Commentaire de C. trav. Bruxelles, 20 décembre 2023, R.G. 2021/AB/799
Mis en ligne le mercredi 28 août 2024
Cour du travail de Bruxelles, 20 décembre 2023, R.G. 2021/AB/799
Terra Laboris
Un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 20 décembre 2023 admet l’existence d’un accident sur le chemin du travail, dans une espèce où, suite au refus d’un employeur de faire la déclaration d’accident du travail, celle-ci dut être faite directement auprès de Fedris et l’assureur-loi avait ensuite procédé à une enquête … dont les conclusions furent alors contrariées par ce même employeur.
Les faits
Un travailleur prestant pour un café restaurant situé place de Brouckère à Bruxelles, à temps plein (5 heures le lundi, 6 heures les mardi et mercredi, 7 heures les vendredi, samedi et dimanche) eut, le vendredi 3 mai 2019, vers 8h25, un accident dans la rue alors qu’il venait de quitter son domicile. Il accompagnait sa fille jusqu’à son école située dans la même rue que celle de l’accident.
Il roulait à trottinette, ainsi que sa fille (côte à côte) lorsque celle-ci fit un mouvement brusque, qui les déséquilibra tous les deux. Sa fille tomba sur lui et il heurta ensuite le trottoir.
Il rentra à son domicile avec sa trottinette et se rendit immédiatement chez son médecin, qui le reçut aux environs de 10 heures.
Vers 11 heures, il informa son employeur de son absence pour incapacité. Le soir, il lui transmit un certificat médical par mail.
Divers examens furent pratiqués, dont un scanner, qui conclut à une fracture (arcade zygomatique droite).
L’employeur refusa de déclarer l’accident au motif que le travailleur lui avait expliqué que celui-ci était survenu alors qu’il accompagnait sa fille à l’école. Pour l’employeur, le travailleur ne se trouvait pas sur le chemin du travail.
Vu le refus de déclaration, ce dernier, toujours en incapacité, perçut le salaire garanti et fut ensuite indemnisé par sa mutuelle.
Le 2 septembre 2019, l’employeur dénonça un acte équipollent à rupture, au motif d’une absence non justifiée.
Des discussions eurent lieu entre parties, le conseil du travailleur contestant l’acte équipollent à rupture et précisant que son client se réservait le droit de faire la déclaration d’accident du travail lui-même.
Une procédure fut introduite contestant la rupture et, par jugement du 17 mars 2022, le travailleur obtint gain de cause, le tribunal condamnant l’employeur au paiement d’une indemnité compensatoire de préavis.
Parallèlement, le dossier de l’accident du travail avait été instruit, le médecin traitant rédigeant en octobre 2019 un certificat médical à en-tête de Fedris, confirmant avoir été consultée immédiatement après les faits.
Fedris transmit alors la déclaration d’accident à l’assureur-loi, qui dépêcha un inspecteur aux fins de vérifier le trajet.
Celui-ci entendit le travailleur et l’employeur. Le travailleur précisa qu’il devait travailler de 9h45 à 18 heures et qu’il se rendait toujours au travail en trottinette et métro. Il estimait le temps de trajet total à 1h10.
Suite à ses explications, l’assureur-loi accepta la prise en charge du dossier le 26 novembre 2019.
Le 5 décembre, l’ex-employeur, qui avait été recontacté par l’inspecteur de l’assureur-loi, contesta les déclarations du travailleur. Il fit valoir que celui-ci ne devait commencer son service qu’à 11 heures et qu’il ne se trouvait dès lors pas sur le chemin du travail. Il demandait à l’assureur de « revoir (sa) position quant à la prise en charge de l’accident ».
L’assureur-loi fit alors un complément d’enquête, le travailleur confirmant qu’il devait débuter ses prestations à 10 heures et que généralement il arrivait au travail 10 à 15 minutes avant le début de celles-ci. Il précisait que l’horaire habituel de travail débutait à 10 heures et qu’exceptionnellement l’employeur l’informait par message qu’il pouvait commencer un peu plus tard.
L’ex-employeur maintint pour sa part un début de prestations à 11 heures.
L’assureur revit alors sa position par courrier du 28 janvier 2020 et refusa la prise en charge.
Une procédure fut en fin de compte introduite devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles qui, par jugement du 1er septembre 2021, déclara la demande non fondée.
Appel fut interjeté par le demandeur.
L’arrêt de la cour du travail
La cour ne reprend que très brièvement le cadre légal, étant l’article 8, § 1er, de la loi du 10 avril 1971.
Celui-ci dispose qu’est (également) considéré comme accident du travail l’accident survenu sur le chemin du travail et définit celui-ci, qui est le ‘trajet normal’ que le travailleur doit parcourir pour se rendre de sa résidence au lieu de l’exécution du travail, et inversement. Ce trajet reste normal lorsque le travailleur effectue les détours nécessaires et raisonnablement justifiables, étant repris parmi ceux-ci ceux effectués pour conduire ou reprendre les enfants sur leur lieu de garde ou à l’école.
La cour renvoie, pour les principes relatifs au caractère normal du trajet, à plusieurs arrêts de la Cour de cassation (dont Cass., 27 janvier 2003, S.00.0122.F), selon lequel la notion se définit par rapport à l’espace et au temps. Elle cite également d’autres décisions, en ce qui concerne les interruptions pouvant intervenir dans ce trajet, dont l’arrêt du 18 mai 2015 (Cass., 18 mai 2015, S.14.0026.F).
La cour constate qu’en l’espèce les parties sont d’accord sur certains points, étant notamment la durée du trajet (1h10) ainsi que l’itinéraire (partie du trajet effectué en trottinette et partie en métro) et que le jour des faits le travailleur est parti de son domicile vers 8h20 et a conduit sa fille de neuf ans à son école, l’accident s’étant produit à 8h30 à proximité de celle-ci.
Le point de désaccord est le début des prestations.
La cour examine les éléments déposés de part et d’autre et souligne certains éléments relatifs essentiellement au comportement de l’employeur (relance de l’assurance pour confirmer un horaire qu’il ne pouvait établir clairement, et ce alors que les parties étaient en litige, …).
Elle conclut qu’elle est convaincue par l’exactitude de la déclaration du travailleur et retient qu’il y a eu un accident sur le chemin du travail.
En conséquence elle désigne un expert aux fins de donner un avis sur les séquelles de celui-ci.
Intérêt de la décision
L’intérêt évident de cet arrêt de la cour du travail réside dans le rôle de l’employeur lorsqu’il est informé de la survenance d’un accident du travail.
En l’occurrence, il n’est pas contesté que le travailleur a déclaré cet accident et que l’employeur a décidé d’initiative que celui-ci ne tombe pas dans le champ d’application de la loi sur les accidents du travail. La suite de l’affaire est factuelle, les parties étant en litige et l’employeur ayant largement contribué à faire revenir l’assureur-loi sur sa décision de reconnaître l’accident comme accident du travail.
L’on notera que, en conséquence, l’accident du travail survenu en 2019 ne se verra reconnaître que par cet arrêt du 20 décembre 2023 !
De manière générale, il est impératif de rappeler que face à une déclaration par un membre du personnel de la survenance d’un accident du travail, l’employeur n’a aucun pouvoir d’appréciation et qu’il est tenu de déclarer tout accident qui peut donner lieu à l’application de la loi (article 62).
Cette obligation s’impose également en cas de doute quant à l’applicabilité de la loi, les difficultés sur cette question ne pouvant être abordées qu’en aval. L’on admet dès lors que l’employeur est, à ce stade de la procédure, tenu à une obligation générale de déclaration, dans laquelle il ne peut faire intervenir une appréciation de l’application de la loi ou encore de la gravité de l’accident ou d’autres circonstances
(voir à cet égard M. JOURDAN, S. REMOUCHAMPS et C. LORGEOUX, Accidents du travail : procédure (contentieuse et non-contentieuse) et règles de prescription, Wolters Kluwer, EPDS, 2023, pages 12 et suivantes).