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Nature des avances versées dans le secteur des prestations aux personnes handicapées en cas d’accident mettant en cause la responsabilité d’un tiers

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 20 mars 2024, R.G. 2023/AL/261

Mis en ligne le vendredi 27 septembre 2024


Cour du travail de Liège (division Liège), 20 mars 2024, R.G. 2023/AL/261

Terra Laboris

Un arrêt de la Cour du travail de Liège (division Liège) du 20 mars 2024 rappelle que les avances versées par l’État belge en attente du règlement définitif du dommage causé par un accident mettant en cause la responsabilité d’un tiers sont des avances sur les indemnités à verser par l’assureur du tiers responsable ou sur les indemnités payées dans le secteur AMI et que la subrogation de l’État belge est limitée à ce dommage ainsi qu’à la période concernée.

Les faits

Suite à un accident de roulage, Madame B. introduit une demande d’allocations aux personnes handicapées en 2001.

Au moment de l’accident, elle bénéficiait des allocations de chômage et est tombé ensuite sur le régime de l’assurance maladie – invalidité.

Dans le cadre de l’instruction de la demande, l’intéressée a sollicité des avances sur l’indemnisation due par la compagnie d’assurances couvrant le sinistre. Deux avances ont ainsi été accordées en 2004 et 2009.

La demanderesse a été reconnue à 80 % d’incapacité et en catégorie 4 pour l’allocation d’intégration.

L’État belge prend une première décision octroyant des avances le 26 mars 2004. Celle-ci est calculée sur la base des éléments ci-dessus, étant retenus des revenus annuels de 6 632,47 € et un équivalent en rente périodique de 2 047,03 euros. L’État belge tient ainsi compte d’un capital de 40 250 € (soit 57 500 € x 70 %), multiplié par 5.0858 %.

Une seconde décision est prise le 2 avril 2009 suite à une révision d’office entamée en 2006, l’intéressée appartenant à la catégorie C (vu la perception d’allocations familiales pour un enfant de moins de 25 ans depuis le 1er décembre 2006).

Les revenus de remplacement sont reconstitués et une allocation d’intégration de catégorie IV d’un montant annuel de 6 168,37 € est accordée.

Le 10 mars 2003, l’autorisation avait été donnée par l’intéressée conformément à l’article 13, § 2 de la loi du 27 février 1987 relative aux allocations aux personnes handicapées de récupérer les sommes perçues indûment à titre d’avance auprès de la compagnie d’assurances assurant la responsabilité civile du véhicule dans lequel elle était passagère.

Ceci a été notifié à cette société par courrier du 17 mars 2004, celle-ci devant dès lors avertir l’État belge avant la liquidation d’éventuels avantages pouvant revenir à l’intéressée.

L’assureur avait par un courrier précédent informé l’État belge du montant des provisions reçues, soit 57 500 €, payés sans imputation particulière et étant à valoir sur le règlement définitif.

Le 10 octobre 2014, le tribunal de première instance de Liège a statué en droit commun (en degré d’appel), la compagnie étant condamnée au paiement d’une somme provisionnelle de 1.079 361,70 € (sous déduction des provisions déjà payées).

La décision judiciaire fixe la consolidation 1er avril 2004 avec 70 % d’invalidité permanente et 100 % d’incapacité économique.

Deux décisions ont alors été prises par l’État belge le 3 novembre 2014 statuant définitivement sur le droit aux allocations aux personnes handicapées et tenant compte des décisions antérieures octroyant des avances.

Une demande de recouvrement a été notifiée à l’assureur le 7 novembre 2014.

Par ailleurs les indemnités d’incapacité de travail ainsi que celles d’aide de tiers ont été prises en charge par cet assureur jusqu’au 30 octobre 2014 et la mutuelle a récupéré auprès de son affiliée les indemnités d’aide de tiers ultérieures.

Enfin, par courrier du 13 novembre 2014, l’assureur a informé la mutuelle des paiements intervenus.

La procédure en justice

Des recours ont été introduits par l’intéressée contre quatre décisions de recouvrement (27 avril 2009, 3 novembre 2014 (deux décisions) et 7 novembre 2014).

La décision du tribunal

Le tribunal a rendu deux jugements.

Le premier, du 13 décembre 2017, reçoit les recours et ordonne la réouverture des débats.

Le second (jugement dont appel) est rendu le 19 avril 2023. Il accueille les recours.

Est annulée la décision du 2 avril 2009, qui concernait une récupération d’un montant de 4 372,26 € (période de décembre 2006 à avril 2009), vu la révision d’office intervenue en 2006 au motif d’un enfant à charge.

Les décisions du 3 novembre 2014 (refus au motif que la condition de revenus n’est plus remplies) le sont également, la première décision concernant la période à partir du 1er novembre 2001 et la seconde du 1er décembre 2006. Ces décisions étant annulées, la décision de recouvrement du 7 novembre 2014 l’est également.

Par ailleurs le tribunal invite l’État belge à faire des calculs sur la base des avertissements-extraits de rôle pour toute la période (1er novembre 2001 – 30 novembre 2014, ordonnant la réouverture des débats.

La décision de la cour

Le cadre légal est la loi du 27 février 1987, loi dont la cour reprend certaines dispositions (article 7 et 13). Elle renvoie également à l’arrêté royal du 22 mai 2003 relatif à la procédure concernant traitement des dossiers en matière des allocations aux personnes handicapées (article 27) ainsi qu’à l’arrêté royal d’exécution de la loi du 27 février 1987, étant l’arrêté royal du 6 juillet 1987 (article 8bis, § 1er). Cette dernière disposition concerne l’imputation des avances.

La cour en vient au cas d’espèce, le litige étant limité à la récupération des avances consenties par l’État belge. Elle rappelle qu’il ne s’agit pas d’avances sur allocations mais d’avances sur des prestations et indemnités, versées au titre d’allocations.

Ces prestations et indemnités sont celles auxquelles l’intéressée peut prétendre dans le cadre de l’indemnisation en droit commun (articles 1382 et suivants du Code civil) et au titre de prestations sociales dans le secteur AMI.

En l’espèce, la contestation de l’intéressée concerne à la fois la récupération en cours d’octroi (décision du 27 avril 2009) et dans le cadre du règlement définitif (les deux décisions du 3 novembre 2014).

La cour rappelle qu’au moment du règlement définitif du dommage une conversion se produit entre les avances et le droit aux allocations.

L’État belge a été subrogé aux droits de Madame B à concurrence du montant des avances versées.

Un montant de 91 938,64 € a été récupéré directement auprès de l’assureur, s’agissant d’avances sur des prestations et indemnités versées au titre de l’allocation d’intégration. L’intéressée n’a rien perçu au titre d’allocation de remplacement de revenus.

L’État belge doit dès lors prendre en compte les prestations compensant la perte d’autonomie intervenues dans l’indemnisation en droit commun. Pour la cour, il ne s’agit pas de « décortiquer » les facteurs pris en compte pour la perte d’autonomie mais l’indemnisation du dommage qui globalement occasionne cette perte. La règle de non-cumul a pour objet d’éviter d’indemniser le même dommage (ou partie de dommage).

La subrogation de l’État belge est limitée à ce dommage ainsi qu’à la période concernée. L’on ne peut dès lors tenir compte d’une indemnisation accordée pour une période antérieure à l’octroi de l’allocation.

La cour constate, concernant les montants perçus, que l’équivalent en rente périodique à prendre en compte est un montant supérieur au montant barémique de l’allocation d’intégration de catégorie 4. Les avances peuvent dès lors être récupérées et aucun octroi en plus de l’indemnisation de droit commun n’est possible au titre d’allocation d’intégration à dater du 31 mars 2002.

Reste une période antérieure (1er novembre 2001 – 31 mars 2002), pour laquelle l’intéressée n’a pas perçu de capital. Pour celle-ci, le calcul de l’allocation d’intégration doit être réalisé conformément à l’article 8 de l’arrêté royal du 6 juillet 1987.

Les parties n’ayant pas approfondi cette dernière question, la cour ordonne une réouverture des débats. Celle-ci concerne également la question de l’allocation de remplacement de revenus, la cour entendant vérifier à quelle date Madame B pourrait ouvrir le droit à celle-ci.

Intérêt de la décision

La cour du travail rappelle dans cet arrêt que les avances ne sont pas des avances sur allocations mais des avances sur des prestations et indemnités auxquelles la personne ne peut prétendre dans le cadre de son indemnisation en droit commun et à titre de prestations sociales relatives à la maladie et l’invalidité. Celles-ci sont versées au titre d’allocations.

Dans un arrêt du 7 octobre 2019, la Cour de cassation a précisé que les allocations que l’Etat belge accorde conformément à l’article 7, § 4, de la loi du 27 février 1987 en tant qu’avances sur les prestations et indemnités auxquelles une personne handicapée pourrait prétendre à l’égard d’un tiers responsable sont soumises aux mêmes conditions que l’allocation de remplacement de revenus ou l’allocation d’intégration elles-mêmes (Cass., 7 octobre 2019, n° S.18.0061.N).

Ainsi que repris également dans l’arrêt de la cour du travail commenté, en cas de cumul avec une indemnisation intervenue dans un autre régime, le montant des allocations (allocation de remplacement de revenus ou allocation d’intégration) se calcule en tenant uniquement compte de l’indemnité destinée à compenser la limitation de capacité de gain ou la réduction d’autonomie. En conséquence, si une personne handicapée, victime d’un accident impliquant un tiers responsable, se voit allouer en justice une indemnisation en droit commun sous forme d’un capital censé représenter le dommage lié au préjudice économique subi durant une certaine période, cette indemnisation ne peut servir à diminuer le montant des allocations de remplacement de revenus accordées pour une période antérieure, quand bien même l’indemnisation de droit commun allouée trouve son fondement dans une limitation de la capacité de gain au sens de l’article 7, § 2, de la loi (C. trav. Bruxelles, 7 juin 2021, R.G. 2020/AB/409 (Décision commentée).


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