Commentaire de C.J.U.E., 12 octobre 2023, Aff. n° C-45/22 (HK c/ SERVICE FÉDÉRAL DES PENSIONS), EU:C:2023:772
Mis en ligne le mercredi 28 août 2024
Cour de Justice de l’Union européenne, 12 octobre 2023, Aff. n° C-45/22 (HK c/ SERVICE FÉDÉRAL DES PENSIONS), EU:C:2023:772
Terra Laboris
Un arrêt du 12 octobre 2003 de la Cour de Justice de l’Union européenne donne l’interprétation à réserver à l’article 55, paragraphe un, sous a) du règlement n° 883/2004, qui porte sur le mode de calcul des prestations en application des règles anti-cumul : les États membres peuvent, en vue de calculer le montant de la prestation à verser, diviser par le nombre de prestations concernées soit le montant total des revenus soit la part de ceux-ci qui excède un certain plafond de cumul.
Les faits
Un travailleur retraité ayant travaillé et cotisé dans différents États membres (Belgique, Espagne et Finlande) bénéficiait d’une pension de retraite belge et d’une pension de retraite espagnole.
Son épouse, qui avait également travaillé et cotisé dans les mêmes États membres, décéda le 29 novembre 2016.
L’époux toucha alors également une pension de survie espagnole et une pension de survie finlandaise, eu égard aux cotisations versées par son épouse dans ces États.
Pour ce qui est de la pension de survie belge, le SFP l’a informé qu’il n’avait pas droit à celle-ci au motif que le montant total de ses pensions de retraite était trop élevé.
Ce dernier a contesté, les parties étant opposées sur les modalités de prise en compte des différentes prestations de pension dont il bénéficiait aux fins de déterminer ses droits à la pension de survie belge.
Le SFP décida cependant, le 18 septembre 2019, d’accorder une pension de survie au titre du droit belge, et ce de manière rétroactive à la date du décès.
Un recours fut introduit devant le tribunal du travail francophone de Bruxelles, le demandeur considérant que le montant annuel de cette pension de survie devait être plus élevé.
Le jugement du tribunal du travail francophone de Bruxelles
Par jugement du 4 janvier 2022, le tribunal du travail francophone de Bruxelles interrogea la Cour de justice, après avoir circonscrit l’objet du litige comme concernant l’interprétation de l’article 55, paragraphe un, sous a), du règlement n° 883/2004.
Cette disposition concerne les règles anti-cumul de prestations de nature différente et expose la règle à suivre, étant de diviser les montants des prestations ou autres revenus par le nombre des prestations soumises aux règles anti cumul prévues par la législation nationale tels qu’ils ont été pris en compte.
Le juge belge considère que, la législation belge autorisant le cumul d’une pension de survie et d’une pension de retraite (avec limitation du montant cumulé à 110 % du montant de la pension de survie en cas de carrière complète), les parties sont d’accord pour considérer que le montant total des pensions de retraite à prendre en considération dans le cadre de l’arrêté royal du 21 décembre 1967 (article 52) est le montant annuel des pensions de retraite belge et espagnole.
Celui-ci est en l’occurrence de 20 238,83 €, le plafond du cumul étant dépassé (16 458,42 €).
Les parties divergent cependant à propos du calcul du dépassement du plafond de cumul.
Pour le SFP, ce dépassement doit être calculé en additionnant le montant annuel de la pension de survie et celui des pensions de retraite pour en soustraire ensuite le plafond autorisé, ce montant étant alors divisé par deux. Le SFP précise que ce même calcul a été fait par les autorités finlandaises.
Pour le travailleur, il convient pour l’application des règles anti-cumul de diviser non la part des revenus excédant le plafond de cumul mais l’intégralité de ceux-ci, c’est-à-dire le montant annuel total des pensions de retraite. Le demandeur précise que sa thèse trouve appui sur le site Internet de la Caisse nationale d’assurance vieillesse française.
Dans la position du SFP, le montant est de 1 929,03 € tandis qu’il est de 6 399,01 € dans la thèse du travailleur.
Pour le tribunal, cette règle de division ne figurait pas dans le règlement n° 1408/71 (celui-ci prévoyant que les montants qui ne seraient pas payés en cas d’application stricte des clauses de réduction prévues par la législation des États membres concernés seraient divisés par le nombre de prestations sujettes à réduction).
Le tribunal interroge dès lors la Cour de justice.
Les questions préjudicielles
Le tribunal pose deux questions préjudicielles concernant la disposition en cause, étant l’article 55, paragraphe un, sous a) du règlement n° 883/2004.
La première question porte sur le point de savoir si cette disposition doit être interprétée en ce sens qu’elle impose de diviser les revenus en tant que tels pris en compte pour l’application de la règle de non-cumul par le nombre de pensions de survie impactées par des règles anti-cumul.
La seconde est de savoir si - au contraire - cet article doit être interprété en ce sens qu’il impose de diviser non pas les revenus en tant que tels pris en compte pour l’application de la règle de non-cumul mais plutôt la part des revenus excédant un plafond de cumul, tel qu’il est par exemple prévu par la règle nationale en cause (régime belge), par le nombre de pensions de survie impactées par des règles anti-cumul.
La réponse de la Cour de justice
La cour examine les deux questions ensemble.
S’agissant de prestations calculées ou servies sur la base des carrières de deux personnes différentes, celles-ci doivent être considérées comme étant de nature différente.
En vertu de l’article 55, paragraphe un, sous a), du règlement n° 883/2004, les institutions compétentes sont tenues de diviser les montants de la prestation tels qu’ils ont été pris en compte par le nombre de prestations soumises aux règles anti-cumul prévues par la législation des États membres.
La question est dès lors de déterminer le sens des termes « tels qu’ils ont été pris en compte ».
La Cour rappelle ici sa jurisprudence, étant que, lors de l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, il y a lieu de tenir compte non seulement de ses termes mais également de son contexte et des objectifs poursuivis ainsi que de la genèse de la disposition. Elle renvoie ici à son arrêt du 8 mai 2019 (C.J.U.E., 8 mai 2019, Aff. n° C–631/17 (INSPECTEUR DER BELASTINGEN), EU:C:2019:381).
Prise dans son sens habituel, cette expression soumet à la division les montants pris en considération par les institutions nationales compétentes ou dont celles-ci ont tenu compte dans le cadre de l’application des règles anti-cumul nationales.
Aucune indication n’est cependant donnée dans le texte quant à un montant déterminé. Celui-ci laisse aux États membres la faculté de diviser les montants tels qu’ils résultent de l’application de leurs réglementations anti-cumul nationales par le nombre de prestations soumises à celles-ci. Pour la Cour, ces institutions peuvent dès lors, en vue de calculer le montant de la prestation à verser, diviser par le nombre de prestations concernées soit le montant total des revenus soit la part de ceux-ci qui excède un certain plafond de cumul.
Aux fins de conforter cette interprétation littérale, la Cour renvoie également au contexte dans lequel s’insère la disposition. Elle considère qu’il n’apparaît pas dans les éléments de la cause que la prise en compte par l’État belge du seul montant excédant le plafond de cumul des différentes pensions considérées soit particulièrement défavorable pour les travailleurs concernés même si l’autre calcul aboutit à un montant supérieur.
Le but de la disposition étant de ne pas pénaliser les travailleurs qui ont fait usage de leur droit de libre circulation, la Cour note encore que le requérant touche une pension de survie belge en raison de l’application de l’article 55 du règlement alors qu’un travailleur qui n’aurait pas fait usage de son droit à la libre circulation n’aurait droit à aucune prestation dans un tel cas de figure.
Elle rappelle que le règlement élabore uniquement un système de coordination, laissant subsister des régimes nationaux distincts. Renvoyant au texte du règlement n° 1408/71, elle souligne qu’il ne contenait initialement aucune disposition sur ce point. La question a été prévue par le règlement n° 1248/92, dont les considérants prévoient qu’il a pour but de protéger les travailleurs migrants et leurs survivants contre une application trop rigoureuse des clauses nationales de réduction, de suspension ou de suppression.
Enfin, elle souligne que le règlement n° 883/2004 a procédé à la modernisation et à la simplification des règles contenues dans le règlement précédent, tout en conservant le même objectif.
Sa conclusion dès lors que l’article 55, paragraphe un, sous a) du règlement n° 883/2004 permet à chaque État membre, en cas d’application de règles nationales anti-cumul en ce qui concerne des prestations autonomes, de prévoir dans son ordre juridique soit qu’il convient de diviser le montant total des revenus pris en compte par ces règles nationales par le nombre de prestations concernées, soit qu’il convient de diviser par ce même nombre la part des revenus qui excède le plafond de cumul national.