Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 18 décembre 2023, R.G. 2020/AL/110
Mis en ligne le mercredi 28 août 2024
Cour du travail de Liège (division Liège), 18 décembre 2023, R.G. 2020/AL/110
Terra Laboris
Les faits
Un ouvrier fontainier travaillant dans une entreprise du secteur public fut licencié en juillet 2016 pour inaptitude physique définitive. Il avait, deux mois auparavant, introduit une demande de reconnaissance de deux maladies professionnelles, dont la nature était précisée par le médecin de recours comme une tendinite des deux épaules et une arthrose des membres supérieurs.
La décision du Medex
Le 23 juin 2017, le Medex fit savoir à l’intéressé que la demande était rejetée, l’exposition au risque étant insuffisante.
Il adopta dès lors des conclusions d’expertise médicale par lesquelles celui-ci n’était pas atteint d’une maladie professionnelle, la décision précisant qu’en fonction des connaissances médicales et des données scientifiques actuelles, il apparaissait qu’il n’avait pas été exposé à un risque de développer ces maladies, supérieur à celui de la population générale dans l’exercice de sa profession d’ouvrier de fontainier réseau.
Le Medex contestait ainsi le lien de causalité déterminante et directe, l’activité étant suffisamment variée et non spécifique de l’atteinte pathologique scapulaire et ne comprenant pas d’effort répétitif significatif suffisant pour les membres supérieurs au-dessus de l’horizontale.
Il soulignait également que le caractère d’ingérence du risque par rapport à l’exercice de la profession faisait totalement défaut et qu’il souffrait déjà trois ans avant son engagement d’un syndrome douloureux chronique à l’épaule gauche avec d’autres complications.
La procédure
Une procédure fut introduite devant le Tribunal du travail de Liège (division Liège).
Après un premier jugement ordonnant la réouverture des débats sur certains points, le tribunal décida le 25 octobre 2019 que la présomption d’exposition au risque n’était pas renversée.
L’employeur public interjette appel.
Les arrêts de la cour
L’arrêt du 20 juillet 2021
La cour a, dans un premier arrêt du 20 juillet 2021, chargé un expert d’une mission portant sur les codes 1.606.22 et/ou 1.605.01 et, subsidiairement, sur une maladie hors liste, rappelant que l’exposition au risque des maladies dont la réparation était postulée, soit celles dans la liste, était présumé établi.
L’arrêt du 18 décembre 2023
La cour reprend les conclusions du rapport d’expertise déposé le 27 février 2023, qui a conclu à l’exposition au risque professionnel dans les deux codes.
Celui-ci a retenu une incapacité permanente de 8 % pour le code 1.606.22, sans préjudice de l’application des facteurs économiques et sociaux, ainsi qu’une de 6 % pour le code 1605.01 avec la même précision. Il fixe le point de départ de l’incapacité permanente au 8 décembre 2014.
La cour reprend ensuite longuement les principes et dispositions applicables.
Après avoir constaté que l’intéressé rentre dans le champ d’application de la loi du 3 juillet 1967, elle rappelle le renvoi par l’article 2, alinéa 6, de celle-ci aux lois coordonnées le 3 juin 1970, applicables au secteur privé, soulignant cependant une réserve importante sur le plan de la charge de la preuve, étant la présomption réfragable d’exposition prévue dans le secteur public par la loi du 3 juillet 1967 et son arrêté royal d’exécution du 5 janvier 1971, contrairement au secteur privé, où la victime a la charge de la preuve de l’exposition professionnelle.
La cour cite un arrêt du 28 mai 1990 de la Cour de cassation (Cass., 28 mai 1990, Chron. Dr. Soc., 1991, p. 12), qui reprend les critères d’évaluation de l’incapacité permanente de travail (étant non seulement l’incapacité physiologique mais aussi l’âge, la qualification professionnelle, les facultés d’adaptation, les possibilités de rééducation professionnelle et la capacité de concurrence sur le marché de l’emploi, celle-ci étant elle-même déterminée par les possibilités dont la victime dispose encore comparativement aux autres travailleurs d’exercer une activité salariée).
Dans cet arrêt, la Cour de cassation a admis que l’on peut évaluer le taux global d’incapacité en ajoutant au pourcentage d’incapacité purement physique un pourcentage représentant les autres facteurs qui déterminent la perte de valeur économique du travailleur sur le marché général de l’emploi.
Cette perte de capacité concurrentielle peut, pour la cour du travail, se traduire de différentes manières : perte de productivité, plus grande pénibilité, ou encore réduction de chances d’obtenir un emploi lorsque la victime est en concurrence avec un travailleur de la même catégorie d’âge et de formation équivalente mais exempt d’incapacité.
Rappelant un arrêt précédent du 22 janvier 1979 (Cass., 22 janvier 1979, n° 5277), la cour précise encore, que par marché général du travail, il faut comprendre l’ensemble des métiers que le travailleur demeure apte à exercer de manière régulière et non celui qu’il exerçait au moment de la fixation de l’incapacité permanente.
La cour reprend ensuite quelques considérations relatives à l’expertise judiciaire, soulignant d’une part que les sapiteurs opèrent sous la responsabilité de l’expert et de l’autre que la mission de ce dernier est de départager deux thèses en présence.
Ces principes sont ensuite appliqués à l’espèce.
Après avoir relevé deux erreurs matérielles dans le rapport d’expertise, la cour examine les taux proposés pour l’incapacité permanente et, estimant les conclusions du rapport dûment justifiées, elle les entérine.
Ces conclusions ne visant que l’aspect physiologique, la cour ajoute 3 % de facteurs socio-économiques pour le code 1.606.22 et 2 % pour le code 1.605.01.
Elle en vient ensuite à la date de prise de cours des intérêts.
La Charte de l’assuré social dispose en son article 20 (sans préjudice des dispositions légales ou réglementaires plus favorables) que les prestations portent intérêt de plein droit pour les bénéficiaires assurés sociaux à partir de la date de leur exigibilité et au plus tôt à partir de la date découlant de l’application de son article 12 (selon lequel il est procédé au paiement des prestations au plus tard dans les quatre mois de la notification de la décision d’octroi et au plus tôt à partir de la date à laquelle les conditions de paiement sont remplies).
Cependant, si la décision d’octroi est prise avec un retard imputable à l’institution de sécurité sociale, ils sont dus à partir de l’expiration du délai visé à l’article 10 et au plus tôt à partir de la date de prise de cours de la prestation (l’article 10 faisant obligation à l’institution de sécurité sociale de statuer au plus tard dans les quatre mois de la réception de la demande ou du fait donnant lieu à l’examen d’office).
En matière de risques professionnels dans le secteur public, l’article 20 bis de la loi du 3 juillet 1967 prévoit un intérêt de plein droit à partir du premier jour du troisième mois qui suit celui au cours duquel les rentes, les allocations et les capitaux deviennent exigibles.
L’arrêté royal du 21 janvier 1993 relatif à la réparation des dommages résultant des maladies professionnelles organise quant à lui en son article 20 le paiement des rentes par douzièmes et par anticipation (sauf lorsque le degré de l’invalidité permanente n’atteint pas 10 %).
La notion d’exigibilité a été définie par la Cour de cassation dans un arrêt du 18 décembre 2000 (Cass., 18 décembre 2000, S.98.0169.F – rendu en accident du travail). Tant que le juge n’a pas statué par une décision devenue exécutoire sur la contestation relative à l’existence du droit et au montant des rentes, celles-ci ne sont pas exigibles.
Enfin, la Cour constitutionnelle (alors Cour d’arbitrage) a jugé dans un arrêt du 8 mai 2002 (C.C., 8 mai 2002, n° 82/2002) que la notion d’exigibilité figurant à l’article 20 bis s’identifie à la naissance du droit, les intérêts prenant cours à la date à laquelle le droit est né. La Cour juge ainsi que dans cette interprétation il n’y a pas de différence de traitement contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution.
Pour la cour du travail, il faut dès lors définir la date à laquelle les indemnités sont exigibles, c’est-à-dire celle à laquelle le droit est né.
L’intéressé a été reconnu atteint d’une incapacité permanente au 8 décembre 2014. En vertu de l’article 20bis de la loi, les intérêts commencent à courir sur ces indemnités le premier jour du troisième mois qui suit la date de la demande, la cour considérant qu’existe une cause étrangère libératoire pour la période antérieure. Elle retient dès lors la date du 1er août 2016.
Enfin, se pose la question du salaire de base et de la rente.
Si le salaire de base ne fait pas l’objet de débats, la cour aborde la discussion relative à la désindexation de la rémunération de référence, ainsi qu’à ses effets quant à une éventuelle discrimination entre le régime du secteur public et celui du secteur privé ainsi qu’au sein même du secteur public.
Elle arrête son examen ici, constatant que les parties n’ont pas débattu de la question de savoir si pour compenser le mécanisme de désindexation de la rémunération de référence il y a lieu d’indexer la rente. Elle prononce dès lors une réouverture des débats sur ce point.
Intérêt de la décision
La cour règle successivement les divers éléments de la réparation légale : entérinement (ou non) des conclusions de l’expert judiciaire (qui s’est prononcé uniquement sur l’aspect physiologique des séquelles de la maladie professionnelle), point de départ des intérêts fixés par la loi (et subsidiairement par la Charte de l’assuré social) et calcul de la rente.
Sur cette dernière question, elle a brièvement repris les débats actuels pour ce qui est de la désindexation de la rémunération dans le secteur public et la fixation de la rente, débats affectant particulièrement les rentes de -16 %. En l’occurrence, 19 % ayant été retenus, cette question ne devrait pas être approfondie dans l’arrêt de réouverture des débats, attendu incessamment.
L’arrêt présente par ailleurs un intérêt tout particulier en ce qui concerne le mode de détermination du pourcentage de la rente (incapacité permanente). En matière de maladie professionnelle, la Cour de cassation a précisé que n’est pas contraire à la loi un mode de fixation qui détermine d’une part le taux relatif à l’incapacité physiologique et de l’autre celui correspondant à des facteurs socio-économiques. L’évaluation se fait dès lors sur le mode de x % + x %). Dans la foulée, la mission de l’expert concerne le premier taux, étant celui étant la fixation de l’incapacité physiologique. Le second point, qui est la fixation de facteurs socio-économiques relève de la compétence du juge. En matière d’accident du travail, cette décomposition n’existe pas, rendant la compréhension du taux retenu par l’expert souvent plus difficile.