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Indemnisation d’un eczéma de contact dans le cadre d’une maladie professionnelle

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 16 février 2024, R.G. 2023/AL/2

Mis en ligne le vendredi 27 septembre 2024


Cour du travail de Liège (division Liège), 16 février 2024, R.G. 2023/AL/2

Terra Laboris

Dans un arrêt du 16 février 2024, la Cour du travail de Liège, division Liège, statue sur la reconnaissance d’un eczéma de contact en tant que maladie professionnelle et rappelle les règles en matière de réparation, l’écartement préventif étant un élément de la réparation distinct de l’incapacité permanente.

Les faits

Une employée de grande surface (caissière, vendeuse et réassortisseuse dans un grand magasin) présente en avril 2017 un érythème ainsi que des sensations de chaleur sur certaines parties du corps (joues, menton, front et mains), associées à une asthénie.

Elle poursuit son activité mais présente quelques semaines plus tard des plaques eczématiformes sur les cuisses et le visage.

Malgré les traitements (corticoïdes), les lésions reprennent, et ce dès la reprise du travail. Il est constaté que si la travailleuse porte des gants de protection, ceci a un effet positif sur les lésions aux mains.

Elle introduit une demande auprès de Fedris, tendant à l’indemnisation d’une maladie figurant sur la liste des maladies professionnelles reconnues. Il s’agit du code 1.202, qui vise les affections cutanées provoquées dans le milieu professionnel par des allergènes non considérés sous d’autres positions. Les substances auxquelles l’intéressée est allergique sont identifiées, dont notamment le cobalt et le nickel. Ces substances se retrouvent dans les objets métalliques et les bijoux de fantaisie.

D’autres, également présentes, sont des allergènes que l’on retrouve dans les produits cosmétiques, hygiéniques, ménagers et industriels.

Le 21 novembre 2017, Fedris notifie à l’intéressée une décision accueillant sa demande. Lui est annoncé le remboursement de la partie des frais de soins de santé en rapport avec la maladie professionnelle à partir du 16 juin 2017. Une incapacité de travail temporaire est reconnue jusqu’à la fin septembre de la même année.

La demande

L’intéressée introduit une procédure devant le Tribunal du travail de Liège (division Liège) au motif qu’elle a connu d’autres périodes d’incapacité temporaire totale et qu’il subsiste une incapacité physique d’importance moyenne. Elle fait également grief à Fedris de ne pas avoir envisagé d’écartement professionnel alors que les problèmes sont récidivants.

Rétroactes de procédure

Le tribunal ordonne une expertise médicale par jugement du 26 juin 2018.

Il demande à l’expert de dire si la demanderesse souffre de la maladie professionnelle en cause et, si elle est atteinte d’une incapacité travail qui serait la conséquence de cette maladie, d’en déterminer le point de départ pour ce qui est de l’incapacité permanente et le taux de celle-ci, ainsi que de préciser si les conditions de l’écartement professionnel sont remplies, étant de savoir si elle est atteinte ou menacée par la maladie professionnelle et qu’elle doit en conséquence s’abstenir soit temporairement soit définitivement de toute activité qui pourrait l’exposer encore au risque de celle-ci et cesser son activité.

Dans un rapport préliminaire, l’expert retient un eczéma de contact. Il conclut que les phénomènes allergiques sont de plus en plus importants au fur et à mesure des expositions professionnelles mais que, en dehors de celles-ci, la pathologie régresse.
Il note que les allergènes sont présents non seulement dans l’activité professionnelle exercée mais également dans de nombreuses autres activités qui pourraient être raisonnablement accessibles. Il conclut que l’état de l’intéressée n’est pas susceptible d’amélioration ou de guérison.

Il fixe ainsi les périodes d’incapacité temporaire totale et retient au titre d’incapacité permanente un pourcentage de l’ordre de 18 à 20 pour cent à partir du 15 mars 2018.

Sur la question de l’écartement, il est d’avis qu’il y a lieu de retenir un écartement définitif du milieu professionnel ainsi que des professions susceptibles de mettre l’intéressée en rapport avec les allergènes.

Suite aux observations des parties, l’expert dépose son rapport définitif, tenant compte des remarques faites.

Sa conclusion reste en gros inchangée, l’incapacité permanente étant fixée à 20 %.

Le tribunal entérine partiellement le rapport de l’expert par jugement du 22 avril 2022, écartant en partie les périodes d’incapacité temporaire retenues et réservant à statuer pour l’une d’entre elles. Le taux d’incapacité permanente est fixée à 20 %, les facteurs socio-économiques étant de 4 %. Fedris est dès lors condamné à indemniser l’intéressée sur la base d’un taux de 24 %.

Fedris interjette appel.

Position des parties devant la cour

Pour Fedris, l’atteinte cutanée n’existant pas au moment des travaux d’expertise, il s’agit d’une allergie sous-jacente, qui ne peut constituer comme telle une infection cutanée au sens du code 1.202 : en l’absence de maladie avérée et d’atteinte à l’intégrité physique actuelle et permanente générée par la maladie, il n’y a pas lieu de reconnaître l’existence d’une incapacité de travail permanente. Le fait que la travailleuse ne pourrait plus professionnellement être exposée aux substances en cause peut tout au plus justifier un écartement définitif. L’Agence développe des arguments à titre subsidiaire en ce qui concerne les périodes d’incapacité temporaire totale et admet le taux des facteurs socio-économiques. Elle conteste le versement d’une rente permanente d’écartement.

Quant à l’intimée, outre la question des périodes d’incapacité temporaire totale à prendre en considération, elle sollicite une indemnisation globale de 40 % (soit 20 % de facteurs socio-économiques) et plaide qu’il y a lieu à écartement définitif, justifiant la rente d’écartement pendant 90 jours.

La décision de la cour la cour

La cour donne le cadre légal, étant la maladie indemnisable d’abord, l’exposition au risque ensuite, le lien de causalité, les conséquences indemnisables, l’écartement et les preuves requises.

Pour ce qui est des conséquences indemnisables, elle rappelle que celles-ci sont de trois ordres : (i) l’incapacité temporaire de travail, qui peut être totale ou partielle, (ii) l’incapacité permanente et (iii) le remboursement des frais médicaux, chirurgicaux, pharmaceutiques et hospitaliers ainsi que les appareils de prothèse et d’orthopédie.

Elle souligne encore que la reconnaissance de l’incapacité permanente suppose avant tout l’existence d’une incapacité physiologique résultant de la maladie.

Sur l’écartement préventif, elle renvoie à l’article 37 des lois coordonnées, rappelant que la cessation de l’activité professionnelle décidée à titre préventif constitue à elle seule un dommage réparable, et ce indépendamment de l’indemnisation à laquelle peut donner lieu la reconnaissance d’un état d’incapacité de travail. Cette cessation peut intervenir non seulement pour éviter l’apparition de la maladie mais également son aggravation. L’allocation forfaitaire d’écartement répare un dommage distinct et peut dès lors être cumulée avec une indemnité pour incapacité permanente partielle.

Si aucune autre indemnisation de l’écartement n’est prévue par la loi, la cour, renvoyant à un arrêt d’une autre chambre de la Cour du travail de Liège (C. trav. Liège (div. Liège), 22 mars 2022, R.G. 2020/AL/239) précise qu’il peut être tenu compte de l’écartement du travailleur dans l’évaluation des facteurs socio-économiques, cette mesure restreignant par nature le potentiel économique du travailleur sur le marché du travail.

En l’espèce, la question de l’atteinte de la maladie professionnelle a été soulevée, comme le rappelle la cour, pour la première fois dans le cadre de l’appel.

Par ailleurs, la présence d’autres affections (notamment respiratoires) n’exclut pas que l’affection cutanée soit reconnue comme maladie professionnelle.

L’existence d’un agent nocif ainsi que le lien entre l’affection et le milieu professionnel sont également établis avec un degré suffisant de certitude. La cour confirme dès lors la conclusion de l’expert judiciaire, étant qu’il y a atteinte d’une maladie visée au code 1.202.

La cour examine encore longuement la question de l’exposition en l’espèce au risque professionnel et, sur ce point, estime nécessaire d’ordonner un complément d’expertise, confié au même expert, à charge pour celui-ci, si nécessaire, de faire appel à un sapiteur. La mission porte essentiellement sur les allergènes retenus.

Intérêt de la décision

L’intérêt de l’arrêt commenté est triple.

La cour rappelle que l’écartement préventif constitue un dommage distinct de la réparation de l’incapacité permanente suite à l’atteinte de la maladie professionnelle. Si aucune autre indemnisation que l’intervention de Fedris pendant 90 jours ne figure dans la loi, la mesure d’écartement peut intervenir en tant qu’élément d’appréciation des facteurs socio-économiques permettant de déterminer le degré d’incapacité permanente.

Par ailleurs, la cour a tranché la question de la nature de la maladie elle-même, étant l’allergie. À cet égard que l’on peut renvoyer à un arrêt précédent de la cour du travail de Liège (autre chambre) du 6 février 2023, concernant le même code. La cour y a précisé que si l’organisme réagit anormalement à toute une série de substances, il y a une incapacité physiologique ayant une incidence sur le potentiel du travailleur, dès lors qu’il est acquis que les symptômes vont se manifester chaque fois que celui-ci y sera exposé et qu’ils ont une incidence sur sa santé. Sur la question du risque potentiel, voire futur, la cour a souligné que l’allergie est un phénomène immunologique précis qui consiste en une réaction excessive du système immunitaire face à une substance étrangère à l’organisme, dénommée « antigène ». Deux conditions sont requises, étant (i) une prédisposition génétique et (ii) une exposition à la substance allergène. L’allergie est une maladie dès lors qu’elle consiste en un dérèglement du système immunitaire pouvant avoir des manifestations cutanées, respiratoires ou généralisées en présence de l’allergène (C. trav. Liège (div. Liège), 6 février 2023, R.G. 2022/AL/302 – précédemment commenté).

Enfin, la cour a confié à l’expert la mission de déterminer les séquelles sur le plan physiologique, ce qu’il a fait. Elle détermine elle-même les facteurs socio-économiques, question distincte, qui doit prendre en compte les critères spécifiques au marché du travail de l’intéressée. Cette question, qui n’est pas médicale, gagne à notre sens, à être distinguée de l’aspect médical et ce choix a le bénéfice de la clarté, la perte de concurrence faisant ainsi l’objet d’une appréciation par le juge. Notons que les deux aspects sont cependant en général confondus dans l’autre branche du risque professionnel que sont les accidents du travail.


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