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Chômage Corona et activité accessoire

Commentaire de Cass., 10 juin 2024, n° S.23.0050.F

Mis en ligne le mercredi 13 novembre 2024


Cour de cassation, 10 juin 2024, n° S.23.0050.F

Terra Laboris

La Cour de cassation rejette le pourvoi de l’ONEm contre l’un des arrêts de la Cour du travail de Liège ayant, dans le cas de l’exercice d’une activité accessoire pendant une période de chômage Corona, interprété la condition que cette activité ait été exercée dans le courant des trois mois qui précèdent le premier jour où le chômeur a été mis en chômage temporaire à la suite du virus.

Faits de la cause

Mme R., travaillant dans le secteur Horeca, a bénéficié pour la première fois d’allocations de chômage temporaire « Corona » le 14 mars 2020. Elle a pu reprendre le travail du 23 juin 2020 à fin octobre 2020 avec 9 jours de chômage temporaire en septembre et octobre. Le 5 novembre 2020, elle a commencé une activité indépendante à titre complémentaire à laquelle elle a mis fin le 1er juin 2021.

Entretemps, elle avait bénéficié des allocations « Corona » du 12 novembre 2020 au 6 mai 2021.

Par décision du 1er juin 2021, l’ONEm a décidé de sanctionner ce cumul entre l’exercice de l’activité accessoire et les allocations de chômage, au motif que l’activité indépendante à titre complémentaire avait débuté en cours de chômage temporaire « Corona ».

Mme R. a formé contre cette décision un recours que le Tribunal du travail de Liège a, le 11 août 2022, dit recevable et fondé, ce qu’a confirmé l’arrêt de la Cour du travail de Liège, division Liège, chbre 2-A, le 17 avril 2023 (R.G. n° 2022/AL/421) soumis à la censure de la Cour de cassation.

Ce raisonnement est que :

  • les travaux préparatoires ne permettent pas d’accréditer la thèse de l’ONEm, l’arrêt citant le préambule de cet arrêté royal et le Rapport au Roi ; ils démontrent au contraire la volonté de donner une portée large à la dérogation à certaines règles en matière de cumul ;
  • les nombreuses prolongations de la période dérogatoire démontrent que le législateur a entendu ouvrir le bénéfice de l’exception à des chômeurs ayant débuté leur activité accessoire après le début de leur indemnisation. Ainsi, il y a eu 7 modifications de l’arrêté royal du 22 juin 2020 ayant comme unique objet les prolongations successives de ce régime dérogatoire.

La cour du travail ajoute que son interprétation est conforme à la ratio legis de la disposition, étant de permettre à des travailleurs massivement touchés par une baisse anxiogène, car non prévisible, de revenus de pallier celle-ci par une activité complémentaire et n’est donc pas contraire au caractère d’ordre public de la réglementation.

La procédure devant la Cour de cassation

La requête en cassation

Seule la première branche, qui présente un intérêt de principe, est commentée.

L’ONEm invoque essentiellement la violation des articles 44, 45, al.1er, 1° et 48 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage ainsi que l’article 1er de l’arrêté royal du 22 juin 2020 et ses prolongations successives, qui dérogent aux conditions d’exercice de l’activité accessoire.

Le but de la réglementation de l’exercice d’une activité accessoire est d’éviter que le travailleur licencié perde à la fois la rémunération provenant de l’exercice de son activité salariée principale et son revenu professionnel accessoire tiré de l’activité exercée pendant au moins trois mois, condition qui vise à éviter qu’un travailleur n’entame son activité accessoire après sa mise en chômage ou sous la menace d’un risque immédiat de chômage.

Le régime dérogatoire « n’est donc pas applicable aux travailleurs ayant entamé une activité accessoire après avoir été indemnisés en chômage temporaire ’’ Corona’’. Pour ces travailleurs, qui n’ont pas été empêchés de remplir la condition des trois mois en raison de la survenance de la crise sanitaire, les dispositions communes continuent de s’appliquer » (req.p.8).

Les conclusions du ministère public

Ces conclusions relèvent que : « Par lui-même, le texte paraît susceptible de recevoir les deux interprétations [de l’ONEm et de l’arrêt], même s’il faut admettre que celle soutenue par (la première branche du moyen) est la plus littérale » (p.4).

Selon le ministère public, (p. 5) les Rapports au Roi et préambules successifs « n’éclairent pas réellement la question posée par le moyen. On peut cependant en déduire, (…) une volonté du Roi d’établir un régime dérogatoire qui soit le plus large », d’offrir au chômeur « un soutien massif », citant (note 11) Q. DETIENNE, « La sécurité sociale, arme de soutien massif en période de pandémie. Analyse des mesures phares adoptées pendant la crise », F. Bouhon, E. Slautsky et S. Wattier, Le droit public belge face à la crise du Covid-19. Quelles leçons pour l’avenir ? Bruxelles, Larcier, 2022, p.903.

L’exigence posée par le texte permet de s’assurer que l’activité en cause conserve un caractère accessoire puisqu’elle a pu être exercée avant la suspension du contrat de travail. Si le Roi avait voulu n’autoriser que l’activité accessoire entamée avant même qu’il soit question de chômage temporaire Covid 19, il aurait plutôt fixé une date limite au début de la pandémie pour le début de l’activité autorisée.

L’interprétation de la notion de « premier jour où il a été mis en chômage temporaire suite au virus Covid-19 » proposée par le ministère public est donc : le premier jour de la période de chômage temporaire Covid-19 concernée par l’indemnisation sollicitée, quand bien même ce travailleur aurait connu auparavant d’autres périodes de ce type de chômage temporaire.

L’arrêt commenté

La cour de cassation consacre l’interprétation de la notion de « premier jour où il a été mis en chômage temporaire suite au virus Covid-19 » adoptée par l’arrêt attaqué et les conclusions de l’avocat général : les dispositions dérogatoires visent : « le premier jour de la période de chômage temporaire consécutive au virus Covid-19 concernée par l’indemnisation sollicitée, quand bien même le travailleur aurait connu précédemment d’autres périodes de chômage temporaire à la suite de ce virus ».

Intérêt de la décision

Plusieurs autres chambres de la cour du travail de Liège ont adopté le même raisonnement (chbre 2-D, 29 juin 2023, R.G. 2022/AL/522, publié sur www.terralaboris.be, chbre 2-E, 21 avril 2023, R.G.2022/AL/354 notamment).

Le Bulletin n°188 de Terra Laboris, consultable sur le même site, reprend également deux arrêts de la 7e chambre néerlandophone de Bruxelles ayant statué dans le même sens : 1er juin 2023, R.G. 2022/AB/288 et 16 août 2023, R.G. 2022/AB/454.

La position de l’Onem n’a, ainsi, à notre connaissance jamais été confirmée par les juges du fond.

Documents joints :


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