Commentaire de C. trav. Bruxelles, 20 mars 2024, R.G. 2022/AB/371
Mis en ligne le jeudi 3 octobre 2024
Cour du travail de Bruxelles, 20 mars 2024, R.G. 2022/AB/371
Terra Laboris
Un arrêt du 20 mars 2024 de la Cour du travail de Bruxelles rappelle les caractéristiques du congé, étant, notamment, que celui-ci doit être notifié au travailleur individuellement. À défaut, il est inexistant.
Les faits
Une employée, engagée en août 2009 par une société bruxelloise tombe en incapacité de travail à partir du 25 septembre 2019. Cette incapacité fait suite à une intervention chirurgicale.
Le 24 décembre, elle informe son employeur de son retour au travail en date du 6 janvier 2020. Il lui est demandé de se présenter le jour indiqué munie d’un certificat d’aptitude au travail.
L’employée s’exécute. Elle ne reste cependant qu’une heure au travail puis regagne son domicile, constatant qu’elle n’est pas en mesure de travailler.
Le lendemain, elle confirme la chose à l’employeur, avec envoi d’un nouveau certificat médical pour une période d’un mois.
Des discussions étant cependant intervenues en vue d’une rupture, l’employée confirme par un second mail son refus d’accepter « ta proposition de fraude au sujet d’un C4 antidaté ».
Dans la foulée, elle se présente au Contrôle des lois sociales, aux fins d’obtenir une intervention de l’inspection auprès de l’employeur. Elle fait également état de travail au noir.
Le contrôleur lui signale que l’employeur a effectué dès le 27 décembre 2019 une DIMONA de sortie avec effet au 6 janvier 2020.
L’intéressée contacte alors son organisation syndicale, qui fait état, dans un courrier à l’employeur, d’un licenciement intervenu le 6 janvier 2020. Le syndicat demande le paiement d’une indemnité de rupture ainsi que la délivrance des documents sociaux.
Un second courrier sera envoyé, dans le même sens.
Le 2 mars 2020, la société met l’employée en demeure de revenir au travail ou de communiquer un justificatif de son absence, constatant une absence injustifiée depuis le 10 février.
Elle conteste, dans un courrier adressé au syndicat, la rupture du contrat de travail, précisant que la DIMONA–out a été incorrectement enregistrée par le secrétariat social. Une nouvelle mise en demeure adressée à l’intéressée afin qu’elle se représente figure également dans ce courrier.
Aucune suite n’y est donnée.
Une ultime mise en demeure est encore envoyée par courrier recommandé, l’employée étant informée qu’à défaut pour elle de se conformer à ses demandes, l’employeur serait contraint de « prendre les mesures nécessaires » en ce compris d’envisager un licenciement pour motif grave.
Aucune suite n’étant encore réservée à cette lettre, la rupture pour motif grave intervient par courrier recommandé du 18 mars 2020, les motifs étant précisés dans une lettre adressée le lendemain. Celle-ci reprend en gros les événements exposés ci-dessus.
La demande
Une procédure est introduite par l’employée devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles par requête du 2 novembre 2020, en paiement de diverses sommes (dont une indemnité compensatoire de préavis, une autre indemnité du chef de licenciement discriminatoire ou subsidiairement de licenciement manifestement déraisonnable, ainsi que divers postes rémunératoires).
La décision du tribunal
Le tribunal du travail statue par jugement du 25 avril 2022.
Il estime la demande très partiellement fondée, admettant certains montants réclamés au titre de rémunération et condamnant la société à délivrer des documents sociaux (fiche de rémunération rectificative du mois de janvier 2020, attestations de vacances exercices 2019 et 2020 ainsi que la fiche fiscale) sous peine d’astreinte.
La demanderesse est déboutée de sa demande pour le surplus.
Elle interjette appel.
L’appel
L’appelante maintient sa demande pour les postes sur lesquels elle a été déboutée (les indemnités ci-dessus, une prime sectorielle prorata temporis pour l’année 2020 ainsi qu’un euro provisionnel au titre d’indemnisation pour le préjudice subi ou à subir du fait de la fixation par la société de la rupture au 10 février 2020). Elle demande également la correction de certains montants.
La société forme un appel incident par voie de conclusions quant aux montants fixés par le tribunal.
La décision de la cour
La cour reprend quelques principes relatifs au congé, rappelant ses caractéristiques propres : c’est un acte unilatéral, définitif, réceptice, indivisible, non solennel et irrévocable.
Elle insiste sur le caractère d’acte réceptice du congé, étant que la manifestation de la volonté de mettre un terme au contrat de travail est un élément essentiel de celui-ci, dans la mesure où il ne peut produire des effets de droit que s’il a été porté à la connaissance de son destinataire, la volonté de rompre le contrat devant être extériorisée. Tant qu’elle demeure dans une « phase purement mentale » et qu’elle n’a pas été extériorisée, la volonté demeure une simple réalité psychologique mais ne constitue pas un congé. Un renvoi est ici fait à la doctrine (A.-F. BRASSELLE, E. CARLIER et S. LACOMBE, Le droit de la rupture du contrat de travail, Larcier, 2018, page 129).
Sur le plan de la preuve, renvoyant à la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 5 janvier 1996, Pas., 1996, I, page 65), la cour précise que la partie qui invoque que son cocontractant avait la volonté de rompre en supporte la charge de la preuve et que si elle se prévaut à tort d’un congé inexistant, elle doit être considérée comme étant elle-même l’auteur de la rupture et en supporter les conséquences.
Si aucune forme n’est exigée, il faut une notification adressée individuellement au travailleur.
Ainsi, un message qui serait diffusé par l’employeur à l’ensemble du personnel via un intranet n’équivaut pas à une telle notification individuelle. Il n’y a dans ce cas pas congé (avec renvoi à Trib. trav. Huy, 11 novembre 2010, J.T.T., 2011, page 124).
Par contre, peut être retenue comme congé la délivrance du formulaire C4 (la cour citant Cass., 4 mars 2019, S.18.0047.N, Chron. Dr.Soc., 2021 p. 437).
La cour procède dès lors à l’examen des éléments de l’espèce, l’appelante devant prouver que la société a pris une décision non équivoque, étant la rupture du contrat de travail en date du 6 janvier 2020 et que cette décision a été portée à sa connaissance.
Le seul élément déposé par l’employée est la DIMONA de sortie, dont elle a eu connaissance via l’inspection des lois sociales. Elle plaide que la société n’apporte pas la preuve qu’il s’agirait d’une erreur de sa part.
La cour rejette que la preuve du congé soit apportée par ces éléments, l’information donnée par l’inspection sociale concernant la DIMONA de sortie ne pouvant à elle seule être considérée comme la manifestation d’une intention claire et sans ambiguïté de rompre le contrat de travail. Elle note que la société plaide sur ce point qu’il s’agissait d’ailleurs d’une erreur.
Elle constate également l’absence de toute notification à l’employée, la volonté de rompre n’ayant pas été extériorisée par une notification individuelle.
Elle en vient ensuite au second point, étant l’existence d’un motif grave, question sur laquelle elle rappelle également quelques principes, dont ceux relatifs au double délai de trois jours.
Ce double délai est respecté en l’occurrence. Sur le motif, la cour considère que l’attitude persistante de l’employée consistant à ne pas réagir malgré trois mises en demeure constitue une faute grave rendant immédiatement et définitivement impossible toute collaboration professionnelle.
Examinant ensuite la question de la discrimination, la cour précise la notion de " état de santé actuel ou futur », dont elle rappelle que ce critère se concilie parfaitement avec les dispositions de la loi du 3 juillet 1978, les textes ne se contredisant pas mais se complétant. Renvoi est ici fait à plusieurs décisions de la même cour, autrement composée (C. trav. Bruxelles, 27 février 2023, R.G. 2016/AB/1.201 et C. trav. Bruxelles, 3 octobre 2022, R.G. 2020/AB/522).
Elle constate que le seul fait avancé par l’appelante faisant présumer la discrimination est la DIMONA de sortie. Elle rejette que cet élément puisse constituer une présomption de discrimination, constatant l’absence de lien avec le licenciement. Ce chef de demande est rejeté, ainsi que, dans la foulée, celui relatif à l’indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable.
La cour clôture son examen par la vérification des postes annexes réclamés. Un point particulier concerne la demande de paiement de la rémunération de la journée du 6 janvier 2020 (date de la reprise, où l’intéressée n’a travaillé qu’une heure). La cour pose la question de savoir si elle était apte à reprendre le travail. Selon le certificat médical remis, elle était autorisée à reprendre ses activités professionnelles ce jour mais il ne s’agit pas, pour la cour, à proprement parler d’un certificat d’aptitude, le médecin ayant par ailleurs confirmé dans le certificat ultérieur que la reprise était prématurée. L’intéressée a en outre été indemnisée par sa mutuelle pour ce jour.
La cour rejette, en conséquence, l’appel principal mais accueille partiellement l’appel incident de l’employeur, celui-ci portant sur la rémunération du 6 janvier, les pécules de vacances de départ, la prime sectorielle 2017 et les écochèques, l’appelante étant déboutée en ce qui concerne ces trois derniers postes et les pécules de vacances étant corrigés.
Intérêt de la décision
Un point de droit important est au cœur du litige tranché par cet arrêt, étant le caractère réceptice du congé, la manifestation de volonté de l’employeur devant – ainsi que la cour l’a rappelé à plusieurs reprises – être extériorisée, c’est-à-dire manifestée, et cette manifestation de volonté devant être notifiée au travailleur.
Il a été souligné à diverses reprises par la cour que le congé ne requiert aucune forme particulière (contrairement au préavis), étant, dès sa manifestation, un acte définitif et irrévocable.
La partie qui veut faire état de l’existence d’un congé donné par son cocontractant doit être en mesure d’établir que cette manifestation de volonté lui a été notifiée personnellement.
Deux exemples ont été donnés dans l’arrêt étant d’une part l’envoi d’une communication via un intranet, informant l’ensemble du personnel de l’existence d’un licenciement (ce qui ne vaut pas congé) et la remise du C4 au travailleur (dans l’espèce visée, le licenciement avec préavis à prester avait été notifié par simple lettre et il était donc nul de nullité absolue. Les parties avaient continué à exécuter le contrat. À l’issue de la période sensée couverte par l’indemnité compensatoire, l’employeur avait remis un C4. Dans les circonstances de la cause, la Cour de cassation a jugé que le licenciement à l’issue de la période de prestation pouvait être déduit de la délivrance du formulaire C4).