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Conditions de prescription d’une demande nouvelle introduite dans le cadre d’une procédure judiciaire en cours

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 21 mars 2024, R.G. 2022/AB/248

Mis en ligne le jeudi 3 octobre 2024


Cour du travail de Bruxelles, 21 mars 2024, R.G. 2022/AB/248

Terra Laboris

Un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 21 mars 2024 rappelle les règles en matière de prescription d’une demande nouvelle (article 807 C.J.), étant qu’elle doit être virtuellement comprise dans la demande initiale, c’est-à-dire qu’elle doit avoir le même objet que celle-ci.

Les faits

Une société anonyme a conclu un contrat avec une compagnie d’assurances portant notamment sur l’assistance aux personnes pour des séjours à l’étranger. Il s’agit d’assurer une intervention dans les frais médicaux.

Cette société a par ailleurs conclu un contrat d’assurance complémentaire collective (assurance soins de santé) avec l’OSSOM (O.N.S.S.) en application de l’article 57 de la loi du 17 juillet 1963 relative à la sécurité sociale d’outre-mer.

En février 2013, un membre de son personnel a supporté des frais médicaux en Chine.

Ceux-ci ont été avancés par la compagnie d’assurances et l’employé a autorisé l’O.N.S.S. à rembourser son intervention à celle-ci.

L’assureur a transmis cette autorisation à l’O.N.S.S.

Cependant, c’est un autre courrier qui a été réceptionné avec un autre compte bancaire, le courrier original et les justificatifs qu’il contenait ayant manifestement été interceptés par un tiers, qui a substitué un autre compte bancaire à celui indiqué.

Le paiement a été effectué par l’O.N.S.S. à celui-ci.

Plus de deux ans après la demande de remboursement, la compagnie a fait un rappel.

L’O.N.S.S. a alors communiqué la preuve du paiement et des explications lui ont été données.

Etant finalement apparu qu’il s’agissait d’une fraude, la société d’assurances a offert sa collaboration en vue de tenter d’identifier la personne malveillante et de déceler d’éventuels autres cas.

L’O.N.S.S. a déposé plainte pour escroquerie, dans laquelle il écarte tout soupçon à l’encontre de la société.

L’assurance s’étant pour sa part constituée partie civile contre X du chef de faux et usage de faux et d’escroquerie, une ordonnance de non-lieu a en fin de compte été rendue (pour des raisons ignorées).

Elle a alors mis l’O.N.S.S. en demeure de lui payer la somme en cause, ce qui n’a pas été fait.

Elle a dès lors introduit une procédure devant le tribunal du travail de Bruxelles.

Les jugements du tribunal du travail

Un premier jugement a été rendu le 7 juillet 2021.

Celui-ci constate que la société d’assurances intervenait en qualité de partie subrogée dans les droits d’un travailleur. Il pose la question de la prescription applicable, qui n’est pas celle de l’article 60 de la loi du 17 juillet 1963 (qui ne vise que le paiement des prestations visées et non les prestations garanties en application de l’assurance complémentaire).

Le tribunal renvoie aux conditions générales du contrat, la société se prévalant de celui-ci par le biais de la subrogation. Ce contrat prévoit un délai de prescription de trois ans à partir de la fourniture des prestations.

Il retient que le paiement effectué par l’O.N.S.S. a interrompu la prescription, valant reconnaissance de dette au sens de l’article 2248 du Code civil.

Par contre, la constitution de partie civile n’a pas d’effet interruptif à l’égard de l’O.N.S.S. et aucun autre acte interruptif n’est intervenu dans le délai de trois ans.

Le tribunal soulève la question d’une éventuelle responsabilité quasi délictuelle de l’O.N.S.S., vu les principes de bonne administration et notamment des devoirs de diligence, de minutie et de prudence.

La réouverture des débats est ordonnée sur cette question.

Dans un second jugement, du 2 mars 2022, le tribunal considère que la faute doit être appréciée au regard des principes généraux de bonne administration, la charte de l’assuré social n’étant pas applicable en l’espèce.

La faute de l’O.N.S.S. est d’avoir remboursé le montant sur un compte bancaire erroné sans avoir procédé aux vérifications voulues, le courrier demandant paiement comportant d’ailleurs des erreurs quant à l’identification de la société et l’identité du signataire ne pouvant être identifiée.

En conséquence, il retient un dommage distinct, dont la réparation est jugée fondée malgré la prescription. Ce dommage est fixé ex aequo et bono à 50 % du montant des frais. Les intérêts compensatoires sont également accordés à la date à laquelle la société a constaté la violation par l’Office des principes généraux de bonne administration.

Appel est interjeté par l’ONSS.

Position des parties devant la cour

Pour l’O.N.S.S., la demande de remboursement est prescrite et le débiteur est de ce fait libéré, ce principe étant d’ordre public et ne pouvant être contourné en invoquant les principes généraux de bonne administration.

Subsidiairement, il conteste un manquement dans son chef. Si la société aurait pu faire valoir l’article 1239 du Code civil (qui consacre la règle « qui paye mal paye deux fois »), et ce dans le respect du délai de prescription, le recours aux principes généraux de bonne administration ne peut être admis pour pallier les carences d’une partie.

Plus subsidiairement, la prescription est acquise et il ne s’agit pas de celle prévue par l’article 60 de la loi du 17 juillet 1963.

Pour la société, sa demande n’est pas prescrite, celle-ci se fondant précisément sur cet article 60. Elle plaide que le contrat d’assurance complémentaire collective ne lui est pas opposable, dans la mesure où il a été conclu entre la société employeur et l’OSSOM. Elle fait valoir que le délai de prescription a été interrompu à diverses reprises.

Elle développe un second moyen, étant que l’O.N.S.S. a engagé sa responsabilité quasi délictuelle en méconnaissant les principes généraux de bonne administration.

Malgré la prescription de la demande de remboursement, elle estime pouvoir réclamer l’indemnisation d’un dommage distinct et spécifique résultant d’une faute. Ce faisant, elle n’exerce pas l’action subrogatoire mais introduit une action en réparation du dommage.

La décision de la cour

La cour, renvoyant aux dispositions citées ici-avant, va conclure à la prescription de l’action en remboursement (étant l’action subrogatoire), la loi applicable étant celle régissant les contrats d’assurance.

Elle retient une seule cause d’interruption de la prescription, étant le paiement effectué par l’OSSOM, qui peut être assimilé à une reconnaissance de dette et précise que, même si la prescription était de cinq ans, elle était acquise au moment de l’introduction de l’action.

Elle en vient ainsi à la demande de dommages et intérêts. Elle examine la recevabilité de cette demande nouvelle au sens de l’article 807 du Code judiciaire, la société plaidant que cette demande se fonde en partie du moins sur des faits invoqués dans la requête introductive d’instance, (dont l’erreur de paiement commise par l’O.N.S.S.).

La cour conclut cependant à la prescription, la demande ayant un objet distinct de la demande originaire, dans la mesure où il s’agit d’obtenir des dommages et intérêts en raison d’une prétendue violation des principes de bonne administration, et ce même si le montant réclamé est le même.

Pour la cour, la citation n’a dès lors pas eu d’effet interruptif pour cette demande nouvelle.

Surabondamment, elle examine la question d’une faute dans le chef de l’O.N.S.S. et conclut à la négative, précisant notamment que le dommage de la société d’assurances aurait pu être aisément évité si elle avait réclamé en temps utile à l’O.N.S.S. le versement de la somme due. En outre, s’agissant d’une compagnie d’assurances, elle ne pouvait ignorer les règles de prescription.

Intérêt de la décision

L’arrêt du 21 mars 2024 de la Cour du travail de Bruxelles reprend un point important en ce qui concerne la prescription d’une demande, étant de savoir dans quelle mesure une demande nouvelle, au sens de l’article 807 du Code judiciaire, peut être admise.

La cour a rappelé que la mise en œuvre de celui-ci ne peut pas faire obstacle aux règles de prescription.

La citation forme l’interruption civile (article 2244 du Code civil), interrompant ainsi la prescription pour la demande qu’elle introduit et pour celles qui y sont virtuellement comprises.

Renvoyant à l’enseignement de la Cour de cassation (Cass., 24 avril 2017, S.16.0078.F), la cour définit ce point comme suit : la demande est virtuellement comprise dans la demande initiale lorsqu’elle a le même objet que celle-ci.

L’espèce ayant donné lieu à cet arrêt visait une demande d’indemnité complémentaire de préavis réclamée sur la base d’une durée insuffisante et jugée virtuellement comprise dans une demande d’indemnité complémentaire réclamée sur la base d’une rémunération de référence insuffisante.

Pour la cour du travail, la demande de dommages et intérêts n’est pas virtuellement comprise, c’est-à-dire implicitement contenue, dans la citation, s’agissant d’une part d’obtenir le paiement par l’O.N.S.S. de sa quote-part dans le remboursement de frais médicaux en exécution d’un contrat d’assurance (action subrogatoire) et l’objet de la demande nouvelle d’autre part étant tout autre, puisque la société a visé ici l’article 1382 du Code civil.


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