Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 12 octobre 2023, R.G. 2022/AL/503
Mis en ligne le mardi 12 novembre 2024
Cour du travail de Liège, division Liège, 12 octobre 2023, R.G. 2022/AL/503
Terra Laboris
Un arrêt de la Cour du travail de Liège (division Liège) rappelle que détermination de la nature de l’activité indépendante (exercée à titre principal ou complémentaire), au sens de la réglementation chômage, est de la compétence des juridictions du travail, la seule inscription comme travailleur indépendant à titre principal n’empêchant pas qu’il puisse être conclu à une activité accessoire.
Les faits
En 1993, M. D. a créé avec son frère, boulanger, une SPRL active dans le secteur de la boulangerie, alors qu’il était salarié pour une autre entreprise.
Il s’est inscrit comme indépendant à titre complémentaire et son activité se limitait à gérer les recettes et les paiements ainsi qu’à rédiger des factures.
Lorsque leur père a cessé son activité dans la boulangerie en 1996, la société en a repris l’exploitation.
En 1999, le frère boulanger a cessé ses activités.
Un autre frère a repris la gestion quotidienne de la boulangerie et M. D. est devenu gérant unique.
Quand M. D. a perdu son emploi salarié en 2010, il a vécu en Russie tout en continuant à gérer à distance la société de boulangerie.
En 2013, il est revenu en Belgique mais n’a pas fait appel à l’assurance chômage, pensant ne pas y avoir droit.
Il s’est inscrit comme indépendant à titre principal pour une activité de location de personnel en 2018-2019, puis a retrouvé un emploi salarié le 4 novembre 2019.
N’ayant pas signalé à sa caisse d’assurances sociales qu’il entendait redevenir indépendant à titre complémentaire, il est resté inscrit comme indépendant à titre principal.
M. D. a bénéficié des allocations de chômage pour la première fois à presque 60 ans, son employeur l’ayant placé en chômage temporaire Covid à partir du 23 mars 2020.
L’ONEm l’a, par une décision du 19 mars 2021, exclu du bénéfice des allocations depuis le 23 mars 2020, a décidé de récupérer les allocations indûment perçues et a prononcé une sanction administrative de 4 semaines, au motif que M. D. aurait une activité d’indépendant à titre principal.
La société dont M. D. était gérant a été déclarée en faillite le 29 juillet 2022.
La décision du tribunal
Par un jugement du 17 octobre 2022, le tribunal du travail de Liège (division Verviers) a confirmé le principe de l’exclusion et de la récupération, qu’il a limitée aux 150 derniers jours d’indemnisation. La sanction administrative a été remplacée par un avertissement.
L’avis du Ministère public
M. l’Avocat général estime, eu égard aux éléments de fait, que M. D. ne rapporte pas la preuve que son activité était exercée à titre complémentaire plutôt qu’à titre principal et considère que la preuve de la bonne foi n’est pas rapportée.
L’arrêt commenté
Sur l’appel principal de M. D. et l’appel incident de l’ONEm, la cour du travail examine la portée réelle de l’activité indépendante de M. D., étant la gérance d’une société exploitant une boulangerie, l’ONEm n’établissant pas l’exercice d’autres activités.
La cour du travail juge les explications de M. D. crédibles (le quotidien était géré par un autre de ses frères et il s’occupait uniquement des aspects administratifs en faisant la courroie de transmission vers le comptable et le secrétariat social, ce qui impliquait une vingtaine d’heures par mois, ceci ayant été possible lorsqu’il avait un emploi salarié jusqu’en 2010 et a pu être fait à distance alors qu’il habitait en Russie) : l’activité de gestion de la société de boulangerie correspondait donc à une activité indépendante complémentaire.
La cour précise que « (p)our autant que de besoin, (elle) écarte tout acte administratif considérant M. D. comme un travailleur indépendant à titre principal sur pied de l’article 159 de la Constitution en raison de la contrariété de cet acte avec une norme supérieure, soit les articles 3 et 35 de l’arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1967 organisant le statut social des travailleurs indépendants ». (9e feuillet)
L’arrêt ordonne ensuite la réouverture des débats pour permettre aux parties de s’expliquer sur le droit de M. D. aux allocations de chômage au regard de l’article 48 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 et des règles spécifiques au chômage pour force majeure Covid.
Intérêt de la décision
Ainsi que le souligne l’arrêt commenté, si l’activité de gérant avait été exercée à titre principal, elle aurait été purement et simplement incompatible avec les allocations de chômage.
Par contre, l’arrêt admettant que cette activité était exercée à titre complémentaire, il convient d’examiner si des mécanismes dérogatoires trouvent à s’appliquer, étant l’article 48 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 (qui implique que le chômeur établisse la réunion de quatre conditions dont la première est la déclaration lors de la demande d’allocations) ou des dispositions spécifiques au chômage temporaire Covid, dans l’arrêté royal du 22 juin 2020, ce qui fait l’objet de la réouverture des débats.