Commentaire de C.J.U.E., 18 avril 2024, Aff. n° C-195/23 (GI c/ PARTENA, ASSURANCES SOCIALES POUR TRAVAILLEURS INDEPENDANTS ASBL), EU:C:2024:337
Mis en ligne le lundi 2 septembre 2024
C.J.U.E., 18 avril 2024, Aff. n° C-195/23 (GI c/ PARTENA, ASSURANCES SOCIALES POUR TRAVAILLEURS INDEPENDANTS ASBL), EU:C:2024:337
Un arrêt de la Cour de justice du 18 avril 2024 rappelle, à propos d’un fonctionnaire européen exerçant une activité accessoire d’enseignement dans un établissement belge, que la situation de ces fonctionnaires est exclusivement régie par le droit européen, les États membres ne pouvant exiger leur assujettissement à un régime national de sécurité sociale.
Les faits
Un fonctionnaire européen, entré en service de la Commission en août 2010 exerce une activité complémentaire rémunérée (enseignement) depuis octobre 2015. Il s’agit de 20 heures de cours par an, activité pour laquelle il a obtenu l’autorisation requise de la part de la Commission.
Le 4 juillet 2018, l’INASTI l’informe du fait qu’il doit s’affilier à une caisse d’assurances sociales, dans la mesure où il exerce une activité professionnelle de travailleur indépendant.
L’intéressé s’affilie ainsi à PARTENA et verse les cotisations réclamées. Il s’agit d’un montant de l’ordre de 3 250 €.
Il introduit néanmoins un recours devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles contestant l’assujettissement au régime belge de sécurité sociale des travailleurs indépendants, au motif que celui-ci est contraire au principe de l’unicité du régime de sécurité sociale applicable aux fonctionnaires des institutions européennes.
Le tribunal du travail, juridiction de renvoi, pose à la Cour une question préjudicielle.
La question préjudicielle
Le protocole (protocole sur les privilèges et immunités de l’Union européenne), notamment en son article 14, le principe de l’unicité du régime de sécurité sociale applicable aux travailleurs salariés ou non salariés, actifs ou retraités, et le principe de coopération loyale tel qu’il résulte de l’article 4, paragraphe 3, TFUE, font-ils obstacle à ce qu’un État membre impose l’assujettissement à un régime national de sécurité sociale et exige le versement de cotisations sociales à un fonctionnaire qui, en complément à son activité au service d’une institution européenne, exerce, avec l’autorisation de cette dernière, une activité accessoire d’enseignement alors que ce fonctionnaire est déjà, en vertu du statut, assujetti au régime de sécurité sociale des institutions de l’Union européenne ?
La décision de la Cour
Pour la cour, une seule question est ainsi posée, étant la contrariété avec les normes ci-dessus (article 14 du protocole, principe de l’unicité du régime de sécurité sociale applicable au sens du Règlement n° 883/2004 et principe de coopération loyale figurant à l’article 4, paragraphe 3, TUE) de la législation d’un État membre imposant l’assujettissement à un régime de sécurité sociale de celui-ci d’un fonctionnaire européen exerçant une activité professionnelle accessoire d’enseignement.
La Cour reprend les règles relatives au principe de l’unicité du régime de sécurité sociale applicable, qui a pour effet de soustraire au législateur de chaque État membre le pouvoir de déterminer « à sa guise » l’étendue et les conditions d’application de sa législation nationale quant aux personnes soumises et au territoire à l’intérieur duquel les dispositions nationales produisent leurs effets.
Le règlement de coordination a ainsi pour but d’éviter les complications résultant de l’application simultanée de plusieurs législations nationales et de supprimer les inégalités de traitement en cas d’exercice par les citoyens européens de leur droit de libre circulation.
La Cour souligne que ce principe n’est pas applicable aux fonctionnaires de l’Union, ceux-ci n’étant pas soumis à une législation nationale en matière de sécurité sociale.
Elle renvoie ici à un arrêt récent du 16 novembre 2023 (C.J.U.E., 16 novembre 2023, Aff., n° C–415/22 (JD c/ ACERTA - CAISSE D’ASSURANCES SOCIALES ASBL, INSTITUT NATIONAL D’ASSURANCES SOCIALES POUR TRAVAILLEURS INDEPENDANTS (INASTI) ET ETAT BELGE), EU:C:2023:881).
L’Union est en effet seule compétente à l’exclusion des États membres pour fixer les règles applicables en la matière à ses fonctionnaires.
Elle ajoute que l’article 14 du protocole ainsi que les dispositions du statut en matière de sécurité sociale remplissent à l’égard de ceux-ci une fonction analogue à l’article 11 du Règlement n° 883/2004.
Ces dispositions confirment l’interdiction d’obligation pour ces fonctionnaires de contribuer à différents régimes en la matière. Elle renvoie ici également à un autre arrêt de sa jurisprudence rendu le 10 mai 2017 (C.J.U.E., 10 mai 2017, Aff. n° C-690/15 (L c/ MINISTÈRE DES FINANCES ET DES COMPTES PUBLICS), EU:C:2017:355)
Elle en vient alors au caractère obligatoire du statut, qui est directement applicable dans tous les États membres, ceux-ci se voyant imposer d’en respecter les dispositions (avec nouveau renvoi à l’arrêt ACERTA).
La législation d’un État membre qui assujettirait un fonctionnaire exerçant une activité professionnelle accessoire méconnaît la compétence exclusive de l’Union, dès lors que cet État est tenu de respecter celle-ci, y compris pour ce qui est des dispositions du protocole et du statut relatives aux dispositions en matière de sécurité sociale.
Elle souligne également qu’il y aurait contrariété avec le principe de coopération loyale vu qu’une réglementation qui imposerait un tel assujettissement risquerait de rompre l’égalité de traitement entre les fonctionnaires de l’Union et ainsi de décourager l’exercice d’une activité professionnelle au sein d’une de ses institutions vu que certains fonctionnaires seraient contraints de contribuer à deux régimes de sécurité sociale.
Et la Cour de souligner encore que cette compétence exclusive s’applique aux contributions sociales qu’un État membre prélève sur toutes sortes de revenus, ainsi sur un revenu rémunérant une activité accessoire autorisée par l’employeur.
Elle conclut dès lors que le principe de l’unicité du régime de sécurité sociale ainsi que celui de coopération loyale s’opposent à la législation d’un État membre qui impose l’assujettissement au régime de sécurité sociale de celui-ci d’un fonctionnaire de l’Union qui exerce une activité professionnelle accessoire d’enseignement sur son territoire.
Intérêt de la décision
Dans ce bref arrêt, la Cour se réfère pour une bonne partie aux développements qu’elle a faits dans un précédent arrêt (ACERTA) le 16 novembre 2023 (références ci-dessus).
Il s’agissait dans cette affaire d’un fonctionnaire britannique ayant été au service de la Commission jusqu’au 1er mars 2010, date à laquelle il avait pris sa retraite. Il était notamment devenu consultant par la suite en tant que travailleur indépendant et avait été assujetti par l’INASTI à partir du 12 février 2007 sur la base de l’article 13 de l’arrêté royal n° 38.
Un recours avait été introduit devant le tribunal du travail francophone de Bruxelles, et ce en contestation de cotisations que l’intéressé estimait avoir indûment versées pour un montant supérieur à 50 000 €.
Il avait également fait valoir le principe de l’unicité de la législation applicable et plaidé qu’il ne bénéficierait d’aucune prestation sociale en contrepartie de son affiliation, la contribution faite étant intervenue à fonds perdus depuis 2007.
La Cour de justice avait complété la question lui adressée en ajoutant au titre de normes de droit européen applicables l’article 14 du protocole et les dispositions du statut (article 72). Elle y avait rappelé la compétence exclusive de l’Union, à l’exclusion des États membres, pour déterminer les règles applicables aux fonctionnaires européens en ce qui concerne leurs obligations en matière de sécurité sociale et la soustraction, en conséquence, à la compétence des États membres de l’obligation de leur affiliation à un régime national.
En l’espèce, le fonctionnaire était resté au service de l’Union jusqu’à l’âge de la retraite.
La Cour précise que le fonctionnaire dont le lien d’emploi avec l’Union a perduré jusqu’à cet âge continue de relever du régime de sécurité sociale de l’Union, à l’opposé du fonctionnaire qui a quitté les institutions avant de l’avoir atteint pour entamer une activité professionnelle lucrative dans un État membre. Ce dernier ne relève plus du régime de sécurité sociale de l’Union. La législation applicable en matière de sécurité sociale est dès lors déterminée à son égard conformément au Règlement n° 883/2004.
En conséquence, une réglementation nationale qui l’assujettirait à son régime de sécurité sociale pour une activité professionnelle exercée à titre indépendant dans cet État membre méconnaît la compétence exclusive attribuée à l’Union tant par l’article 14 du protocole que par le statut pour déterminer les règles applicables à ce fonctionnaire.
La Cour renvoie encore à son arrêt DE RUYTER du 26 février 2015 (C.J.U.E., 26 février 2015, Aff. n° C–623/13 (MINISTRE DE L’ECONOMIE ET DES FINANCES c/ DE RUYTER), EU:C:2015:123) pour rejeter l’exigence du maintien d’un lien d’emploi avec l’Union au moment de l’exercice de l’activité professionnelle, précisant que c’est en raison du lien d’emploi avec l’institution de l’Union jusqu’à l’âge de la prise de la pension de retraite que le fonctionnaire continue à relever du régime de sécurité sociale européen.
Par ailleurs elle souligne que ceci n’est pas discriminatoire par rapport aux autres travailleurs de l’État membre concerné, au motif que les fonctionnaires de l’Union ne se trouvent pas dans une situation comparable à ceux-ci.
La cour écarte enfin l’argument tiré du caractère de « pure solidarité » des cotisations exigées ainsi que celui tiré de la situation fiscale de ces fonctionnaires, où l’exemption des impôts nationaux ne vaut que sur leurs traitements, salaires et émoluments versés par l’Union.
La conclusion de la Cour dans cet arrêt est donc que l’assujettissement obligatoire dans l’hypothèse visée, s’agissant ici d’un fonctionnaire resté au service d’une institution de l’Union jusqu’à l’âge de la retraite et qui exerce une activité professionnelle à titre indépendant sur le territoire de l’État membre, est contraire aux normes analysées.