnus à partir du 1er juin 2020).

L’intéressée réintroduit une demande le 27 septembre 2020, précisant dans le formulaire qu’il s’agit d’une « demande à l’administration communale (ou éventuellement une mutuelle) d’argent/allocations avec visite médicale ».

L’État belge lui adresse une réponse dans le cadre de sa « demande d’attestations », renvoyant une attestation de reconnaissance d’un handicap, datée du 24 juin 2021 (avec reconnaissance de 14 points de réduction d’autonomie à partir du 1er janvier 2021).

L’Office bicommunautaire de la santé, de l’aide aux personnes et des prestations familiales (Iriscare) lui répond, pour sa part, dans le cadre de sa « demande d’allocations pour l’aide aux personnes âgées », que son droit est reconnu à partir du 1er janvier 2021, une allocation annuelle de l’ordre de 4 900 € lui étant octroyée à partir de cette même date, et ce jusqu’au 30 juin 2021.

Iriscare lui délivre également une attestation lui permettant de bénéficier du tarif social pour le gaz et l’électricité.

L’intéressée introduit une procédure devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles le 22 octobre 2021.

La procédure en première instance

La demanderesse étant décédée le 13 juin 2022, plusieurs reprises d’instance sont faites par ses enfants, réclamant le paiement des arrérages – décès relativement aux termes échus et non payés.

Le SPF sécurité sociale les informe en cours d’instance que la gestion des nouvelles demandes d’allocations pour l’aide aux personnes âgées ainsi que celle des paiements en cours sont devenues de la compétence des Régions.

Le jugement du tribunal du travail

Le tribunal statue par jugement du 29 mars 2023. Il accueille la reprise instance pour un seul héritier seulement et reconnaît le droit à une allocation (APA) de catégorie 3 à partir du 1er juin 2020, les arriérés devant être versés à son ayant droit.

Iriscare interjette appel.

La décision de la cour

La cour aborde successivement trois points.

Le premier est relatif à l’objet de la demande initiale, le second porte sur l’examen de l’arrêté du 28 janvier 2021 du Collège réuni de la Commission communautaire commune et le troisième sur la compétence d’Iriscare pour octroyer l’allocation pour l’aide aux personnes âgées.

Quant à l’objet de la demande initiale, la cour examine le formulaire d’introduction de la demande qui a dû être rentré auprès du SPF Sécurité sociale. Elle constate que celui-ci manque de clarté et que le SPF était également conscient de ce problème et du risque dans le chef de personnes handicapées de ne pas réclamer certains droits.

Elle relève plus précisément qu’alors que dans sa deuxième demande (27 décembre 2020) elle avait coché la rubrique " demande d’argent/allocations », elle a reçu en réponse un courrier du SPF faisant référence à une demande d’attestations.

La cour conclut que ce que l’intéressée a demandé dans son formulaire rempli le 5 mai 2020 est l’octroi d’allocations aux personnes handicapées.

Elle examine ensuite l’article 46 de l’arrêté du 28 janvier 2021 du Collège réuni de la Commission communautaire commune portant exécution de l’ordonnance du 10 décembre 2020 relative à l’allocation pour l’aide aux personnes âgées.

Cette disposition contient les conditions auxquelles, en cas de décès du bénéficiaire, les arrérages d’allocations peuvent être payés à un tiers. Parmi ceux-ci figurent les enfants avec lesquels le défunt vivait au moment du décès. De même, la personne qui a payé les frais funéraires.

L’ayant droit pour lequel l’action a été jugée recevable en première instance a effectivement payé ceux-ci. Il a en outre satisfait à une autre condition spécifique, qui est de remplir un formulaire (formule 191) en vue d’obtenir le paiement des arrérages décès dans le délai de six mois après celui-ci.

La cour constate que l’ensemble des conditions légales sont remplies dans son chef.

Elle en vient ainsi au dernier point en débat, étant la compétence d’Iriscare pour octroyer les allocations pour l’aide aux personnes âgées.

Elle rappelle l’historique de la sixième réforme de l’État, dans laquelle les Communautés ont reçu de nouvelles compétences au 1er juillet 2014 en la matière, la Commission communautaire commune étant devenue compétente pour la Région bruxelloise.

Celle-ci a créé par ordonnance du 23 mars 2017 (dont la cour souligne qu’elle est entrée en vigueur le 1er avril 2018) l’Office bicommunautaire de la santé, de l’aide aux personnes et des prestations familiales. Celui-ci est doté de la personnalité juridique et dénommé Iriscare. Il est notamment compétent pour la politique des handicapés (dans les limites fixées par le texte).

Lorsque l’intéressée a introduit sa première demande pour obtenir des allocations, le 5 mai 2020, Iriscare était donc déjà compétent.

Vu la mauvaise interprétation faite par le SPF sécurité sociale, elle n’a pas perçu l’allocation pour la période du 1er juin au 31 décembre 2020.

La cour note que l’article 46 de l’arrêté du Collège réuni de la Commission communautaire commune ne fait pas de distinction selon qu’une demande d’arrérages porte sur des allocations relatives à une période antérieure au 1er janvier 2021 ou à partir de cette date.

Iriscare contestant devoir prendre en charge les allocations en cause et renvoyant la balle au SPF sécurité sociale en raison de l’existence d’un protocole de coopération entre les deux organismes (protocole du 27 janvier 2021), la cour s’interroge sur la valeur de celui-ci. Le document – qui n’a pu être examiné qu’après avoir été déposé à l’audience et à la demande de la cour - n’a pas été publié. Aussi celle-ci pose-t-elle la question de savoir en quoi pareil protocole non publié conclu entre les deux institutions en vue de régir leurs relations en matière d’allocations aux personnes âgées est opposable à l’ayant droit et s’il est une source de droit qui pourrait lier des tiers.

Elle répond par la négative, soulignant que si le législateur admet que l’État, les Communautés et les Régions puissent conclure des accords de coopération (article 92 bis, § 1, alinéa 1er de la loi de réformes institutionnelles du 8 août 1980), ces accords n’ont en vertu du même texte (alinéa 2) d’effet qu’après avoir reçu l’assentiment législatif. La cour renvoie encore à la jurisprudence du Conseil d’État (dont notamment C.E., 13 février 2008, n° 179. 544), selon laquelle pour qu’un accord de coopération produise des effets, l’assentiment à celui-ci doit émaner de l’ensemble des assemblées législatives concernées.

La cour rejette dès lors le protocole invoqué, concluant qu’il n’est pas opposable à l’intimé.

En conséquence Iriscare est condamné à payer les arriérés, à majorer des intérêts judiciaires.

Intérêt de la décision

L’enseignement de cet arrêt porte sur l’opposabilité de l’accord de coopération intervenu entre le SPF sécurité sociale et Iriscare (en l’espèce Protocole du 27 janvier 2021) quant à la prise en charge des allocations aux personnes handicapées, vu la modification de compétences intervenue dans le décours de la sixième réforme de l’État.

La jurisprudence du Conseil d’État, rappelée par la cour, est constante, confirmant la nécessité pour un tel accord d’avoir été approuvé par l’ensemble des assemblées législatives concernées. À défaut, il n’est pas une source de droit susceptible d’imposer des obligations aux tiers. L’assuré social n’est, en conséquence, pas tenu d’y avoir égard.
C’est dès lors à juste titre que la cour a conclu qu’à défaut de publication, cet accord doit être écarté.


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