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Prescription de l’action du Fonds de Fermeture en récupération d’indû

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 9 novembre 2023, R.G. 2018/AL/601

Mis en ligne le mercredi 4 septembre 2024


Cour du travail de Liège (division Liège), 9 novembre 2023, R.G. 2018/AL/601

Terra Laboris

La Cour du travail de Liège (division Liège) reprend dans un arrêt du 9 novembre 2023 les règles spécifiques à cette action, rappelant les exigences en matière de mentions obligatoires fixées à l’article 72/1, § 2, de la loi du 26 juin 2002.

Les faits

Dans le cadre d’un plan social mis sur pied en 2003 au sein de l’entreprise qui l’occupait, un travailleur a été licencié en vue de lui permettre d’accéder à la prépension telle qu’organisée par la CCT n° 17.

Il a ainsi perçu une indemnité complémentaire de prépension à charge de la société.

Concrètement, celle-ci fut versée par une compagnie d’assurances.

Suite à la dissolution et la mise en liquidation volontaire de la société en 2007, l’assureur, interpellé par le travailleur, lui signala qu’il manquait de provisions pour couvrir les indexations à venir.

Celui-ci a dès lors introduit un formulaire F1 auprès du Fonds de fermeture via le liquidateur de la société. Le montant visé concerne les indexations de la rente de prépension à venir, l’assureur étant en mesure de poursuivre le paiement mensuel de la rente elle-même.

Le Fonds de fermeture est alors intervenu, à partir de février 2009. Il a versé des indemnités complémentaires de prépension, et ce en intégralité (et non seulement l’indexation).

L’assureur a pour sa part continué à payer (en ce compris l’indexation).

En 2014, le Fonds de fermeture a interrogé l’assureur et celui-ci a communiqué les montants versés. Le Fonds a cependant poursuivi les paiements pendant 13 mois.

Le 8 mars 2016, il a notifié un indu au travailleur.

Un recours a été introduit contre cette décision.

Le jugement du tribunal

Par jugement du 10 septembre 2018, le tribunal du travail a conclu à la prescription de l’action pour la période du 1er février 2009 au 31 août 2015. Le travailleur a été condamné à rembourser un indu (802,50 € bruts) pour la période ultérieure.

Le Fonds de fermeture interjette appel.

Les arrêts de la cour du travail

La cour du travail a rendu deux arrêts.

L’arrêt du 7 avril 2023

La cour rappelle le cadre du litige, renvoyant aux articles 51 et 52 de la loi du 26 juin 2002 relative aux fermetures d’entreprise, qui prévoient l’intervention du Fonds pour ce qui est de l’indemnité complémentaire de prépension en cas de défaut de l’employeur. Cette condition n’était pas remplie en l’espèce, vu les paiements effectués par la compagnie d’assurances.

La cour en vient ensuite à la Charte de l’assuré social, l’intimé soutenant que, en vertu de son article 17, la décision du 8 mars 2016 ne pouvait produire ses effets que pour l’avenir, le Fonds de fermeture étant le seul responsable du paiement indu et ayant commis une erreur en versant les indemnités complémentaires.

Pour le Fonds de fermeture, la Charte ne lui est pas applicable.

La cour reprend son article 2, 2°, (qui concerne son champ d’application, celle-ci s’appliquant notamment à « tout organisme, autorité ou toute personne morale de droit public qui accorde des prestations de sécurité sociale ») et conclut que la Charte n’est effectivement pas applicable, le Fonds de fermeture étant étranger à la gestion globale – O.N.S.S. puisqu’il est financé par le produit de cotisations patronales spécifiques.

Elle en vient alors au délai de prescription. Elle scinde la période en deux.

Pour les paiements indus effectués à partir du 11 août 2013, cette récupération est soumise au délai de prescription de l’article 72/1 de la loi du 26 juin 2002. Celui-ci contient trois délais, le délai de base étant de trois ans, un délai de six mois s’appliquant en cas d’erreur du Fonds et un troisième, de cinq ans en cas de fraude.

C’est celui de six mois qui a été retenu par le premier juge.

La cour relève qu’alors que l’application de ce délai n’avait pas contestée auparavant, le Fonds demande actuellement de retenir celui de cinq ans au motif que l’on pourrait admettre l’existence d’une fraude. Elle rejette cette demande incidente, dans la mesure où elle vise à étendre la saisine du juge d’appel et qu’elle est tardive, intervenant dans les conclusions en réplique à l’avis du ministère public.

La seconde période examinée est celle précédant le 11 août 2013. La cour rappelle ici le débat intervenu dans le passé à propos du délai de prescription applicable à l’action en répétition d’un indu par le Fonds de fermeture, aucun délai n’étant prévu à l’origine pour celui-ci.

Elle reprend les interventions de la Cour constitutionnelle à cet égard (C. Const., 10 mars 2011, n° 34/2011 et C. Const., 19 décembre 2013, n° 182/2013). Ces décisions ont été rendues, la première, dans le cadre de la loi du 28 juin 1966 et, la seconde, dans celle du 12 avril 1985.

La cour considère que ce constat d’inconstitutionnalité persiste dans la loi du 26 juin 2002.

Elle en vient à l’office du juge. Elle consacre de longs développements à la question, le juge étant tenu de remédier à cette lacune pour autant que cela soit possible (lacune auto-réparatrice).

Pour remédier à ce constat d’inconstitutionnalité, elle décide de retenir l’application des délais de prescription prévus par l’article 72/1.

Reste à déterminer si la prescription a été interrompue. Ayant décidé de l’application du délai de six mois, elle conclut que les paiements effectués avant le 11 août 2013 sont prescrits en totalité et qu’une partie de ceux intervenus ultérieurement le sont, devant être pris en compte un courrier recommandé (interruptif) du 9 mars 2016.

Cependant, se pose la question de savoir si la prescription a été valablement interrompue vu les exigences reprises à l’article 72/1, § 2, de la loi du 26 juin 2002 en matière de mentions obligatoires.

Pour l’Avocat général, ce n’est pas le cas et la décision devrait être considérée comme nulle, aucun effet interruptif ne pouvant en être tiré. Le premier acte interruptif serait dès lors le dépôt de conclusions dans le cadre de l’instance. Celles-ci ont été déposées bien plus de six mois après le dernier paiement.

La cour décide dès lors une réouverture des débats.

L’arrêt du 9 novembre 2023

La cour règle la question faisant l’objet de la réouverture des débats.

L’article 72/1, § 2, exige, sous peine de nullité, que la décision de répétition mentionne la constatation de l’indu, le montant total de celui-ci ainsi que le mode de calcul, les dispositions en infraction desquelles les paiements ont été effectués, le délai de prescription pris en considération et sa justification ainsi que la possibilité d’introduire un recours devant le tribunal du travail compétent dans un délai de 30 jours après la présentation du recommandé au travailleur, et ce à peine de forclusion. C’est le dépôt de ce pli recommandé à la poste qui interrompt la prescription.

Elle reprend ensuite l’article 15 de la Charte de l’assuré social, constatant que les exigences sont similaires. Les dispositions étant d’ordre public, elles doivent s’appliquer, et ce qu’il y ait grief ou non. Elles doivent être soulevées d’office.

Certaines mentions sont manquantes en l’espèce (délai de prescription, possibilité d’introduire un recours).

La cour rejette l’argumentation du Fonds de fermeture selon lequel le seul dépôt du recommandé à la poste interrompt la prescription.

Elle renvoie à un arrêt de la Cour de cassation du 2 mai 2016 (Cass., 2 mai 2016, S.15.0115.F), ainsi qu’aux conclusions de M l’Avocat général GÉNICOT prises avant celui-ci. La Cour y a décidé que l’arrêt qui a reconnu un effet interruptif à des actes administratifs dont il avait constaté l’illégalité viole l’article 159 de la Constitution et M. l’Avocat général a précisé que l’acte administratif irrégulier ne peut sortir aucun effet de sorte qu’il n’aurait pas d’effet interruptif de prescription.

Pour la cour du travail, la décision du 9 mars 2016 est dès lors nulle.

Le Fonds aurait pu interrompre la prescription par le biais de conclusions mais celles-ci sont tardives.

La cour rejette également l’argument selon lequel la requête introductive d’instance doit être considérée comme un mode interruptif de prescription, et ce au motif que seul le demandeur peut étendre ou modifier sa demande en vertu de l’article 807 C.J.

La demande est en conséquence prescrite.

Intérêt de la décision

Cette question de prescription de l’action du Fonds de fermeture en récupération d’indû a donné lieu à quelques décisions de jurisprudence, celles-ci rappelant en général les arrêts de la Cour constitutionnelle du 10 mars 2011(n° 34/2011) et 19 décembre 2013 (n° 182/2013), rendus respectivement dans le cadre de la loi du 28 juin 1966 relative à l’indemnisation des travailleurs licenciés en cas de fermeture d’entreprises et dans celui de la loi du 12 avril 1985 chargeant le Fonds d’indemnisation des travailleurs licenciés en cas de fermeture d’entreprises du paiement d’une indemnité de transition. La Cour y a conclu à la violation des normes constitutionnelles.

L’absence de mention d’un délai de prescription de cette action s’est retrouvée dans la loi du 26 juin 2002 relative aux fermetures d’entreprises. Il fut remédié à cette lacune par la loi du 30 juillet 2013 portant des dispositions diverses (entrée en vigueur le 11 août 2013).

Relevons dans une telle situation de lacune législative qu’il est admis en règle que, en cas de lacune intrinsèque ou auto-réparatrice, le comblement peut être fait par le juge sauf s’il requiert un régime procédural totalement différent ou implique une violation d’un autre texte constitutionnel, si le juge se trouve face à des choix que seul le législateur peut opérer, si la nouvelle règle doit faire l’objet d’une réévaluation des intérêts sociaux (par le législateur) ou enfin si elle implique une modification d’une ou de plusieurs dispositions légales.

Pour ce qui est du délai de prescription de récupération de l’indu dans la loi du 26 juin 2002 avant l’entrée en vigueur de l’article 72/1, le tribunal du travail de Liège a, pour sa part, jugé qu’il résultait de l’enseignement de la Cour constitutionnelle (qui a dans son arrêt du 10 mars 2011 envisagé deux possibilités en ce qui concerne l’indemnité de fermeture – étant qu’elle peut être considérée soit comme une prestation de sécurité sociale au sens large soit comme un élément de rémunération –, qui impliquent des délais différents), qu’il n’appartenait pas au juge d’appliquer tel ou tel délai de prescription, les indemnités pouvant être considérées à la fois comme de la rémunération ou des prestations de sécurité sociale (Trib. trav. Liège (div. Liège), 19 septembre 2022, R.G. 21/164/A ), la lacune n’étant pas auto-réparatrice.


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