Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 9 janvier 2024, R.G. 2021/AL/518
Mis en ligne le vendredi 25 octobre 2024
C. trav. Liège (div. Liège), 9 janvier 2024, R.G. 2021/AL/518
Terra Laboris
Dans un arrêt du 9 janvier 2024, la Cour du travail de Liège (division Liège) a poursuivi l’examen de l’assujettissement d’un médecin spécialiste en formation au statut social des travailleurs indépendants pour des activités exercées à côté de la formation elle-même.
Rétroactes
Les faits de l’espèce ont été précédemment commentés.
L’affaire a en effet fait l’objet d’un premier arrêt en date du 5 décembre 2022.
Nous ne procédons, dès lors, qu’à un très bref rappel des éléments du litige.
Celui-ci est survenu à propos d’un médecin, qui avait entamé en septembre 2011 une spécialisation en médecine d’urgence. Pendant la durée de celle-ci, il avait le statut de médecin en cours de spécialisation.
Se posait la question de son assujettissement au statut social des travailleurs indépendants. En outre, celle de savoir s’il l’était à titre principal ou à titre complémentaire, les deux statuts ayant été appliqués en fonction des périodes.
L’INASTI avait constaté que l’intéressé avait perçu en plus de ses gardes d’urgence des honoraires de cabinets médicaux ainsi que du SPF Justice pour près de 50 000 € par an pendant les années 2014 à 2016.
Il considéra, vu ceux-ci, que les activités médicales en prolongement de la formation n’impliquaient pas l’assujettissement, au contraire des heures de travail.
Un recours fut introduit devant le Tribunal du travail de Liège, qui a annulé l’assujettissement par un jugement du 27 septembre 2021.
Les arrêts de la cour
Suite à l’appel de l’INASTI, la cour a rendu un premier arrêt le 5 décembre 2022 et le deuxième le 9 janvier 2024. Elle n’a pas encore, dans celui-ci, vidé sa saisine.
L’arrêt du 5 décembre 2022
La cour relève la position du ministère public, selon qui il y a lieu d’examiner l’application éventuelle de l’article 5bis de la loi du 3 juillet 1978, selon lequel des prestations de services complémentaires exécutées en application d’un contrat d’entreprise sont présumées l’être en application d’un contrat de travail sans que la preuve du contraire puisse être apportée lorsque le prestataire et le bénéficiaire des services sont par ailleurs liés par un contrat de travail pour l’exercice d’activités similaires.
La cour constate que les prestations sont présentées comme étant des services de garde déguisés en faveur d’un hôpital mais qu’elles ont été rémunérées par un tiers.
Elle pose dès lors diverses questions, s’agissant essentiellement de savoir qui était le bénéficiaire de l’activité du médecin et s’il est possible de requalifier la relation de travail en travail salarié.
L’arrêt du 9 janvier 2024
L’arrêt fait un rappel de l’historique des statuts de l’intéressé pendant la période concernée, et ce sur la base des éléments déposés par la caisse d’assurances sociales.
La cour revient – ce qui figurait déjà dans le premier arrêt – sur l’avis 08/2014 rendu par le Comité général de gestion pour le statut social des travailleurs indépendants, dont elle reprend longuement le texte.
Elle souligne la problématique qu’il aborde, étant celle de l’activité indépendante exercée pendant leur formation par les médecins généralistes et spécialistes.
En ce qui concerne celles-ci, le Comité note que des services de garde et d’urgence peuvent donner lieu à rétribution en dehors du statut « sui generis » du médecin en formation et que s’ils ne constituent apparemment pas un élément de la formation au sens strict, ils peuvent néanmoins être considérés comme étant effectués dans le prolongement de celle-ci.
Il propose dès lors une distinction entre les actes médicaux effectués dans le prolongement de la formation et les autres activités médicales exercées à côté ainsi que les activités indépendantes non médicales.
Les services de garde et autres activités médicales exercées comme personne physique dans un hôpital et qui sont dans le prolongement de la formation ne doivent pas donner lieu à assujettissement. Les autres activités médicales non autorisées exercées à côté de cette formation le doivent cependant, les médecins concernés étant considérés comme des indépendants à titre principal. Les autres activités indépendantes sont soumises aux règles normales.
La cour rappelle que suite à cet avis l’INASTI a adressé aux caisses de nouvelles instructions en date du 29 avril 2014 (P.720.21/14/14), instructions qui vont dans le sens préconisé.
Ceci sous réserve de la question des services de garde, pour lesquels, selon la cour, « faisant néanmoins preuve de pragmatisme » l’INASTI distingue entre les activités médicales qui sont dans le prolongement de la formation (pas d’affiliation), les autres activités supplémentaires indépendantes médicales (affiliation à titre principal – le statut « sui generis » ne pouvant pas donner lieu à une affiliation à titre complémentaire) et les autres activités indépendantes non médicales (affiliation à titre principal pour le même motif).
En l’espèce, il a été procédé à une enquête par l’INASTI et il est ressorti de celle-ci que des revenus avaient été perçus pour les trois années en cause, de l’ordre de 50 000 € par année. Les honoraires proviennent non de l’hôpital où l’intéressé était en stage mais de cabinets médicaux et du SPF Justice. L’INASTI conclut qu’il ne peut être établi de lien pour la totalité des honoraires avec la formation suivie et qu’en conséquence l’assujettissement doit être maintenu.
Pour ce qui concerne les prestations effectuées en plus des gardes d’urgence, l’INASTI confirme que les activités médicales exercées en tant que personne physique dans un hôpital dans le prolongement de la formation (services de garde en particulier) ne sont pas des activités professionnelles indépendantes, les médecins devant suivre une formation de médecin spécialiste dans un établissement de soins qui est considéré comme l’employeur et bénéficiant pour leurs heures de travail d’un statut « sui generis » (couverture en soins de santé et indemnités, allocations familiales – pension et chômage exclus).Les prestations non effectuées au sein du centre hospitalier ne sont cependant pas considérées comme faisant partie du prolongement de la formation.
La cour note en l’espèce que les revenus en cause proviennent de trois sources. Il s’agit du SPF Justice, de prestations médicales payés par un cabinet médical ainsi que d’autres prestations spécifiques (sur le circuit de Francorchamps) rémunérées par un autre. La cour pose la question du sort à réserver à chacune de ces activités. Elle examine dès lors successivement celles-ci.
Pour les prestations effectuées pour le SPF Justice, il s’agit de prélèvements de sang à envoyer à un laboratoire (tests d’alcoolémie). La cour considère que cette activité doit être incluse dans l’activité de garde d’un service d’urgence. Il n’y a pas ici d’obligation d’assujettissement.
Pour ce qui est des prestations sur le circuit de Francorchamps, ces activités ont été précisées dans une attestation médicale comme étant « assimilables » au SMUR (service mobile d’urgence et de réanimation). Pour la cour, il ne s’agit pas d’une activité s’inscrivant dans le prolongement de la formation.
Enfin, pour les autres prestations rémunérées par un autre médecin, la cour estime ne pas être suffisamment informée et réserve à statuer. Des questions sont posées aux parties sur la nature exacte de celles-ci.
Intérêt de la décision
Cette affaire a le mérite de rappeler le statut particulier des médecins en formation.
Des clarifications sont intervenues, en 2014, suite d’abord à l’avis du CGG et ensuite à la note de l’INASTI, contenant de nouvelles instructions données aux caisses d’assurances sociales le 29 avril 2014.
L’affaire examinée ne concerne pas l’hypothèse d’une activité principale exercée en dehors de la formation (médecin spécialiste en formation ou médecin généraliste en formation), pour laquelle il a été rappelé que les règles normales s’appliquent.
La cour fait cependant le tri délicat entre les activités exercées par le médecin en formation et rémunérées par des tiers.
L’on notera que si des activités qui ne sont pas un élément de la formation au sens strict ont été admis par le CGG comme pouvant néanmoins être considérées comme étant effectuées dans le prolongement de celle-ci, il faut néanmoins qu’elles s’y rapportent. Ainsi, la cour a pu admettre la réalisation de tests d’alcoolémie, celle-ci étant jugée comme faisant partie de l’activité de garde d’urgence.
Par ailleurs, les autres activités en l’espèce sont plus floues et la cour souhaite être davantage informée, dans la mesure où il ne peut être conclu sans plus que l’intéressé avait rempli des fonctions de SMUR, celui-ci n’ayant pas participé à des assistances mobiles au départ de l’hôpital et organisées par celui-ci.