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GRAPA : Prise en compte dans le calcul des ressources du paiement d’une pension alimentaire

Commentaire de C. trav. Liège (div. Namur), 20 février 2024, R.G. 2022/AN/176

Mis en ligne le lundi 21 octobre 2024


Cour du travail de Liège (division Namur), 20 février 2024, R.G. 2022/AN/176

Terra Laboris

Résumé introductif

Pour la fixation de la GRAPA, intervient la vérification des ressources du demandeur. Au cas où celui-ci perçoit une pension de retraite, l’article 12 de la loi du 22 mars 2001 contient une règle spécifique, explicitée par l’article 39 de son arrêté royal d’exécution, en vertu duquel la garantie de revenus pour personnes âgées est diminuée du montant de la pension (celui-ci étant pris en compte selon certaines règles de calcul déterminées dans l’arrêté royal), cette pension étant elle-même susceptible d’être diminuée des pensions alimentaires qui seraient payées, à la double condition que celles-ci soient fixées par une décision de justice et qu’elles aient effectivement été payées.
La Cour du travail de Liège, division Namur, pose dans son arrêt du 20 février 2024 commenté ci-dessous la question de l’interprétation de cet article 39, pour ce qui est des montants à prendre en compte aux fins de calculer les abattements mensuels.

Dispositions légales

  • Loi du 22 mars 2001 instaurant la garantie de revenus aux personnes âgées – articles 7-12
  • Arrêté royal du 23 mai 2001 portant règlement général en matière de garantie de revenus aux personnes âgées – article 39

Les faits

Le 18 avril 2018, un assuré social fait une demande de GRAPA. Il est âgé de 71 ans.

Il déclare notamment, quant à ses ressources, qu’il verse une pension alimentaire à son ex-épouse, sa pension de retraite étant saisie en totalité. Il joint les justificatifs, étant une décision de la Cour d’appel de Liège du 22 juin 2016 fixant le montant de la pension alimentaire (600 € par mois, due depuis 2006).

Le SFP octroie un montant de 235,13 € par mois à partir du 1er mai 2018. La décision se fonde sur le montant maximum de la GRAPA (taux isolé) dont sont déduites des ressources au titre de biens immobiliers et de capitaux immobiliers et cessions.

En juillet 2019, l’intéressé demande une révision de la GRAPA, au motif qu’il n’est plus propriétaire d’un immeuble. Il indique toujours payer une pension alimentaire à son ex-épouse, étant alors un montant de 1 959 € par mois.

Le 11 septembre 2019, le SFP revoit le montant de la GRAPA, qui est fixée à 690,48 €.

Aucune de ces deux décisions ne tient compte d’une déduction de ressources au titre des pensions de retraite perçues, vu les pensions alimentaires dues.

Le SFP notifie dans le même temps une autre décision à l’intéressé, étant l’octroi d’une GRAPA à raison de 1 121,72 € par mois à partir du 1er avril 2020. Ce nouveau calcul ne tient plus compte de ressources tirées de capitaux mobiliers et cessions.

Un an plus tard, le 28 septembre 2020, le SFP réceptionne la mainlevée de la saisie-arrêt pratiquée sur la pension de retraite aux fins de payer la pension alimentaire. Il notifie dès lors une nouvelle décision fixant le montant de la GRAPA à partir du 1er novembre 2020 à 318,04 € par mois. Celui-ci est obtenu sans qu’il ne soit procédé à une déduction au titre de pensions alimentaires et ne tient pas compte de ressources tirées de biens immobiliers ou de capitaux mobiliers et cessions.

Le 11 janvier 2021, des renseignements supplémentaires sont demandés à l’intéressé à propos de la pension alimentaire.

Celui-ci transmet un nouveau jugement rendu par le tribunal de la famille le 22 mai 2019, réduisant la pension alimentaire après divorce à 300 € pour une période de cinq mois en 2017 et la supprimant pour la période ultérieure.

Une révision du droit à la GRAPA est dès lors notifiée le 26 janvier 2021, tenant compte du fait qu’aucune pension alimentaire n’était finalement due à l’épouse à partir du 1er juin 2017.

Il en découle que pour l’année 2018 il n’a pas droit à une GRAPA et qu’à partir du 1er janvier 2019 celle-ci est de 317,66 € (montant légèrement modifié pour les années ultérieures).

Un indu est également réclamé, étant 9 741,12 €, remboursable à raison de prélèvements mensuels de 10 % sur sa pension à partir du 1er mars 2021.

Ultérieurement, en date du 28 juillet 2021, le droit à la GRAPA est définitivement supprimé, vu la cohabitation avec une tierce personne non-apparentée et la modification subséquente des ressources.

Une procédure est introduite devant le tribunal du travail de Liège, division Namur, le 23 mars 2021.

Le jugement du tribunal

Par jugement du 24 novembre 2022, le tribunal du travail a estimé qu’en application de l’article 39 de l’arrêté royal du 23 mai 2001 portant règlement général en matière de garantie de revenus aux personnes âgées, l’intéressé peut prétendre à une GRAPA qui tient compte de l’obligation alimentaire, et ce jusqu’au 30 septembre 2020. La situation est modifiée à partir du 1er octobre 2020. Le SFP a été condamné par ailleurs à des dommages et intérêts à hauteur de 500 € au titre de réparation du dommage subi.

Le tribunal a en effet retenu qu’il y a eu paiement effectif d’une pension alimentaire jusqu’en septembre 2020, et ce en vertu d’un jugement.

Par ailleurs, le SFP ne pouvait faire débuter les retenues avant la fin du délai de recours et maintenir celles-ci malgré l’action en justice. Il s’agit d’une faute. Le tribunal n’a pas retenu d’autres fautes dans la gestion du dossier, considérant que l’intéressé avait manqué de transparence vis-à-vis de l’administration.

Position des parties devant la cour

Le SFP est appelant.

Il demande à titre principal la production par l’intéressé de ses extraits bancaires ou de toutes pièces utiles pour apprécier sa situation financière pendant la période où l’intégralité des revenus était saisie, le tribunal de la famille (qui a rendu le second jugement) ayant supposé qu’il avait d’autres ressources que sa pension. Il précise également n’avoir eu connaissance de ce second jugement que plus de trois mois après la mainlevée de la saisie-arrêt et plus d’un an après son prononcé. Celui-ci supprimant l’obligation de payer une pension alimentaire avec effet rétroactif, il n’y a plus d’obligation alimentaire depuis le 1er juin 2017, les conditions de l’article 39 de l’arrêté royal n’étant dès lors plus réunies.

Il considère que la saisie-arrêt est un élément sans incidence, ne couvrant que la récupération d’arriérés correspondant à une période antérieure à la prise de cours de la GRAPA. L’intéressé doit s’il échet effectuer des démarches auprès de son ex-épouse en récupération.

Enfin, il estime qu’aucune faute a été commise par lui, vu la transmission tardive de la copie du jugement. Il considère également qu’il respecte l’article 1410, § 4, du Code judiciaire.

Il sollicite dès lors, outre la communication des pièces avant-dire droit, la confirmation de ses décisions du 22 janvier 2021 et, en conséquence, la mise à néant du jugement dont appel.

Quant à l’intéressé, il fait valoir que le tribunal de la famille n’a retenu que des ressources de pension, soulignant également qu’il avait un crédit hypothécaire qui n’a pas été payé (le solde étant apuré lors de la vente de l’immeuble, dont le prix a servi à payer des dettes). Sur ses moyens financiers pendant la période, il dit avoir vendu des objets, été aidé par des proches et bénéficié de l’aide du C.P.A.S.

Il conteste par ailleurs ne plus rentrer dans les conditions de l’article 39 de l’arrêté royal à partir du 1er octobre 2020. Il a, pendant la période du 1er mai 2017 au 30 septembre 2020, payé des pensions alimentaires à son ex-épouse, en vertu de la première décision judiciaire (qui est l’arrêt de la Cour d’appel de Liège du 22 juin 2016, le condamnant rétroactivement au paiement d’arriérés de pension alimentaire sur une période de 10 ans, soit d’un montant de 600 € par mois en principal à dater du 1er juin 2006).

Il considère que le SFP ne peut exiger que la période de paiement soit couverte par un jugement, ce qui revient à ajouter une condition à l’article 39.

Il rejette que la transmission de la seconde décision judiciaire soit tardive, celle-ci n’ayant aucun effet quant à l’obligation alimentaire imposée par la première.

Enfin, il conteste les retenues sur sa « maigre pension », auxquelles il a été procédé d’office avant l’expiration du délai de recours.

La décision de la cour

La cour reprend la loi du 22 mars 2001 instaurant la garantie de revenus aux personnes âgées ainsi que son arrêté d’exécution du 23 mai 2001. La loi dispose en son article 7 que toutes les ressources et pensions, de quelque nature qu’elles soient, dont dispose l’intéressé (ou le conjoint ou cohabitant légal avec lequel il partage la même résidence principale) sont prises en considération pour la garantie de revenus (sauf exceptions).

La cour cite encore les autres dispositions pertinentes du texte, pour ce qui est du calcul des ressources (biens immobiliers, capital mobilier, cessions) et souligne l’article 12, qui concerne les pensions. Il est tenu compte de celles-ci à concurrence du montant réellement payé, l’article 39 de l’arrêté royal précisant que le montant de la garantie de revenus est diminué du montant de la pension (déterminé selon le calcul fixé dans l’arrêté royal), le cas échéant après que ce montant a été diminué du montant fixé par décision de justice et des pensions alimentaires effectivement payées.

La principale pierre d’achoppement du dossier concerne l’application de cet article 39.

La version française du texte est peu claire et la doctrine (D. DUMONT et al., « La sélectivité des prestations : les mécanismes de cumul des allocations avec d’autres ressources financières ou une activité », Questions transversales en matière de sécurité sociale 2, 2021, Bruxelles, Larcier, page 403), précise sur ce qu’une pension alimentaire fixée à la suite d’une décision de justice est déductible du montant de la pension contributive prise en compte à la condition qu’elle soit effectivement payée. Cette doctrine souligne que le terme de « ressources » est compris de manière large et extensive et porte sur tout ce que possède le demandeur, susceptible de procurer un avantage financier (de même que pour son éventuel conjoint au cohabitant légal partageant la même résidence).

Il est renvoyé par cet auteur à l’arrêt de la Cour de cassation du 18 juin 2018 (Cass., 18 juin 2018, S.17.0065.N), qui enseigne que le fait que des fonds faisant partie du patrimoine du demandeur fassent l’objet d’une saisie conservatoire en matière pénale ne s’oppose pas à ce qu’ils soient considérés comme des ressources, les ressources immunisées étant uniquement celles visées aux articles 19 à 26 de l’arrêté royal. En conséquence, pour la Cour, une saisie conservatoire qui prive temporairement le demandeur de la libre disposition de ses ressources ne constitue pas une cause d’immunité. Celles faisant l’objet d’une saisie ne sont en effet pas reprises dans ces dispositions dérogatoires.

En l’espèce, il est acquis que les montants payés jusqu’en septembre 2020 étaient des pensions alimentaires relatives à la période antérieure au mois de juin 2017.

La cour acte la position des parties étant que pour le SFP ces arriérés concernent une période antérieure et non la période litigieuse et qu’en conséquence les montants perçus par l’intéressé à titre de pension doivent être déduits de la GRAPA à laquelle il peut prétendre et que, pour ce dernier, le seul critère est que des montants aient été effectivement payés au titre de pension alimentaire et en application d’une décision de justice, ainsi que le prévoit le texte de l’article 39. Ils peuvent dès lors neutraliser à due concurrence les pensions légales à déduire de la GRAPA.

Le point de droit étant ainsi circonscrit, la cour pose aux parties différentes questions à débattre dans le cadre d’une réouverture des débats. Ces questions portent d’abord sur les montants des pensions alimentaires, vu que le texte article 39 vise les « montants fixés par décision de justice ». Pour la cour, il y a lieu de préciser si le montant fixé à l’article 39 est le montant mensuel de la pension alimentaire tel que fixée par la décision de justice ou s’il s’agit d’un autre montant, soulignant à cet égard que le SFP est tenu de justifier les décisions initiales, qui ne paraissent pas avoir retenu les mensualités mais bien la totalité de la pension saisie.

De même, vu les décisions prises par l’administration de tenir compte de la totalité des montants saisis, la cour demande la justification de sa position sur le fait qu’il s’agit de montants couvrant une période antérieure à celle pour laquelle la GRAPA a été octroyée. Elle souhaite également entendre les parties sur les conclusions à tirer de l’enseignement de la Cour de cassation dans son arrêt du 18 juin 2018.

La cour renvoie encore à l’avis du ministère public, qui conclut également à l’opportunité d’une réouverture des débats, rappelant que l’étalement du paiement s’est fait de juillet 2016 à septembre 2013, la durée d’application de cette disposition s’étant trouvée alignée sur le délai mis à rembourser les sommes dues.

Elle statue encore sur la question des pièces complémentaires dont la production est demandée par le SFP, faisant droit à cette demande, au motif que l’intéressé sollicite la GRAPA pour la période à partir du 1er mai 2018 et qu’elle doit vérifier si entre-temps les conditions légales sont remplies. Les pièces sont dès lors demandées afin de vérifier quels ont été ses moyens financiers pendant la période du 1er mai 2018 au 31 juillet 2019.


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