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Conditions de validité d’une clause d’écolage

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Liège), 27 mai 2024, R.G. 23/1.253/A

Mis en ligne le vendredi 27 septembre 2024


Tribunal du travail de Liège (division Liège), 27 mai 2024, R.G. 23/1.253/A

Terra Laboris

Le tribunal du travail de Liège (division Liège) reprend, dans un jugement du 27 mai 2024, la réglementation en matière de clause d’écolage, dont les conditions dans lesquelles celle-ci est réputée inexistante.

Les faits

Un pilote a été engagé par une société aérienne dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée le 28 février 2019. Il devait piloter des Boeing-737, fonction reprise dans son contrat.

En mars 2020, il reçut une convocation de la part d’une autre société aérienne (française) en vue d’un recrutement, la procédure étant cependant annulée suite au COVID-19.

Le pilote s’est dès lors porté candidat pour une formation proposée par la société qui l’employait, en vue d’obtenir une qualification de pilote de B-747. Une sélection interne était intervenue et l’intéressé avait obtenu un classement favorable à l’issue du processus.

Il entama dès lors sa formation au début de l’année 2021. Les frais de celle-ci furent financés par l’employeur, pour un montant de l’ordre de 35 000 €.

Le paiement de la rémunération fut par ailleurs poursuivi.

Un avenant au contrat de travail fut signé le 14 janvier 2021, prévoyant une clause d’écolage qui prendrait cours à l’issue de la période de formation.

Cette clause a une durée de trois ans et prévoit le remboursement d’une partie du coût de cette formation si l’intéressé venait à quitter la société pendant cette période, le remboursement étant dégressif en fonction de l’année du départ.

Après la formation, le 15 avril 2021, l’intéressé accéda à la fonction, ce qui entraîna une majoration de sa rémunération.

Parallèlement, dans l’autre société aérienne, la procédure de sélection reprenait.

Le pilote reçut dès lors une convocation au mois de juin pour une étape de sélection, en vue d’une entrée en service le 18 janvier 2023.

En conséquence, il démissionna le 1er décembre 2022 moyennant prestation d’un préavis de six semaines.

La société fit alors application de la clause d’écolage et lui demanda le remboursement de 50 % du coût de la formation.

Les parties ne s’accordant pas, la société introduisit une procédure devant le tribunal du travail de Liège, division Liège, en vue d’obtenir le remboursement du montant.

Position des parties devant le tribunal.

La discussion concerne la validité de la clause d’écolage.

La société estime que celle-ci ne se situe pas dans le cadre légal et réglementaire de la fonction, puisque, pour piloter les appareils au départ de son contrat, l’intéressé ne devait pas être détenteur de la qualification spéciale (Boeing-747).

Elle considère également que la formation est valorisable en dehors de son entreprise. L’intéressé pourrait en effet obtenir le transfert de sa licence belge vers une licence française (ayant été réengagé par une société française), et ce même si l’employeur pour lequel il preste à ce moment ne dispose pas de ce type d’appareil.

La société répond également à une demande subsidiaire du pilote, relative à la justification du coût de la formation. Elle renvoie à l’article 22 bis, § 3, de la loi du 3 juillet 1978, selon lequel la clause d’écolage doit mentionner le coût de la formation mais ne doit pas donner la justification de celui-ci et ajoute que l’intéressé a marqué accord sur celle-ci.

Le défendeur estime pour sa part que cette clause est réputée inexistante, entrant dans le cadre de l’exercice de la profession pour laquelle il a été engagé et la formation ne pouvant pas être valorisée en dehors de l’entreprise.

Il sollicite dès lors à titre principal que la société soit déboutée de sa demande et à titre subsidiaire qu’elle justifie le coût de la formation. Enfin, il sollicite la réduction du montant réclamé, considérant qu’il y a lieu d’appliquer le taux relatif à la troisième année et non à la deuxième.

La décision du tribunal

Le tribunal reprend le texte de l’article 22 bis de la loi du 3 juillet 1978, relatif à la clause d’écolage. Cette disposition en donne d’abord la définition : c’est celle par laquelle le travailleur, bénéficiant dans le cours de l’exécution de son contrat de travail d’une formation aux frais de l’employeur, s’engage à rembourser à ce dernier une partie des frais de formation en cas de départ de l’entreprise avant l’expiration d’une période convenue.

Il en reprend les conditions et notamment les exigences que doit comporter l’écrit constatant cette clause.

La loi prévoit en outre les conditions dans lesquelles la clause est réputée inexistante (montant de la rémunération, absence de possibilité de valorisation en dehors de l’entreprise, formation intervenant dans le cadre réglementaire ou légal requis pour l’exercice de la profession et durée de la formation ou valeur de celle-ci).

Le tribunal renvoie également à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 5 juin 2012, RG 2010/AB/989), qui a jugé qu’il y a nullité de la clause lorsque la formation est assurée de toute manière dans la fonction pour laquelle le travailleur a été engagé mais que tel n’est pas le cas lorsque celle-ci lui permet d’acquérir de nouvelles compétences professionnelles utiles pour une fonction avec plus de responsabilités tant auprès de son employeur qu’auprès d’un autre, ou encore lorsque celle-ci a lieu en vue de constituer une réserve de recrutement.

Il applique dès lors les principes dégagés ci-dessus à la clause examinée, vérifiant en premier lieu si celle-ci est valable.

La première question est de savoir si elle s’inscrit dans le cadre réglementaire ou légal requis pour l’exercice de la profession pour laquelle le défendeur a été engagé, ce dernier précisant qu’il a été recruté pour exercer la profession de pilote et que voler sur un type d’avion ou un autre est toujours la même fonction.

Le tribunal ne suit pas cette argumentation, vu les termes du contrat, qui se réfèrent spécifiquement à un type déterminé d’avion et qui prévoient un barème de rémunération correspondant. Il considère que la formation requise lui permet d’exercer un autre type de fonction et qu’il y a changement de fonction par promotion.

Il conclut dès lors à la validité de la clause par rapport à ce critère.

Sur la question de la possibilité de valorisation en dehors de l’entreprise, il s’écarte également de l’argumentation du défendeur selon laquelle la société française ne possède pas le type d’avion en cause, le jugement précisant à cet égard que l’article 22, § 4, 2e tiret de la loi n’exige pas que la formation soit effectivement valorisée en dehors de l’entreprise, la seule possibilité de cette valorisation suffisant.

Sur la question de la justification du montant de la formation, le tribunal retient que la disposition légale n’impose pas à l’employeur de justifier ce coût et que par ailleurs en signant l’avenant en cause le pilote a marqué son accord sur les conditions de la clause.

Enfin, il rejette également la demande de diminution du montant à rembourser, vu le fait que le défendeur a quitté la société entre le 12e et le 24e mois suivant la fin de sa formation.

Intérêt de la décision

Cette décision est l’occasion de rappeler l’article 22bis de la loi du 3 juillet 1978, inséré par la loi du 27 décembre 2006 portant des dispositions diverses, qui définit et réglemente la clause d’écolage.

L’exigence d’un écrit est prescrite à peine de nullité, pour chaque travailleur individuellement, et ce au plus tard au moment où la formation dispensée dans le cadre de cette clause débute.

Elle ne peut par ailleurs intervenir que dans le cadre d’un contrat de travail conclu pour une durée indéterminée.

L’article 22bis énumère les mentions qui doivent figurer dans l’écrit.

Relevons le point qui a fait l’objet de quelques débats dans le cadre de l’affaire dont la décision est commentée, étant la question du coût de la formation. Ce coût doit être repris dans l’écrit lui-même. Lorsqu’il ne peut être déterminé dans sa totalité, le texte prévoit que les éléments de coûts susceptibles de permettre une estimation de la valeur de la formation doivent figurer.

En ce qui concerne la rémunération et les frais de transport ou de résidence, ils ne peuvent être inclus dans le coût de la formation elle-même.

Un autre point important est le montant du remboursement d’une partie des frais d’écolage pris en charge par l’employeur à payer par le travailleur à l’issue de la formation. Ce montant doit être dégressif par rapport à la durée de validité de la clause et ne pourra pas dépasser certaines limites. Le montant du remboursement est, dans la limite autorisée, laissé à l’autonomie des volontés.

Enfin, quatre hypothèses sont prévues dans lesquelles la clause est réputée inexistante étant (i) lorsque la rémunération annuelle ne dépasse pas 16 100 € (indexé), (ii) lorsqu’il ne s’agit pas d’une formation spécifique qui permet d’acquérir de nouvelles compétences professionnelles pouvant le cas échéant être valorisées également en dehors de l’entreprise, (iii) lorsque la formation se situe dans le cadre réglementaire ou légal requis pour l’exercice de la profession pour laquelle le travailleur a été engagé et (iv) lorsque cette formation n’atteint pas à une durée de 80 heures ou une valeur égale au double du RMMMG.


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