Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Huy), 13 mars 2024, R.G. 23/62/A
Mis en ligne le lundi 21 octobre 2024
Tribunal du travail de Liège (division Huy), 13 mars 2024, R.G. 23/62/A
Terra Laboris
Résumé introductif
La notion d’état de santé au sens de l’article 3 de la du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination vise l’état de santé au moment du licenciement.
Dès lors que la présomption légale est activée, l’employeur doit établir que le licenciement n’est pas fondé sur celui-ci mais sur d’autres motifs : ainsi, en cas de réorganisation du service et de désorganisation entraînée par une longue incapacité de travail, il doit prouver le lien entre les motifs invoqués et la nécessité du licenciement. Entrent notamment dans le contrôle judiciaire de la vérification du motif (des motifs) avancé(s) par l’employeur l’examen des plannings de travail, des décisions prises en vue du recours à sous-traitance ou (pour l’employeur public) à la privatisation d’un service ainsi encore que les motifs d’engagement d’un travailleur venant exercer les fonctions du travailleur licencié.
Dispositions légales
Les faits
Un ouvrier (APE) engagé depuis le 7 novembre 2017 pour exercer des fonctions de « manœuvre travaux lourds » au profit d’une commune a presté comme éco – cantonnier, ainsi que chauffeur, essentiellement de cars scolaires.
En cours d’occupation, il a sollicité des revalorisations barémiques pour ces dernières fonctions.
Une procédure a opposé l’intéressé à son employeur, à propos d’une sanction disciplinaire. Celle-ci a donné lieu à un jugement rendu par le Tribunal du travail de Liège, division Huy, en date du 9 juin 2021 (RG 20/81/A – précédemment commenté) ainsi qu’à une décision de la Cour du travail de Liège du 23 novembre 2022 (inédit – R.G. non communiqué), qui a confirmé le jugement.
Il est tombé en incapacité de travail à diverses reprises et a été convoqué en mai 2022 pour y être entendu dans le cadre de la réorganisation du service des cars scolaires et de la désorganisation consécutive à ses multiples absences pour maladie (« absences discontinues et continues ») ainsi que sur ses desiderata en matière de reprise à temps partiel médical. Des griefs à son encontre figuraient dans la convocation à cette audition, à propos d’un manque de collaboration professionnelle et d’un ébranlement de la confiance de l’employeur. Était annoncée comme but de l’audition la possibilité pour le Collège d’évaluer les possibilités de le maintenir dans ses fonctions, voire de le licencier.
Après l’audition, tenue en présence de son délégué syndical, l’intéressé a aussitôt été licencié.
La lettre de licenciement mettant un terme au contrat avec effet au 27 mai 2022 moyennant paiement d’une indemnité compensatoire de préavis est longuement motivée.
Elle fait état essentiellement de griefs à l’égard de l’intéressé, soulignant par ailleurs que le service des cars scolaires communaux a été réorganisé et, faisant appel à un prestataire de service privé à temps partiel, ne compte plus qu’un seul car communal véhiculé par un chauffeur titulaire et son suppléant.
La sanction disciplinaire du 23 décembre 2019 (annulée par les juridictions du travail) y est également reprise (« nonobstant l’arrêt de la cour du travail ») de même que d’autres reproches, le Collège précisant avoir ignoré l’existence d’un diagnostic médical grave mais avoir conclu que la pathologie affectant son épaule gauche l’empêchait d’assurer ses fonctions d’éco-cantonnier, et ce même dans la perspective d’un retour au travail progressif (mi-temps médical).
Etaient encore relevés le fait que l’intéressé n’avait pas sollicité la mise en place d’un trajet de réintégration et que malgré son état de santé il avait participé à un appel interne dans le cadre du recrutement de deux ouvriers manœuvres pour travaux lourds à la voirie.
Celui-ci a introduit une procédure le 21 février 2023, demandant la condamnation de la commune à une indemnité pour discrimination sur la base de l’état de santé, et ce en application de l’article 18 de la loi du 10 mai 2007 et une indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable, se fondant sur l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978 et/ou pour abus de droit. Un euro provisionnel est également demandé eu égard aux demandes formulées auparavant de revalorisation barémique.
La décision du tribunal
Le premier point analysé par le tribunal est le droit de l’intéressé à une indemnité pour licenciement discriminatoire. Le tribunal reprend les articles 4, 14,18 et 28 de la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination et renvoie à diverses décisions de cours du travail sur la question, soulignant notamment avec la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 18 février 2020, J.T.T., 2021, page 49) que la notion d’état de santé actuel au sens de l’article 3 de la loi anti-discrimination est clair et vise l’état de santé au moment du licenciement. Si une référence est faite à une longue absence qui ne peut être causée que par la maladie en cours, il y a présomption de discrimination en raison de l’état de santé actuel.
Lorsque le travailleur est malade au moment du licenciement, il est admis que la présomption joue (C. trav. Anvers (div. Hasselt), 5 juin 2019, J.T.T., 2019, page 18). De même, il y a distinction indirecte fondée sur l’état de santé lorsque l’employeur licencie le travailleur non en raison de la maladie mais bien de l’impact de l’absentéisme causé par celle-ci sur l’organisation du travail. Si la poursuite d’une bonne organisation est un but légitime, l’employeur doit prouver que le licenciement est approprié et nécessaire (C. trav. Gand (div. Gand), 13 juin 2022, J.T.T., 2022, page 265).
En l’espèce, l’employeur fait état d’une désorganisation « considérable » de son service.
Le tribunal retient la date de la décision de licencier, qui est le 24 mai 2022 et s’attache à reprendre l’ensemble des périodes de d’incapacité subies par le travailleur, la première ayant été une hospitalisation au CHU de Liège, suivie par une série de certificats d’interruption d’activité.
Le tribunal souligne que c’est pendant une période d’incapacité qu’il a été convoqué, que s’est tenue l’audition et qu’est intervenu le licenciement.
Il fait encore grief à l’employeur d’avoir précisé qu’il n’avait pas été « officiellement » informé des motifs de l’incapacité, ce qui atteste qu’il l’a été autrement.
Le licenciement est dès lors présumé fondé sur l’état de santé.
Le tribunal s’attache ensuite à vérifier les éléments avancés par l’employeur, relatifs à la désorganisation du travail au sein de son service de travaux. Il analyse les plannings, ainsi que l’argument relatif à la réduction de son personnel pour la conduite des cars scolaires et constate que la décision de privatiser en partie le service est sans lien établi avec les absences du demandeur, la commune ayant par ailleurs engagé un suppléant pour la conduite du seul car qu’elle gère encore.
Il conclut que la preuve à rapporter par l’employeur fait défaut et fait droit à la demande de paiement de l’indemnité.
Il en vient ensuite à la deuxième demande, relative à l’indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable et/ou licenciement abusif en application de l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978 et/ou abus de droit.
Renvoyant à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 30 juin 2016, (C. Const., 30 juin 2016, n° 101/2016) dans lequel celle-ci a dit pour droit que l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978 (combiné avec l’article 38, 2°, de la loi du 26 décembre 2013) viole les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu’il s’applique aux ouvriers du secteur public licenciés après le 31 mars 2014, le tribunal explore ensuite quelques décisions de jurisprudence sur la question de la réparation d’un abus de droit de licenciement d’un travailleur contractuel dans le secteur public. Vu l’absence de réglementation leur applicable à l’époque des faits, une partie de la jurisprudence considère que le juge peut se laisser guider par les principes de la CCT 109 et l’autre juge que l’indemnisation doit être appréciée conformément aux règles de droit commun.
Il fait également état du projet (à l’époque) de loi destiné à doter le secteur public d’une législation relative à la motivation du licenciement des contractuels, qui prévoit le droit d’être entendu préalablement ainsi que l’obligation pour l’employeur public de communiquer au travailleur les motifs de licenciement.
En l’espèce, le tribunal examine l’un après l’autre les motifs avancés lors de l’audition et repris dans la lettre de rupture.
Rappelant qu’il a jugé préalablement que le licenciement n’est pas motivé par la réorganisation du service, il revient sur la sanction disciplinaire, qui a été jugée disproportionnée, décision confirmée par la cour du travail.
Il conclut qu’aucun motif de licenciement admissible ne peut être retenu et, se référant à la CCT 109, il accorde 17 semaines de rémunération. Pour ce qui est de la hauteur de la réparation, il renvoie à la doctrine de J.P. LACOMBLE (J. P. LACOMBLE, « La notion de licenciement manifestement déraisonnable au sens de la convention collective 109 et l’évaluation de sa sanction », Le contrat de travail revisité à la lumière du XXIe siècle, (Coord.) L. DEAR et E. PLASSCHAERT, Larcier, 2018, page 396 et suivantes). Cette condamnation est justifiée, selon tribunal, à titre de sanction du licenciement manifestement déraisonnable et/ou licenciement abusif et/ou abus de droit.
Enfin, sur la revalorisation barémique, il alloue un euro provisionnel, reconnaissant le droit de l’intéressé à l’application du barème réclamé.