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Cotisations au statut social des travailleurs indépendants : conditions de validité de la contrainte signifiée par la caisse

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 9 février 2024, R.G. 2023/AB/190

Mis en ligne le jeudi 3 octobre 2024


Cour du travail de Bruxelles, 9 février 2024, R.G. 2023/AB/190

Terra Laboris

Un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 9 février 2024 reprend les conditions de validité d’une contrainte signifiée en recouvrement de cotisations au statut social des travailleurs indépendants et rappelle par ailleurs que les juridictions sociales ne peuvent remettre en question ni le montant ni la qualification des revenus professionnels communiqués par l’administration des contributions directes.

Les faits

Un titulaire de profession libérale, affilié à une caisse d’assurances sociales en tant qu’indépendant à titre principal, s’est vu décerner une première contrainte en juin 2016. Celle-ci lui a été signifiée à lui-même personnellement ainsi qu’à une société en tant que personne morale tenue solidairement au paiement.

L’opposition à cette contrainte a fait l’objet d’une décision du tribunal du travail – confirmée par la cour -, les deux juridictions ayant considéré celle-ci non fondée.

Une deuxième contrainte est intervenue ultérieurement et a fait l’objet d’un jugement la confirmant à concurrence d’un solde de l’ordre de 7 000 €.

Une troisième procédure oppose encore l’indépendant et sa société à la caisse pour des cotisations relatives aux trimestres ultérieurs.

Des avis de paiement ainsi qu’un rappel recommandé ont été adressés à l’intéressé.

Un avis de régularisation est également intervenu, sur la base des revenus transmis par le SPF Finances.

Des demandes de paiement ont encore été faites ultérieurement au titre de cotisations pour les années 2018, 2019 et 2020.

À la demande de la caisse, un huissier de justice a adressé des sommations de payer avant contrainte.

En fin de compte, une dernière contrainte a été signifiée le 20 décembre 2021. Elle porte sur un montant de l’ordre de 24 000 €, s’agissant de cotisations, majorations et frais pour les années 2017 à 2020.

Opposition à cette contrainte a été formée.

Le jugement du tribunal du travail

Le jugement rendu par le tribunal du travail francophone de Bruxelles en date du 13 février 2023 a déclaré l’opposition à contrainte recevable et fondée. Il a annulé celle-ci au motif que, si la sommation adressée par l’huissier au titre de dernier rappel contient les mentions prévues à peine de nullité par l’article 46 de l’arrêté royal du 19 décembre 1967 portant règlement général en exécution de l’arrêté royal numéro 38 du 27 juillet 1967 organisant le statut social des travailleurs indépendants, la preuve de l’envoi par recommandé n’est pas fournie. La contrainte est dès lors irrégulière.

La caisse ayant formé une demande reconventionnelle, le tribunal y fait cependant droit, prononçant une condamnation solidaire à majorer des intérêts judiciaires.
Les frais de la contrainte irrégulière sont dès lors mis à charge de la caisse. Les dépens sont compensés.

L’appel

La caisse interjette appel du jugement en ce qu’il a annulé la contrainte et lui a délaissé les frais de celle-ci. Elle demande que la contrainte soit confirmée. Elle sollicite également la condamnation solidaire des parties intimées aux dépens, les indemnités de procédure étant fixées au montant de base, soit pour les deux instances à 5 800 €.

Pour ce qui est des parties intimées, elles sollicitent la confirmation du jugement sur la nullité de la contrainte et forment un appel incident demandant qu’il soit dit pour droit qu’elles ne sont redevables d’aucune somme, alors que c’est la caisse qui leur doit un montant de l’ordre de 1 200 €.

La décision de la cour

La cour reprend les règles relatives à la question au cœur du débat, étant celles de la validité de la contrainte.

L’article 46 de l’arrêté royal du 19 décembre 1967 exige un rappel préalable par voie recommandée. La cour en reprend le texte, qui prévoit l’envoi d’un dernier rappel par lettre recommandée à la poste (ce rappel pouvant être envoyé par huissier), mentionnant les sommes sur lesquelles portera le recouvrement judiciaire ou le recouvrement par voie de contrainte.

Avant de procéder au recouvrement il y a dès lors obligation d’envoyer un dernier rappel par lettre recommandée à la poste, mentionnant les sommes sur lesquelles portera le recouvrement, et ce à peine de nullité. Ce rappel doit également mentionner, toujours à peine de nullité, que si l’assujetti ne conteste pas les sommes réclamées ou s’il ne sollicite pas et n’obtient pas des termes et délais de paiement, par lettre recommandée à la poste dans le mois de la signification ou de la notification du rappel, la caisse peut procéder au recouvrement par la voie de la contrainte.

En d’autres termes, la validité de la contrainte dépend d’une part de démarches qui doivent être accomplies par la caisse avant la signification et d’autre part d’initiatives prises par l’assujetti selon certaines formes également (envoi recommandé).

Reprenant un arrêt rendu par la même cour (autrement composée) le 11 mars 2011 (C. trav. Bruxelles, 11 mars 2011, R.G. 2010/AB/91), l’arrêt considère que ces procédures forment un tout équilibré, l’avertissement préalable, de même que la possibilité de contester les cotisations ou de demander un plan de recouvrement amiable étant des garanties permettant d’éviter des effets disproportionnés de la contrainte.

L’arrêt de la cour du travail cité a confirmé à cet égard que si l’huissier peut envoyer le rappel, celui-ci doit intervenir par recommandé, cette formalité de même que l’intervention de l’huissier offrant des garanties indissociables des autres prévues à l’article 46.

La cour ne peut cependant que constater qu’il ne ressort aucun élément du dossier qu’il y ait eu un recommandé et que les sommations déposées par la caisse à son dossier ne permettent pas de déterminer la date de remise à leur destinataire.

La cour confirme dès lors le jugement en ce qui concerne l’irrégularité de la contrainte en cause.

Elle en vient aux demandes de la caisse, reprenant ici la position du tribunal. Celui-ci a conclu que les cotisations réclamées étaient correctes, tant en ce qui concerne les cotisations provisoires que les cotisations définitives.

Les éléments déposés par les parties intimées – qui font état de paiements intervenus – ne sont pas relatifs aux montants litigieux en l’espèce. La cour examine consciencieusement les chiffres, constatant que les derniers avis de paiement ont été calculés sur les revenus fiscaux transmis par le SPF Finances.

Renvoyant ici à un autre arrêt de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 8 novembre 2019, R.G. 2017/AB/853, cité par la caisse), l’arrêt rappelle que les revenus professionnels sur lesquels sont calculées les cotisations sont notamment composés, aux conditions légales et réglementaires prévues, des revenus professionnels communiqués par l’administration des contributions directes.

Il en résulte que doivent être pris en considération les revenus fixés par cette administration ou – en cas de contestation – ceux reconnus à la fin du litige par la juridiction saisie.

Les juridictions sociales ne peuvent remettre en question ni le montant ni la qualification des revenus professionnels communiqués par l’administration des contributions directes.

La cour déboute dès lors les parties intimées de leur contestation.

Elle condamne celles-ci aux dépens, les indemnités de procédure étant celles fixées ci-dessus. C’est le seul point sur lequel elle s’écarte de la décision du tribunal.

Intérêt de la décision

Cet arrêt rappelle les conditions de validité de la contrainte, prérogative dont disposent les caisses d’assurances sociales pour la récupération des cotisations au statut social.

La Cour constitutionnelle a été interrogée sur la possibilité pour ces caisses de poursuivre le recouvrement par ce biais. Dans un arrêt du 5 mai 2009 (C. Const., 5 mai 2009, n° 75/2009), elle a jugé que ces dispositions n’avaient pas d’effets disproportionnés et ne violaient pas les articles 10 et 11 de la Constitution.

Rappelons que si la contrainte elle-même fait l’objet de dispositions précises dans l’arrêté royal, l’opposition est également soumise à des règles de forme : elle doit être motivée - et ce à peine de nullité – et être formée au moyen d’une citation à la caisse d’assurances sociales par exploit d’huissier dans le mois de la signification, l’exercice de l’opposition suspendant son exécution jusqu’à ce qu’il ait été statué sur son bien-fondé.

Dans l’arrêt du 11 mars 2011 cité, la Cour du travail de Bruxelles avait abordé la question de la nature juridique du délai, s’agissant de savoir si c’est un délai de procédure, un délai de prescription ou un délai de forclusion. C’est pour cette troisième solution qu’elle a opté. En cas de non-respect, il y a donc irrecevabilité, s’agissant d’un délai préfix.


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