Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Liège), 23 juin 2023, R.G. 22/3.931/A
Mis en ligne le mercredi 4 septembre 2024
Tribunal du travail de Liège (division Liège), 23 juin 2023, R.G. 22/3.931/A
Terra Laboris
Dans un jugement du 23 juin 2023, le tribunal du travail de Liège (division Liège) rappelle que, l’ancienneté à prendre en compte pour le calcul du préavis supposant une période d’activité continue au service du même employeur, une interruption entre deux contrats, qui viendrait rompre cette continuité, doit être réelle et effective et ne peut être le fait unilatéral de l’employeur.
Les faits
Un employé a presté pour une société du secteur privé en qualité de gestionnaire d’un magasin dans le cadre d’un contrat à durée déterminée du 1er octobre 2021 au 31 décembre 2021.
Un nouveau contrat fut signé pour des prestations à partir du 5 janvier 2002. Ce second contrat est à durée indéterminée.
Il fut licencié moyennant préavis de quatre semaines prenant cours le 1er juillet 2022, le contrat prenant fin le 31 juillet.
Suite à la rupture des relations contractuelles, l’intéressé a introduit une procédure devant le tribunal du travail de Liège aux fins d’obtenir le paiement de diverses sommes. Il s’agit d’un complément d’indemnité de rupture, de pécules de vacances, d’une prime de fin d’année, d’une prime sectorielle, d’arriérés de rémunération, ainsi que de dommages et intérêts pour non-délivrance des éco chèques.
La décision du tribunal
Le tribunal se penche en premier lieu sur le droit du demandeur à un complément d’indemnité de rupture. Celui-ci se fonde sur une ancienneté remontant au 1er octobre 2021, qui, si elle est admise, lui donne droit à un délai de préavis de six semaines (au lieu de quatre).
La condition à vérifier, selon le tribunal, et de savoir si l’intéressé a été occupé de façon ininterrompue depuis le 1er octobre 2021, ce que l’employeur conteste, au motif du délai entre la fin du premier contrat et le début du second.
Le tribunal rappelle sur la question que l’interruption, pour être prise en compte, doit être réelle et effective et ne peut avoir été imposée par l’employeur dans le but de d’éviter le maintien de l’ancienneté.
Renvoi est ici fait à la jurisprudence et à la doctrine. Le tribunal reprend d’abord la contribution de B. PATERNOSTRE et Ch. BROUCKE (B. PATERNOSTRE et Ch. BROUCKE, « L’ancienneté servant de base au calcul du délai de préavis », Ors., 2016, page 14), qui a relevé qu’une interruption d’un jour (jour férié) n’est pas une interruption de fait de l’ancienneté (jugé par C. trav. Bruxelles, 26 juin 2009, J.T.T., 2009, page 389 et Trib. trav. fr. Bruxelles, 25 février 2020, R.G. 19/608/A) non plus que pendant un week-end, celui-ci correspondant au jour d’inactivité habituelle de l’employé : le dernier jour de travail du premier contrat de travail et le premier jour de travail du second contrat se succèdent sans interruption.
S’appuyant encore sur plusieurs décisions de la Cour du travail de Liège (dont C. trav. Liège, 16 février 2006, J.T.T., 2006, page 329), le tribunal relève encore que si une brève interruption suffit pour interrompre l’ancienneté, celle-ci ne peut pas être virtuelle et avoir été mise en place uniquement pour permettre au dernier employeur de bénéficier de la réglementation relative à la réduction des cotisations sociales (plan « plus un ») ou pour faire échec à la notion d’ancienneté à prendre en compte pour la durée du préavis (même doctrine, ibid.).
En l’espèce, il convient dès lors d’analyser le caractère réel et effectif de l’interruption de quatre jours (entre le 1er et le 4 janvier 2022). Le tribunal note que le 1er janvier est un jour férié, que le 2 janvier était un dimanche et que la société ne soutient pas que l’entreprise était ouverte les deux jours suivants, le jugement relevant que bon nombre d’entreprises ferment leurs portes à ce moment au moins quelques jours, notamment pour récupération de jours fériés.
La DIMONA de sortie ainsi que la DIMONA d’entrée sont des éléments indifférents, ne constituant que des démarches administratives.
Enfin rien n’est démontré quant à une volonté effective de mettre un terme définitif aux relations contractuelles fin décembre et à un revirement les jours suivants.
Ce poste est dès lors accordé.
Les autres éléments tranchés par le tribunal sont davantage factuels et il ne donnent pas lieu à des commentaires particuliers.
Intérêt de la décision
Pour tenir en échec l’exigence d’une période de prestations continue, l’interruption entre deux contrats ne doit pas être le fait de l’employeur.
La prise en considération de l’ancienneté est en effet destinée à récompenser la fidélité du travailleur à l’entreprise. C’est la raison pour laquelle la jurisprudence ne considère pas comme des interruptions au sens de l’article 52 de la loi du 3 juillet 1978 celles décidées par l’employeur dans le seul but de bénéficier d’une situation juridiquement plus favorable (C. trav. Liège, 15 avril 2002, J.T.T., page 423 et 16 février 2006, J.T.T., page 329), non plus que celle liée aux vacances annuelles (C. trav. Mons, 17 juin 1999, Chr. Dr. Soc., 2000, page 545), exemples repris par la Cour du travail de Bruxelles dans un arrêt du 2 mai 2011 (C. trav. Bruxelles, 2 mai 2011, R.G. 2009/AB/52.375).
Dans l’affaire tranchée dans cet arrêt du 2 mai 2011, la Cour du travail de Bruxelles avait considéré que la première interruption en cause, courant entre deux premiers contrats de travail correspondait à la période des repos compensatoires durant lesquels il était interdit de faire travailler dans le secteur et qu’une interruption suivante, entre le deuxième et le troisième contrat, correspondait à la période de fermeture annuelle obligatoire décidée par accord paritaire (régional). Il s’agissait dès lors pour la cour de suspension des activités dans tout le secteur et non d’interruption due au fait du travailleur.