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Requalification du contrat : paiement des cotisations de sécurité sociale

Commentaire de Cass., 11 mars 2024, n° S.21.0070. F et S.22.0090.F

Mis en ligne le vendredi 27 septembre 2024


Cour de cassation, 11 mars 2024, n° S.21.0070. F et S.22.0090.F

Terra Laboris

En cas de requalification de la convention en contrat de travail, la condamnation à payer les cotisations de sécurité sociale sur les sommes payées au travailleur ne peut être fondée sur l’article 42, 5e alinéa de la loi du 27 juin 1969, qui vise l’action du travailleur en reconnaissance de son droit subjectif à l’égard de l’O.N.S.S.

Rétroactes de la procédure

La Cour de cassation a été saisie de deux pourvois contre deux arrêts successifs rendus par la Cour du travail de Bruxelles dans la même affaire.

Le pourvoi inscrit au rôle général sous le numéro S.21.0070.F est dirigé contre un arrêt rendu le 19 janvier 2021, en cause de deux sociétés contre un employé et l’O.N.S.S. (cette partie étant appelée en déclaration d’arrêt commun).

Le pourvoi portant le numéro S.22.0090.F est relatif à un arrêt rendu le 25 mai 2022 par la même cour du travail, en cause des mêmes parties.

Les deux pourvois sont joints, la Cour considérant qu’ils sont liés entre eux par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les juger ensemble.

Le pourvoi inscrit sous le numéro S.21.0070.F ne fait pas l’objet du présent commentaire, s’agissant d’un litige en contrat de travail (requalification du contrat de l’administrateur délégué à la gestion journalière de la première des deux sociétés – filiale de la seconde).

Il suffit de rappeler à cet égard que la Cour a rejeté le pourvoi, constatant que l’arrêt attaqué avait déduit l’absence de liberté de cet administrateur d’organiser son temps travail, non des limites au pouvoir de gestion telle que constatées par le juge du fond mais des contraintes qu’il avait également relevées.

La Cour de cassation a souligné pour le surplus que les limites des pouvoirs de gestion de la personne chargée de la gestion journalière d’une société et les instructions qu’elle reçoit constituent des éléments pertinents pour apprécier la liberté d’organisation du travail de cette personne et la possibilité pour la société d’exercer un contrôle hiérarchique, et que les contraintes en matière de congé, d’horaire de travail, de déplacement professionnel et de justification des incapacités de travail constituent de même des éléments pertinents pour apprécier la liberté d’organisation du temps de travail de la personne ainsi que la liberté d’organisation de son travail et la possibilité d’exercer un contrôle hiérarchique.

Le présent commentaire est par conséquent consacré au pourvoi inscrit au rôle général sous le numéro S.22.0090.F.

L’arrêt de la cour du travail

La cour du travail a condamné les sociétés à payer les cotisations de sécurité sociale tant sur les sommes qui avaient été versées à l’administrateur durant son occupation au travail en Belgique (requalifiée en activité salariée) que sur les arriérés de rémunération au sens large et d’en fournir la preuve à l’administrateur. Elle a réservé à statuer sur la demande de dommages et intérêts évalués à un euro provisionnel formée par celui-ci au cas où les sociétés refuseraient de régulariser les cotisations sociales.

Le pourvoi

Le pourvoi contient deux moyens.

Le premier est jugé irrecevable, son examen supposant une appréciation des faits excédant le pouvoir de la Cour.

Le second moyen vise l’article 42, alinéa 5, de la loi du 27 juin 1969.

Le pourvoi rappelle que l’employeur est tenu en vertu de l’article 23, § 2, de la loi du 27 juin 1969, de transmettre les cotisations sociales trimestriellement à l’ONSS. Le travailleur peut en vertu des articles 1382 et 1383 de l’ancien Code civil ainsi que de l’article 26 de la loi du 27 juin 1969 demander réparation du préjudice subi, suite à l’omission ou au retard dans le transfert des cotisations. Le non-paiement par l’employeur dans les délais prescrits constitue une faute ainsi qu’une infraction.

L’article 26, 2e alinéa, de la loi du 27 juin 1969 dispose que l’employeur est tenu de réparer le préjudice subi par le travailleur. Ceci suppose que le non-paiement entraîne l’existence d’un préjudice certain, qui doit être prouvé.

L’action en réparation du dommage fondée sur une responsabilité extra contractuelle se prescrit par cinq ans à partir du jour suivant celui où la personne lésée a eu connaissance du dommage (ou de son aggravation) ainsi que de l’identité du responsable.

En conséquence, l’action en paiement de dommages et intérêts peut être formée dans les cinq ans suivant la commission du délit (l’action civile ne pouvant se prescrire avant l’action publique et bénéficiant des causes d’interruption ou de suspension de la prescription pénale).

Le pourvoi relève que le travailleur a sollicité à titre principal la réparation en nature du dommage découlant de l’absence de paiement des cotisations sociales, c’est-à-dire le paiement de celles-ci au créancier et qu’à titre subsidiaire il a demandé des dommages et intérêts visant à réparer le préjudice subi.

La cour du travail a retenu que le défaut d’assujettissement du travailleur à la sécurité sociale belge était susceptible de le priver de différents droits sociaux et qu’il disposait dès lors d’un intérêt à formuler sa demande. La cour devait dès lors vérifier et constater, dans la mesure où elle était saisie d’une demande fondée sur les articles 1382 et 1383 de l’ancien Code civil et 26, 2e alinéa, de la loi du 27 juin 1969, l’existence d’un préjudice dans le chef de l’employé en relation causale avec le non-paiement des cotisations de sécurité sociale.

L’appréciation selon laquelle le défaut d’assujettissement est « susceptible » de le priver de différents droits sociaux ne justifie pas la condamnation des sociétés à payer les cotisations sécurité sociale réclamées. La cour du travail ne pouvait dès lors conclure que l’existence seule de la faute (constituant également une infraction) était suffisante pour accorder la réparation en nature.

Par ailleurs, en retenant que la demande n’est pas soumise au délai de trois ans de l’article 42 de la loi du 27 juin 1969 mais à celui de l’article 26 du Titre préliminaire du Code de procédure pénale, sans constater qu’il y a une infraction continuée ni que l’action civile profite des causes d’interruption ou de suspension de la prescription pénale, entraînant la prescription de cinq ans de l’article 2262 bis, § 1er, 2e alinéa de l’ancien Code civil, la cour du travail ne condamne pas légalement les sociétés à payer les cotisations pour la période antérieure de cinq ans à l’acte introductif d’instance (la période allant de janvier 2004 au 31 décembre 2014 et l’acte introductif d’instance datant du 2 décembre 2015).

Enfin, il fait valoir que, en considérant que le délai de prescription n’était pas écoulé (l’O.N.S.S. n’ayant formulé aucune demande), la cour s’est prononcée sur une chose non demandée.

En vertu de l’article 42, 5e alinéa, de la loi du 27 juin 1969, l’action intentée contre l’O.N.S.S. par un travailleur en reconnaissance de son droit subjectif à l’égard de cet office doit, à peine de déchéance, être introduite dans les trois mois de la notification par l’O.N.S.S. de la décision d’assujettissement ou du refus de celui-ci, rappelant encore le délai de déclaration et de paiement des cotisations selon que celles-ci concernent une période à venir ou qu’elles ont été reconnues par une décision coulée en force de chose jugée.

Cette disposition ne peut s’appliquer à l’action que l’O.N.S.S. pourrait formuler à l’encontre des sociétés sur la base de l’arrêt attaqué (ou de l’arrêt interlocutoire du 19 janvier 2021). En concluant que l’action de l’O.N.S.S. ne saurait déjà être prescrite sur la base de cette disposition, la cour du travail ne justifie pas légalement sa décision que les sociétés doivent payer les cotisations de sécurité sociale.

La décision de la cour

La cour reprend le texte de l’article 42, alinéa 5, de la loi du 27 juin 1969, rappelé in fine du moyen.

Elle accueille celui-ci, au motif que « l’arrêt, qui, pour décider que les demanderesses sont « tenues de payer [à l’Office national de sécurité sociale] les cotisations sociales […] sur les sommes déjà versées [au défendeur] durant son occupation au travail en Belgique [du 1er janvier 2004 au 31 décembre 2014], requalifiée de salariée » par l’arrêt du 19 janvier 2021, fait application de cet article 42, alinéa 5, pour considérer que « le délai de prescription ordinaire de trois ans dont dispose l’Office national de sécurité sociale pour réclamer ces créances ne saurait [être écoulé] », alors que cette disposition ne s’applique pas auxdites créances de cotisations sociales dès lors que l’arrêt du 19 janvier 2021 reconnaît le droit subjectif du défendeur à l’égard, non de l’Office national de sécurité sociale, mais des demanderesses, les employeurs, viole cette disposition légale ».

Intérêt de la décision

Le texte de l’article 42, alinéa 5, de la loi du 27 juin 1969 est clair, la disposition visant l’action intentée contre l’O.N.S.S. par le travailleur en reconnaissance de son droit subjectif à l’égard de l’O.N.S.S.

Dans la mesure où ce droit subjectif a, en l’espèce, été reconnu à l’égard, non de l’O.N.S.S., mais des sociétés, cette disposition ne peut servir de fondement à l’action que l’O.N.S.S. pourrait introduire contre les sociétés sur la base de l’arrêt de la cour du travail.

L’on notera également que le pourvoi a souligné que dans le cadre d’une action fondée sur les articles 1382 et 1383 de l’ancien Code civil, est requise non seulement l’existence d’une faute (en cas de non-paiement de la rémunération, cette faute étant en outre une infraction) mais aussi d’un dommage.

Le dommage doit être certain et il doit être prouvé par le travailleur.

La référence à la possibilité d’un dommage ne suffit pas. Ce point ne fait pas l’objet de l’arrêt de la Cour de cassation, celle-ci s’étant saisie uniquement de l’article 42, alinéa 5, de la loi du 27 juin 1969.


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