Commentaire de C. trav. Bruxelles, 12 décembre 2023, R.G. 2020/AB/341
Mis en ligne le mercredi 28 août 2024
Cour du travail de Bruxelles, 12 décembre 2023, R.G. 2020/AB/341
Terra Laboris
Dans un arrêt du 12 décembre 2023, la cour du travail de Bruxelles retient qu’une sanction disciplinaire qui aboutit à modifier un élément essentiel du contrat de travail est contraire à l’article 25 de la loi du 3 juillet 1978 relative au contrat de travail.
Les faits
Une société bruxelloise de contrôle technique de véhicules a fait l’objet d’une perquisition dans le cadre d’une enquête de police judiciaire pour fraude, en 2014.
À cette occasion, des membres du personnel ont été interrogés et inculpés pour participation à une association de malfaiteurs et corruption passive.
Un travailleur, mis en cause dans la procédure judiciaire, a été acquitté par le tribunal correctionnel de Bruxelles dans un jugement du 19 janvier 2022.
Entre-temps, il avait dénoncé d’autres faits à la police (corruption) contre son supérieur et avait ultérieurement déposé plainte pour harcèlement.
En date du 18 décembre 2027, il est surpris en train d’utiliser son GSM à l’intérieur de la station, ce qui est interdit par le règlement du travail.
Un blâme est notifié, avec suspension de la promotion financière pour une durée de six mois. La notification de cette sanction précise qu’il aurait été vu en train de filmer ou de prendre des photos, ce que l’intéressé niera. Lui est également reproché d’avoir eu un contact avec un marchand, ce qui est interdit. Il lui est encore fait grief de ne pas être correct vis-à-vis de sa hiérarchie ainsi que de mentir. C’est l’ensemble de ces griefs qui sont à l’origine du blâme en cause.
La sanction est contestée par l’intéressé, qui en demande la révision.
Une nouvelle sanction lui est notifiée deux mois plus tard (février 2018) suite à un contrôle d’un véhicule. Cette sanction est une rétrogradation au grade d’inspecteur adjoint avec application d’un barème inférieur. Ce qui lui est reproché cette fois est de ne pas avoir constaté que des feux étaient défaillants et, vu le refus (automatique) d’encodage dans le système, d’avoir tenté de procéder au réglage de ceux-ci, ce qui est interdit, la société concluant ici encore à l’existence de mensonges et de tentatives de sa part de masquer sa faute en vue de tromper le responsable, lors du recontrôle qui allait devoir intervenir. Pour la société il s’agit de manquements graves justifiant l’application des sanctions prévues au règlement de travail.
L’intéressée conteste cette décision par courrier de son conseil du 9 mars 2018.
Le 11 septembre 2018, un nouveau blâme a encore été adressé à l’intéressé, pour un problème de contrôle de feux arrière « obscurcis », chose qui aurait dû conduire à une interdiction de circulation dans le certificat de visite. Il est encore reproché à l’intéressé d’avoir accepté le véhicule alors qu’un autre phare était « hors tolérance » ce qui avait été constaté par son supérieur lors d’un recontrôle.
Cette troisième sanction est également contestée.
Parallèlement, une requête en conciliation est déposée devant le tribunal du travail francophone de Bruxelles, cette procédure n’étant cependant pas poursuivie.
L’intéressé introduit alors une procédure contentieuse.
Objet de la demande
Le demandeur sollicite la suppression de la suspension de la promotion financière ainsi que de la rétrogradation imposées par la société dans ses deux premières sanctions, et ce avec astreinte.
Il demande paiement d’une somme provisionnelle de l’ordre de 11 350 € au titre de manque à gagner ainsi que de 2 500 € au titre de dommages et intérêts.
La décision du tribunal
Le tribunal déclare la demande recevable et partiellement fondée, réduisant la sanction disciplinaire de blâme avec suspension de la promotion financière à un blâme écrit.
La société est condamnée à procéder à l’inscription de cette réduction dans le registre (registre prévu à l’article 17, alinéa 2, de la loi du 8 avril 1965 instituant les règlements de travail) avec astreinte. Un manque à gagner de 1 280 € est retenu, la société étant condamnée à payer celui-ci.
Le tribunal relève en effet qu’était uniquement établi le fait que l’intéressé était en possession de son GSM en station et qu’il avait tenu celui-ci en mains. Ce manquement peut faire l’objet d’une sanction disciplinaire en vertu du règlement de travail. Cependant la hauteur de la sanction prise par l’employeur est excessive.
Le travailleur interjette appel.
Position des parties devant la cour
Pour l’appelant, la sanction est tardive et la double sanction contrevient au règlement de travail et au principe général de non-cumul des peines. Il considère également que le retard dans la promotion financière est une modification unilatérale des conditions de travail, étant ainsi contraire à l’article 25 de la loi du 3 juillet 1978. Enfin, elle est disproportionnée.
Pour la société, la sanction n’est pas tardive, ayant été notifiée verbalement le mercredi 20 décembre 2017 et étant confirmée le 22.
Elle conteste avoir sanctionné deux fois le même manquement mais expose avoir combiné deux sanctions prévues dans le règlement de travail. Ces sanctions ne relèvent pas du domaine contractuel et ne peuvent dès lors tomber sous le coup de l’article 25 de la loi du 3 juillet 1978. Enfin, elle plaide qu’il n’y a pas de disproportion entre le manquement et la sanction.
La décision de la cour
La cour reprend quelques règles relatives au pouvoir disciplinaire de l’employeur, celui-ci découlant de son pouvoir d’autorité ainsi que du lien de subordination.
Ce pouvoir se trouve consacré au chapitre V de la loi du 8 avril 1965. La cour reprend l’article 17 de celle-ci, en vertu duquel à peine de nullité les pénalités doivent être notifiées par l’employeur ou son préposé à ceux qui les ont encourues au plus tard le premier jour ouvrable suivant celui où le manquement a été constaté.
Renvoyant à la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 10 octobre 1994, S.94.0013.N), ainsi qu’à la doctrine (M. DALLEMAGNE, « Les sanctions disciplinaires dans le secteur privé », in M. Dumont (dir.), Le droit du travail dans tous ses secteurs, Liège, Anthemis, 2008, page 37), elle rappelle que la loi n’impose pas que cette notification intervienne par écrit. Par ‘premier jour ouvrable’, elle précise encore que c’est la constatation ou la prise de connaissance par la personne compétente pour infliger la sanction qui est déterminante.
En l’espèce, analysant les écrits, la cour retient qu’il y a eu une audition le 20 décembre 2017 et que c’est nécessairement à cette date que l’employeur avait une connaissance suffisante des faits. La sanction devait dès lors à peine de nullité être portée à la connaissance du travailleur le jeudi 21. Ceci n’a pas été fait, ce dernier contestant qu’elle lui ait été notifiée oralement lors de l’entretien en cause. La sanction infligée par le courrier du 22 décembre 2017 est dès lors tardive.
La cour en vient à la seconde sanction, étant la rétrogradation. Elle reprend, en droit, l’article 20, 1°, de la loi du 3 juillet 1978, selon lequel l’employeur est tenu de faire travailler le travailleur dans les conditions, au temps et au lieu convenus, ainsi que son article 25, qui dispose que toute clause par laquelle l’employeur se réserve le droit de modifier unilatéralement les conditions du contrat est nulle.
La rétrogradation, telle qu’intervenue en l’espèce, affecte des éléments essentiels du contrat, notamment la fonction et la rémunération.
La cour pose dès lors la question de savoir si le pouvoir disciplinaire de l’employeur l’autorise ou non à infliger des sanctions disciplinaires ‘majeures’, qui viennent modifier des éléments essentiels du contrat.
Elle renvoie à un arrêt de la Cour de cassation du 10 octobre 1988 (Cass. 10 octobre 1988, n° 6226), selon lequel une sanction disciplinaire qui modifie les conditions du contrat tombe sous le champ d’application de l’article 25. Cet arrêt ne se prononce pas sur une clause d’un règlement de travail, celle-ci étant insérée en l’espèce dans le statut disciplinaire de l’enseignement libre subventionné et - à ce titre - ayant un poids beaucoup plus important que le règlement de travail applicable à un seul employeur.
Pour la cour, l’enseignement de cet arrêt peut être transposé à l’espèce examinée.
En outre, la cour renvoie à l’article 6 de la loi du 3 juillet 1978, en vertu duquel toute stipulation contraire aux dispositions de la loi et de ses arrêtés d’exécution est nulle en tant qu’elle vise à restreindre les droits des travailleurs ou à aggraver leurs obligations, disposition qui constitue un indice complémentaire de la volonté du législateur de ne pas autoriser par une sanction disciplinaire une modification unilatérale d’un élément essentiel du contrat.
La cour renvoie encore à la hiérarchie des normes en droit du travail, dans laquelle le règlement de travail vient après le contrat de travail écrit.
Elle conclut à l’illégalité de la sanction, au motif de sa contrariété avec l’article 25, rappelant brièvement encore l’article 23, 2°, de la loi du 12 avril 1965 concernant la protection de la rémunération des travailleurs. En l’espèce, la rétrogradation, contrairement à l’amende, affecte directement le droit à la rémunération brute, ne pouvant être question ici d’une retenue effectuée sur la rémunération nette.
En conséquence, la cour réforme le jugement sur ce point.
Elle ordonne la réouverture des débats en ce qui concerne les montants réclamés par l’intéressé au titre d’arriérés de rémunération, de pécule de vacances et de prime de fin d’année.
Enfin, elle examine la troisième sanction, soulignant ici que, dans le cadre de son contrôle de légalité et de proportionnalité, le juge est tenu d’examiner si la sanction est proportionnée à la faute.
En l’espèce, l’intéressé a omis d’encoder des défauts lors du contrôle litigieux. Rien n’indique que ceci aurait été fait intentionnellement et infliger un blâme dans ces circonstances, qui s’apparentent tout au plus à une négligence, est disproportionné.
Enfin, la cour rejette la demande de dommages et intérêts du travailleur, considérant que celui-ci ne démontre pas que la société adopterait une démarche abusive et une attitude dénigrante.
Intérêt de la décision
Dans cet arrêt, la cour du travail a cité la doctrine de M. DALLEMAGNE, en ce qui concerne les pouvoirs du juge par rapport à l’appréciation d’une sanction disciplinaire. L’on ne peut que renvoyer à cette doctrine, qui est nuancée.
En la matière, la question de la notification est importante, dans la mesure où celle-ci ne doit pas nécessairement intervenir par écrit. Elle doit cependant être certaine.
Relevons à cet égard un autre arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 6 juillet 2021 (C. trav. Bruxelles, 6 juillet 2021, R.G., 2018/AB/451), qui a considéré en substance que les pénalités doivent, pour être effectives, faire l’objet d’une notification au travailleur, laquelle a également pour effet de lier l’auteur de la décision, à telle enseigne qu’une mesure subséquente de licenciement pour motif grave serait privée de tout fondement légal puisque annihilée par l’effectivité de la sanction disciplinaire infligée qui, par essence même, n’empêche pas la poursuite des relations contractuelles de manière définitive et immédiate.
Il en irait tout autrement faute de notification. En ce cas, en effet, l’employeur pourrait, pour peu que sa décision finale intervienne dans le délai légal de trois jours, évoluer dans l’appréciation des suites à réserver aux faits qui sont portés à sa connaissance.