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Statut social des indépendants : responsabilité solidaire pour les dettes de l’aidant

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 9 février 2024, R.G. 2023/AB/218

Mis en ligne le jeudi 3 octobre 2024


Cour du travail de Bruxelles, 9 février 2024, R.G. 2023/AB/218

Terra Laboris

Dans un arrêt du 9 février 2024, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que, en vertu de l’arrêté royal n° 38, un indépendant peut être solidairement responsable des dettes de cotisations sociales d’un aidant.

Les faits

Un travailleur est affilié en qualité d’indépendant à titre principal. Il exerce la profession de restaurateur de bâtiments. Il est inscrit à la BCE et dispose d’un numéro de TVA.

Le 25 octobre 2019, une caisse d’assurances sociales (qui n’est pas la sienne) l’informe de sa responsabilité solidaire vu le non-paiement de cotisations sociales d’un tiers également affilié pour l’exercice d’une activité indépendante. Cette caisse lui signale que, l’intéressé travaillant chez lui en tant qu’aidant ou partenaire aidant, il est solidairement responsable de ses cotisations trimestrielles en vertu de l’article 15 de l’arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1967.

Les choses ne bougent pas pendant près d’un an, la caisse renvoyant à ce moment un rappel de solde créditeur de cotisations sociales pour son affilié de l’ordre de 12 000 € et rappelant la responsabilité solidaire de l’indépendant dans le paiement de celles-ci.

Le 15 avril 2022, une sommation de payer adressée par huissier de justice est envoyée à l’indépendant pour un montant supérieur à 36 000 €. Il s’agit de cotisations et majorations pour la période du quatrième trimestre 2018 au quatrième trimestre 2021.

Une contrainte est ensuite décernée à l’encontre de l’indépendant pour un montant de plus de 35 000 €. Celle-ci reprend également le montant total à payer par son affilié (pour une période de plus longue que celle visée par l’obligation solidaire), s’agissant de près de 58 000 €.

Le tiers est déclaré en faillite quelques mois plus tard.

L’indépendant forme opposition à contrainte par citation du 12 octobre 2022.

La décision du tribunal

Par jugement du 28 février 2023, le Tribunal du travail francophone de Bruxelles a estimé l’opposition à contrainte recevable et fondée, concluant qu’il n’y avait pas lieu de retenir la responsabilité solidaire du demandeur.

La contrainte a par ailleurs été annulée.

La caisse interjette appel.

Position de la partie appelante devant la cour

La caisse conteste la décision du tribunal d’annuler la contrainte au motif que la sommation adressée par voie d’huissier n’avait pas été envoyée par courrier recommandé. Elle renvoie à l’article 46 de l’arrêté royal du 19 décembre 1967, qui, selon elle, permettrait que le dernier appel soit envoyé par l’intermédiaire d’un huissier de justice sans recommandé. Celui-ci étant un officier ministériel assermenté, il n’est nullement requis qu’il recoure à la voie recommandée. Elle renvoie à une note de l’INASTI (P.760.14/05/22 du 13 octobre 2005), adressée aux caisses d’assurances sociales. Elle plaide également que, à supposer que ce rappel doive être envoyé par pli recommandé, le texte n’impose pas cette exigence à peine de nullité.

Sur le fond, elle maintient sa thèse quant au statut d’aidant de son affilié.

La décision de la cour

La cour reprend l’article 46 de l’arrêté royal du 19 décembre 1967, dont elle résume la portée comme étant que (i) avant le recouvrement judiciaire (ou la contrainte) la caisse est tenue d’envoyer un dernier rappel par recommandé reprenant les sommes dues objet du recouvrement, (ii) ce rappel peut être envoyé par l’intermédiaire d’un huissier de justice et (iii) il doit contenir certaines mentions à peine de nullité.

Quant à l’assujetti, il lui est loisible de contester les sommes réclamées ou de solliciter - et d’obtenir - des termes et délais, et ce par lettre recommandée dans le mois de la signification ou de la notification du rappel.

Renvoyant à un précédent arrêt de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 11 mars 2011, R.G. 2010/AB/91), elle confirme que si le rappel peut être envoyé par l’intermédiaire d’un huissier, la formalité du recommandé est prévue dans les deux cas : qu’il émane de la caisse ou qu’il soit fait par son huissier. Pour la cour, les garanties attachées à la formalité du recommandé sont indissociables des autres garanties de l’article 46.

En l’absence de preuve de l’envoi par courrier recommandé, la cour conclut que ces garanties de l’article 46 n’ont pas été respectées : le rappel étant nul, le recours à la contrainte n’est pas régulier.

La cour en vient au fond.

Elle reprend l’article 6 de l’arrêté royal n° 38, selon lequel l’aidant est toute personne qui, en Belgique, assiste ou supplée un travailleur indépendant dans l’exercice de sa profession sans être engagé envers lui par un contrat de louage de travail.

Le critère déterminant est, comme pour les travailleurs indépendants, le critère sociologique. La réalité sociologique est donc déterminante.

La cour examine dès lors si le tiers avait la qualité d’aidant, qualité que lui a déniée le tribunal.

Celui-ci a en effet considéré, s’appuyant sur un extrait de la Banque Carrefour des Entreprises, que ce tiers avait apporté des connaissances de gestion de base à l’intimé. Ceci n’est, cependant, pour le premier juge, pas suffisant pour établir la qualité d’aidant. Le tribunal a retenu qu’il était inscrit lui-même comme entreprise personne physique depuis mai 2015, l’intimé l’étant pour sa part depuis le 1er octobre 2018.

Par ailleurs ce dernier dépose deux factures adressées au débiteur des cotisations pour des travaux réalisés en octobre et novembre 2018.

La caisse déposant également le dossier du guichet d’entreprise, qui comprend notamment le contrat de désignation de personne physique intervenue entre les deux indépendants, et en tirant comme conclusion que l’intimé aurait confié à ce tiers la gestion journalière de son entreprise, faisant ainsi de celui-ci son aidant, la cour ne suit pas cette argumentation, dans la mesure où le contrat de désignation de personne physique ne fait aucune allusion à ce statut ni aux obligations qui en découlent.

Elle relève également que les signatures n’ont pas été précédées de la mention « lu et approuvé » alors que ceci est requis par le document.

D’autres éléments sont encore pointés, par rapport à ce texte, qui est un contrat type mis à disposition des entrepreneurs.

Enfin, elle constate que l’appelante ne fournit pas d’informations sur l’exécution de ce contrat alors que l’intimé dépose les factures adressées au tiers, ce qui contredit son statut d’aidant.

La cour conclut à l’absence de preuve dans le chef de l’appelante de la thèse qu’elle défend.

Son appel est dès lors non fondé.

Intérêt de la décision

En vertu de l’arrêté royal n° 38, le travailleur indépendant est tenu, solidairement avec l’aidant, au paiement des cotisations (et des amendes administratives visées à l’article 17bis), dont ce dernier est redevable ; il en est de même des personnes morales, en ce qui concerne les cotisations (et l’amende administrative visée à l’article 17bis) dues par leurs associés ou mandataires.

Les cotisations peuvent ainsi être réclamées aux personnes solidairement responsables, (sauf si l’assujetti a obtenu dispense du paiement des cotisations).

La définition de l’aidant est donnée dans l’arrêté royal n° 38, s’agissant de la personne qui assiste ou supplée un travailleur indépendant dans l’exercice de sa profession sans être engagée par un contrat de travail.

Cette question de la responsabilité solidaire donne régulièrement lieu à des procédures judiciaires dans l’hypothèse des associés et mandataires de société. Plus rares sont les espèces concernant un aidant.

À juste titre en l’occurrence la cour a constaté, comme le tribunal, que la situation était différente de celle visée à l’arrêté royal, le tiers ayant la qualité de sous-traitant, qui a facturé ses prestations.


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