Commentaire de C. trav. Mons, 24 mai 2024, R.G. 2023/AM/250
Mis en ligne le vendredi 27 septembre 2024
Cour du travail de Mons, 24 mai 2024, R.G. 2023/AM/250
Terra Laboris
Un arrêt de la Cour du travail de Mons du 24 mai 2024 conclut, à propos d’une organisation syndicale, à l’irrecevabilité d’un appel interjeté par la personne physique qui en a été en début de procédure le représentant autorisé à agir en justice mais ne l’est plus, ayant été remplacée dans cette fonction.
Les faits
Les faits de la cause ont été exposés dans le commentaire fait précédemment du jugement dont appel (Trib. trav. Hainaut (div. Tournai), 16 juin 2023, R.G. 20/632/A). Ils ne sont donc que très brièvement rappelés ici.
Une employée d’une organisation syndicale avait été en incapacité de travail pour burnout. Elle fut licenciée peu après la reprise du travail, pendant la période de confinement dû au COVID–19.
Elle sollicita sa réintégration, le licenciement étant intervenu de manière particulièrement brutale. Celle-ci fut refusée.
Elle demanda alors à connaître les motifs concrets du licenciement. Il lui fut répondu qu’il s’agissait d’une perte de confiance vu un manque de respect dans son chef du règlement d’ordre intérieur, les représentants de l’employeur considérant que la poursuite de la relation de travail n’était plus envisageable.
Elle introduisit une procédure devant le tribunal du travail du Hainaut (division Tournai).
Le jugement du tribunal du travail
Le tribunal statua par jugement du 16 juin 2023.
Il était saisi de plusieurs chefs de demande, étant (i) une somme de 5 000 € pour absence d’audition préalable, (ii) une indemnité forfaitaire pour discrimination sur la base du genre (subsidiairement la demanderesse sollicitait le paiement de l’indemnité prévue par la CCT n° 109) et (iii) une indemnité ex aequo et bono de 10 000 € pour absence de mesures nécessaires en vue de faire cesser des faits de violence morale et de harcèlement.
Dans son jugement, le tribunal retint le droit pour l’intéressée à des dommages et intérêts en application des articles 1382 du Code civil et 32decies, paragraphe 1/1, alinéa 2, de la loi du 4 août 1996. Il admit en outre l’existence de fautes dans le chef du président de l’organisation pour ne pas avoir pris les mesures nécessaires aux fins de faire cesser la violence morale et le harcèlement dont l’employée était victime, fautes en lien avec un dommage moral spécifique, qui fut indemnisé à concurrence de 2 500 €.
Enfin, vu l’absence d’audition, le tribunal souligna que l’employeur, en raison de sa spécificité liée à la défense des droits des travailleurs, avait ici également commis une faute, étant de ne pas avoir eu les égards auxquels l’employée pouvait s’attendre.
S’il ne fit pas droit à la demande d’indemnité pour discrimination, le tribunal retint cependant le droit à une indemnité fondée sur la CCT 109.
Appel fut interjeté.
La position des parties devant la cour
L’intimée invoque l’article 703 du Code judiciaire (modifié par la loi du 15 avril 2018).
En l’espèce, l’organisation syndicale en cause est une association de fait dont M. C. avait été mandaté conformément aux statuts pour en assurer la direction effective. Il s’est d’ailleurs comporté comme employeur (signant notamment la lettre de licenciement et le formulaire C4). Il avait la qualité de président et en outre celle de mandataire. C’est en cette qualité de mandataire de l’organisation syndicale que la procédure a été dirigée contre lui.
Il avait encore cette fonction au moment où la requête contradictoire a été déposée mais il a été remplacé par M. D. en cours d’instance et ne pouvait dès lors déposer une requête d’appel après ce remplacement. En vertu de l’article 703, § 2, du Code judiciaire, seul le mandataire général, tel que mentionné au sens de l’extrait de la BCE, du groupement sans personnalité juridique peut agir en justice. La requête d’appel doit, dès lors, être déclarée irrecevable.
Quant à l’appelant, il estime que la requête introductive était dirigée contre lui et qu’il avait dès lors qualité et intérêt pour former appel contre le jugement. Le nouvel article 703, § 2 du Code judiciaire a, selon lui, pour effet qu’un groupement sans personnalité juridique, s’il est inscrit à la BCE, peut être cité en justice à son siège social et que ses membres sont réputés identifiés dans l’acte introductif d’instance par la mention de l’identité BCE du groupement.
Vu qu’il est lui-même repris dans l’inscription du groupement dans la BCE en tant que mandataire général, il estime représenter globalement chacun des membres individuels composant celui-ci. Il estime dès lors l’acte introductif d’instance lui-même irrégulier, dans la mesure où il devait faire mention du groupement représenté et du mandataire général le représentant. Il reprend les mentions figurant dans la requête et en conclut que la procédure a été introduite contre lui personnellement et non contre l’organisation.
En outre, il tire argument du fait qu’il a été personnellement condamné à payer des montants et que, le jugement ayant été mis à exécution à son encontre, il avait intérêt et qualité pour former appel. Sa requête est dès lors recevable.
La décision de la cour
La cour rappelle que les règles relatives à l’appel sont d’ordre public (Cass., 13 décembre 1991, n° 7604).
La qualité et l’intérêt conditionnent la recevabilité de l’appel. Ces notions reçoivent une interprétation et une application différentes de celles qu’elles revêtent au premier degré, seules les parties à la cause en première instance ayant qualité pour interjeter appel et l’intérêt à interjeter appel se déduisant du grief résultant de la décision dont appel.
En outre, les parties doivent avoir la capacité d’agir en justice. Pour ce qui est des associations de fait, à défaut de personnalité juridique, elles n’ont pas cette capacité. L’ensemble des membres du groupement, le cas échéant représentés par un mandataire, peut le faire.
N’ayant pas la personnalité juridique, les syndicats ne sont dès lors pas des sujets de droit et ne peuvent intervenir en qualité de partie au procès.
L’action qui serait introduite par un travailleur serait recevable si elle est dirigée contre l’ensemble des membres de celui-ci ou contre un mandataire.
Vu les difficultés soulevées par cette absence de personnalité juridique, l’article 703 du Code judiciaire a été modifié, par l’ajout d’un § 2, dont l’objet est de résoudre les problèmes d’identification et de représentation des groupements sans personnalité juridique.
La Cour constate que, en l’espèce, la procédure a été dirigée contre M.C. en sa qualité de président de l’organisation et non contre lui personnellement, cette fonction englobant celle de mandataire général, comme l’extrait de la BCE l’indique sans équivoque aucune.
L’intéressé occupait ces deux fonctions lorsque l’action a été introduite.
Il a été remplacé à cette double fonction pendant l’instruction de l’affaire par le tribunal. Il n’avait dès lors plus la qualité requise pour former appel.
La requête est en conséquence irrecevable.
Intérêt de la décision
Cette affaire est l’occasion de rappeler la modification de l’article 703 du Code judiciaire par la loi du 15 avril 2018 portant réforme du droit des entreprises.
Celui-ci dispose actuellement en son paragraphe 2, que « si un groupement sans personnalité juridique est inscrit à la Banque-Carrefour des Entreprises, la mention de sa dénomination et de son siège figurant dans ses données à la Banque-Carrefour suffit pour justifier, dans les litiges concernant les droits et obligations communs des membres du groupement, de l’identité de ses associés conjoints.
Si l’inscription à la Banque-Carrefour contient également les données d’identification d’un mandataire général, dans les mêmes litiges le groupement peut agir en justice, soit en demandant, soit en défendant, et comparaître en personne à l’intervention de ce mandataire, sans préjudice de l’application, pour ce qui concerne les sociétés, de l’article 36, 1°, du Code des sociétés, mais uniquement pour agir en justice en défendant. »
En d’autres termes, le demandeur qui agit au nom ou contre un groupement sans personnalité juridique inscrit à la Banque-Carrefour des Entreprises, justifie de l’identité des associés communs de ce groupement (ce sont donc toujours ces associés communs qui matériellement sont partie au procès) en indiquant la dénomination et le siège mentionnés dans ces données à la Banque-Carrefour des Entreprises, ce qui évite d’énumérer dans la citation tous les associés individuels et leur domicile respectif.
Les groupements sans personnalité juridique inscrits à la Banque-Carrefour et qui y ont également désigné un mandataire général peuvent agir en demandant et en défendant à l’intervention de ce mandataire, en ce compris la ‘comparution en personne’ au sens de l’article 728 du Code judiciaire.