Commentaire de C. trav. Liège (div. Namur), 30 janvier 2024, R.G. 2023/AN/46
Mis en ligne le mercredi 14 août 2024
C. trav. Liège (div. Namur), 30 janvier 2024, R.G. 2023/AN/46
Terra Laboris
Un arrêt de la cour du travail de Liège (division Namur) du 30 janvier 2024 rappelle les mesures exceptionnelles prises dans le cadre de la loi du 7 mai 2020, aux fins de permettre notamment aux pensionnés d’entamer ou d’étendre une activité dans les entreprises des secteurs cruciaux ou dans les services essentiels.
Les faits
Le 16 juillet 2019, le SFP a notifié à un travailleur une décision d’octroi de pension de retraite dans le secteur des travailleurs salariés. À la notification sont jointes plusieurs informations relatives notamment au montant maximum autorisé de revenus professionnels cumulables.
L’intéressé signale qu’il va poursuivre l’exercice d’une activité professionnelle, les revenus étant limités au maximum autorisé. Il s’agit d’une activité de travailleur salarié.
Il s’avère par la suite que les revenus perçus ont dépassé le montant cumulable, de telle sorte que le SFP procède à une révision de la pension. Pour l’année 2019, le montant maximum autorisé a été dépassé de 17 %, la pension devant dès lors être réduite à due concurrence. Ce pourcentage est supérieur pour l’année 2020, étant alors de 36 %.
Le SFP précise qu’ayant procédé à une estimation des revenus professionnels pour 2021, la pension sera réduite préventivement de 88 % pour cet exercice. Il est suggéré à l’intéressé, en cas de désaccord, de faire parvenir une estimation des revenus à percevoir pendant cette année.
Le SFP notifie dans la foulée un indu de l’ordre de 16 500 €.
L’assuré social ayant envoyé une estimation des revenus professionnels, la révision du montant de la pension pour cette année lui est communiquée, celle-ci étant ramenée à un montant de l’ordre de 12 400 €. L’indu est par ailleurs légèrement réduit à 12 100 €.
Une procédure est introduite par l’intéressé devant le tribunal du travail de Liège, division Namur.
En cours de procédure, le SFP corrigera par deux décisions les montants en cause, réduisant ceux-ci. Les revenus de l’année 2021 étant alors connus, le montant maximum autorisé est dépassé de 62 % et la pension est dès lors réduite à concurrence de ce montant.
Le SFP procède également à une nouvelle estimation pour l’année 2022 (66 %).
La décision du tribunal
Par jugement du 9 mars 2023, le tribunal du travail dit pour droit que pour l’application de l’article 64 de l’arrêté royal du 21 décembre 1967 les montants perçus pour la période du 1er mars 2020 au 31 mars 2022 doivent être neutralisés. Le tribunal ordonne une réouverture des débats pour le surplus.
Dans sa motivation, il précise que le travailleur, qui a conclu plusieurs contrats à durée déterminée pendant la période d’exception prévue par la loi du 7 mai 2020, a entamé une activité contre le COVID-19 au sens de celle-ci et que les revenus perçus pour la période concernée peuvent dès lors être cumulés.
L’appel
Le SFP interjette appel, sollicitant que le jugement soit mis à néant et que ses deux décisions soient rétablies.
Il reprend les montants maxima autorisés.
Sur l’application de la loi du 7 mai 2020, il rappelle que le législateur a admis que les revenus professionnels perçus pendant la période du 1er mars 2020 au 31 mars 2022 n’interviennent pas dans le cadre des cumuls prévus par la réglementation en matière de pension à deux conditions, étant d’une part que ceux-ci proviennent d’une activité entamée (ou augmentée) pendant la période en cause dans le cadre de la lutte contre le COVID-19 et de l’autre que l’activité exercée concerne un secteur essentiel pour la nation.
Le SFP conteste que la première condition soit remplie, au motif que l’intéressé n’a ni entamé ni augmenté son activité professionnelle mais qu’il a accompli des heures complémentaires dans le cadre de la lutte contre le COVID. Les services du SFP se sont basés sur les affirmations de l’employeur, confortées par d’autres éléments. Il s’appuie sur les travaux préparatoires, qui donnent un seul exemple, étant celui d’un infirmier pensionné qui n’exerce plus aucune activité et qui offre de reprendre le travail vu l’importance des malades admis en hôpital.
Pour le SFP cette situation est différente de celle de l’intimé, vu que celui-ci avait prévu d’exercer son activité après sa pension et qu’il n’a jamais cessé de l’exercer. Il a presté en qualité de chauffeur d’autocar dans le cadre de transports scolaires, et ce par le biais de contrats à durée déterminée successifs. Il n’a donc jamais réellement cessé d’exercer son activité.
Quant à l’intimé, il fait valoir que son activité relevait d’une entreprise de services essentiels et qu’elle a été entamée dans le cadre de la lutte contre le COVID, ayant été lié par un contrat à durée déterminée jusqu’au 3 avril 2020 et s’étant ensuite retrouvé sans emploi. Une reprise de travail est intervenue le 18 mai à la demande de l’employeur, demande répétée ultérieurement et ayant entraîné la conclusion de divers contrats à durée déterminée. Il estime que sa situation est identique à celle visée par les travaux préparatoires (milieu infirmier).
La décision de la cour
Après un bref rappel des dispositions pertinentes de la loi du 13 juin 1966 relative à la pension de retraite et de survie des ouvriers, des employés, des marins naviguant sous pavillon belge, des ouvriers mineurs et des assurés libres, la cour en vient rapidement à l’examen de la loi du 7 mai 2020 portant des mesures exceptionnelles dans le cadre de la pandémie COVID–19 en matière de pensions, pensions complémentaires et autres avantages complémentaires en matière de sécurité sociale.
Celle-ci prévoit notamment en son article 3, § 1er, que pour l’application du cumul de certaines prestations visées spécifiquement (dont les pensions de retraite et de survie dans le secteur des travailleurs salariés), il n’est pas tenu compte des revenus provenant d’une activité professionnelle exercée à partir du 1er mars 2020 pour autant que celle-ci ait été entamée ou étendue dans le cadre de la lutte contre le coronavirus COVID–19 et pour autant que cette activité professionnelle soit exercée dans l’une des entreprises des secteurs cruciaux ou dans les services essentiels visés par un arrêté ministériel du 23 mars 2020 (arrêté portant des mesures d’urgence pour limiter la propagation du coronavirus COVID-19) ou tout autre arrêté ministériel ultérieur contenant également des mesures d’urgence.
La limite dans le temps est fixée du 1er mars 2020 au 31 mars 2022.
La cour reprend un extrait des travaux préparatoires explicitant la volonté du législateur, celui-ci renvoyant à l’activité exercée (entamée ou étendue) dans l’une des entreprises des secteurs cruciaux ou dans les services essentiels.
Deux exemples sont donnés, étant celui d’une collaboratrice d’une entreprise de pompes funèbres et celui d’un infirmier pensionné qui n’exerce plus d’activité professionnelle et qui vu le grand nombre de malades admis dans la clinique où il était occupé autrefois offre de reprendre le travail dans celle-ci pendant cette période.
La cour souligne également l’intervention d’un membre de la commission parlementaire ad hoc, qui a précisé que dans le cadre de la crise du COVID toute aide était la bienvenue et qu’il était une bonne chose assouplir temporairement les règles de cumul de manière à ce que les pensionnés puissent être occupés dans les métiers essentiels. Il fut également relevé par un autre membre que ces pensionnés prenaient des risques, ce qui ne pouvait être sanctionné.
Après ce rappel législatif, la cour examine la situation de l’intimé, constatant que celui-ci a presté dans un secteur qualifié d’essentiel pour la nation. Elle relève que la situation particulière des pensionnés occupés dans le cadre de contrats à durée déterminée n’a pas expressément été abordée par le législateur.
Dans les faits, cependant, la fin du contrat à durée déterminée de l’intéressé se situait au 3 avril 2020 et celui-ci était alors libre de ne plus conclure un nouveau contrat. Il l’a cependant fait et a ainsi continué à assurer le fonctionnement de l’un des secteurs essentiels de la nation vu qu’il a entamé une activité avec effet au 18 mai 2020 (date de conclusion du contrat suivant).
La cour rejette dès lors l’appel du SFP, confirmant le jugement du tribunal.
La question de décompte est renvoyé à une réouverture des débats.
Intérêt de la décision
Ce cas particulier de cumul a été prévu par la loi du 7 mai 2020, qui a pris des mesures exceptionnelles dans le cadre de la pandémie COVID–19. La proposition de loi (Proposition de loi portant des mesures exceptionnelles en matière de pension dans le cadre de la pandémie COVID–19, Doc. Parl., Ch. Représ., 15 avril 2020, DOC 55 1159/00)1 a rappelé le principe de l’interdiction de cumul (sauf maximum autorisé) de revenus d’une activité professionnelle avec une pension de retraite ou de survie.
Vu l’urgence de la situation, le travail rémunéré en cas de reprise de travail à la demande d’organismes divers (dans les hôpitaux et les crèches notamment) ou même de volontariat était soumis au respect de ces règles et pouvait avoir pour conséquence qu’une personne verrait sa pension diminuée et même suspendue. La situation exceptionnelle de celles-ci, qui se sont engagées dans la société, a amené le législateur à écarter la règle de limitation de cumul aux revenus produits par ces activités.
Ceci vise l’activité du titulaire ou du conjoint.
En l’espèce, la question était de préciser néanmoins les droits de l’intéressé, engagé chez le même employeur dans le cadre de contrats à durée déterminée successifs, et ce dans la mesure où le texte vise l’activité entamée ou étendue. Comme l’a relevé la cour, la situation particulière d’un pensionné occupé dans le cadre de contrats à durée déterminée n’a pas été abordée par le législateur. La question d’une éventuelle discrimination n’a pas du faire l’objet de l’examen de la cour, puisque dans les faits, l’intéressé avait vu son contrat précédent se terminer quelque temps auparavant et avait – précisément à la demande de l’employeur d’ailleurs - conclu un nouveau contrat pendant la période considérée.