Commentaire de Cass., 10 juin 2024, n° S.21.0073.F
Mis en ligne le vendredi 25 octobre 2024
Cass., 10 juin 2024, n° S.21.0073.F
Terra Laboris
Un « plan cafétéria » mis en place en vue d’une optimisation fiscale a fait l’objet d’un deuxième arrêt de la Cour de cassation, rendu le 10 juin 2024, quant à la question du caractère rémunératoire de « compléments aux allocations familiales » attribués à certains membres du personnel.
La Cour de cassation est saisie d’un pourvoi contre un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 1er avril 2021 (C. trav. Bruxelles, 1er avril 2021, RG. 2019/AB/650 – précédemment commenté). Cet arrêt de la cour du travail avait été rendu suite à un premier arrêt de la Cour de cassation du 25 mars 2019 (Cass., 25 mars 2019, S.17.0048.F).
Le litige
L’affaire concerne une société dépendant de la sous-commission paritaire n° 327.03 (entreprises de travail adapté de la Région wallonne et Communauté germanophone), qui avait mis en place un « plan cafétéria » en faveur de certains de ses travailleurs employés, octroyant à six membres du personnel un montant mensuel qualifié de « complément aux allocations familiales légales ». Ce montant équivaut aux allocations familiales perçues par chacun de ces travailleurs.
Pour l’O.N.S.S., les avantages accordés en complément des allocations familiales légales ne sont acceptés que si l’objectif est effectivement d’octroyer un complément à ces allocations familiales et si l’indemnité garde le caractère de complément. L’O.N.S.S. admet un montant de 600 € par an. En cas de dépassement, il considère que la totalité de la somme a un caractère rémunératoire, passible de cotisations de sécurité sociale.
La procédure
La Cour du travail de Liège (division Neufchâteau), statuant en appel d’une décision rendue par le Tribunal du travail qui avait débouté la société, réforma ce jugement par arrêt du 8 mai 2017. La cour du travail condamna l’O.N.S.S. à rembourser le montant réclamé, qui avait entre-temps été versé.
Suite au pourvoi introduit par l’O.N.S.S., la Cour de cassation statua par arrêt du 25 mars 2019, sur conclusions conformes de M. l’Avocat général GENICOT. L’Avocat général avait conclu que la cour du travail n’avait pas justifié légalement sa décision, s’étant bornée à retenir qu’en raison de l’exonération de cotisations sociales sur le complément d’allocations familiales, le travailleur percevait un montant supérieur de 13,07 % à celui de sa rémunération brute initiale.
La Cour confirma que l’arrêt ne justifiait pas légalement que le montant qualifié de complément aux allocations familiales n’avait pas ce caractère, les avantages en cause ne constituant pas des compléments qui majoraient le montant des allocations familiales.
La Cour du travail de Bruxelles fut désignée en tant que juridiction de renvoi.
L’arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 1er avril 2021
Sur cet arrêt lui-même, il y a lieu de renvoyer au commentaire fait précédemment.
Rappelons seulement que la cour du travail renvoya essentiellement à un arrêt de la Cour de cassation du 15 février 2016 (Cass., 15 février 2016, S.14.0071.F), celui-ci rappelant le principe selon lequel doit être considérée comme un complément aux avantages accordés pour les diverses branches de la sécurité sociale l’indemnité qui a pour objet de compenser la perte des revenus du travail ou l’accroissement des dépenses provoqué par la réalisation d’un des risques couverts par les diverses branches de la sécurité sociale, et ce même si son octroi est, par ailleurs, soumis à des conditions étrangères à ces risques.
La cour avait également retenu, renvoyant au même arrêt de la Cour de cassation, que l’article 45 de la loi du 27 juin 1969 n’affecte pas la notion de rémunération définie à l’article 14, §§ 1er et 2 de la même loi.
Pour la cour, il n’y a pas de restriction à l’exclusion de la notion de rémunération et le montant de l’indemnité n’est ni déraisonnable ni excessif. Quant à la pratique administrative, elle n’a pas de valeur obligatoire.
Le pourvoi contre l’arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 1er avril 2021
Le pourvoi de l’O.N.S.S. contient un seul moyen, fondé sur l’article 14, §§ 1er et 2 de la loi du 27 juin 1969, l’article 2 de la loi du 12 avril 1965 concernant la protection de la rémunération et l’article 149 de la Constitution.
Ce moyen est divisé en trois branches, dont seule la première est examinée, dans la mesure où la Cour de cassation ne répondra qu’à celle-ci.
Cette branche conclut que l’objet des indemnités était de compenser une baisse de salaire des bénéficiaires concernés et non un accroissement de leurs dépenses sociales, de sorte que ces indemnités ne peuvent être considérées comme un complément aux avantages accordés pour les diverses branches de la sécurité sociale et à ce titre exclues de la notion de rémunération sur la base de l’article 2, alinéa 3, 1°, c) de la loi du 12 avril 1965.
Il en découle que ces indemnités constituent des avantages évaluables en argent auxquels le travailleur a droit à charge de l’employeur en raison de son engagement et qu’elles sont passibles de cotisations sociales, comme la hausse de rémunération brute de 3 % accordée en compensation aux autres employés qui, précisément, pour une question de salaire, ne peuvent bénéficier de cet avantage.
L’arrêt de la Cour de cassation
La Cour accueille la première branche du pourvoi et casse l’arrêt de la Cour du travail de Bruxelles.
Elle considère brièvement que par les seules considérations que les indemnités augmentent la rémunération nette globale des travailleurs, que ceux-ci ont des charges familiales pour lesquelles ils perçoivent des allocations familiales et au regard desquelles le montant de l’indemnité n’est pas excessif, l’arrêt ne justifie pas légalement sa décision qu’elle constitue « un complément qui majore une prestation de sécurité sociale, en l’occurrence les allocations familiales ».
L’affaire est renvoyée devant la Cour du travail de Mons.
Intérêt de la décision
Dans ses conclusions précédant cet arrêt de la Cour de cassation, M. l’Avocat général MORMONT rappelle que les dispositions en cause ont donné lieu à une jurisprudence de la Cour de cassation assez abondante.
Il reprend plusieurs arrêts, dont celui du 15 février 2016 cité ci-dessus. En synthèse, il retient que le seul critère déterminant pour qu’une indemnité soit considérée comme un complément aux avantages accordés pour les diverses branches de la sécurité sociale est que celle-ci doit avoir pour objet de compenser la perte de revenus du travail ou l’accroissement de dépenses provoqué par la réalisation d’un des risques couverts par les diverses branches de la sécurité sociale.
Le fait que l’indemnité en cause augmente les sommes nettes perçues par le travailleur ne suffit pas à en déduire qu’elle a pour objet de compenser et de jouer ce rôle. Il appartient à la Cour de vérifier si le juge du fond n’a pas méconnu la notion d’indemnité qui doit être considérée comme un tel complément.
Il précise également que l’employeur a mis en place un plan cafétéria après avoir consulté un cabinet de conseil en stratégie des salaires, qui a abouti à la situation ainsi décrite et que les développements faits par la cour du travail ne permettent pas de décider légalement que les indemnités ont pour objet de compenser la perte de revenus ou l’accroissement de dépenses provoqué par la réalisation d’un des risques couverts par les diverses branches de la sécurité sociale.
L’examen de la première branche doit, selon lui, entraîner cassation totale, ce qui a été décidé par la Cour.