Commentaire de C. trav. Bruxelles, 20 juin 2024, R.G. 2022/AB/550
Mis en ligne le mercredi 13 novembre 2024
Cour du travail de Bruxelles, 20 juin 2024, R.G. 2022/AB/550
Terra Laboris
Résumé introductif
Pour vérifier l’effectivité du paiement de la pension alimentaire, des modalités particulières peuvent être admises.
La preuve du paiement effectif ne pèse sur le chômeur que si l’ONEm peut douter légitimement des déclarations de celui-ci, cet organisme ayant la charge de la preuve de cette légitimité.
Dispositions légales
Analyse
Faits de la cause
M. V. a été indemnisé au taux de travailleur ayant charge de famille sur la base d’un jugement du 2 septembre 2005 fixant de l’accord des parties sa contribution alimentaire pour leur enfant Elie à 150€ par mois.
Il y a eu des évolutions dans les accords intervenus.
Ainsi, un accord homologué a suspendu cette contribution pendant que l’enfant était hébergé en internat (entre septembre 2017 et octobre 2018, les frais de cet hébergement et les frais extraordinaires étant partagés par moitié).
En avril 2020, les parties se sont accordées sur une garde alternée égalitaire à partir de mai 2020 et sur le solde restant dû par M. V. pour la période antérieure, que M. V. a payé en mai 2020.
Par un courrier du 3 juin 2021, l’ONEm a invité M. V. à prouver le paiement effectif de la pension alimentaire.
M. V. n’y a pas donné suite et cet organisme, par une décision du 30 juin 2021 (i) l’a exclu du droit aux allocations de chômage au taux de travailleur ayant charge de famille du 2 novembre 2015 au 31 juillet 2020, (ii) a décidé de la récupération de la différence entre ce taux et celui de travailleur isolé, (iii) a décidé de la récupération de l’indu du 1er avril 2018 au 31 juillet 2020 et (iv) l’a exclu des allocations pour 13 semaines sur la base de l’article 153 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991.
L’ONEm a ensuite reçu des extraits bancaires et autres documents établissant le paiement effectif de la pension pour février 2020, ce qui l’a amené à revoir sa décision le 23 août 2021 et à exclure ce mois de sa décision tout en maintenant la sanction administrative.
Cette décision précisait que seuls des extraits de compte pouvaient être pris en considération et que la décision pourrait être revue en cas de communication de ceux-ci.
M. V. a, par courriel du 1er septembre, sollicité une nouvelle révision en exposant les accords avec la mère de l’enfant impliquant le paiement des pensions alimentaires ainsi que la garde alternée à partir de mai 2020.
L’ONEm a indiqué dans un courrier du 27 septembre 2021 maintenir sa décision.
Le 29 septembre 2021, M. V. a demandé au tribunal du travail francophone de Bruxelles la mise à néant de celle-ci.
Par jugement du 12 juillet 2022, le tribunal lui a accordé les allocations au taux travailleur ayant charge de famille pour certains mois de 2018 et 2019 et à partir de 2020 jusqu’à tout le moins le 10 août 2020, invitant M. V. à justifier de la poursuite de l’hébergement égalitaire à partir de cette date.
La sanction administrative a été maintenue.
Le chômeur a introduit contre ce jugement un appel recevable, contestant les mois non admis et il n’y a pas eu d’appel incident de l’ONEm.
L’arrêt commenté
L’arrêt admet que, pour vérifier l’effectivité du paiement de la pension, des modalités particulières peuvent être admises, citant le Rapport au Roi précédant l’arrêté royal du 24 janvier 2002 modifiant l’article 110 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 (M.B. 05 février 2002).
Tel est le cas en l’espèce, l’arrêt relevant à titre exemplatif que des extraits de compte établissent le paiement par M. V. de 100% d’une facture de frais à l’école, comprenant donc la part de la mère et correspondant à la partie impayée de la pension alimentaire de ce mois.
Certes « cette manière de procéder rend la vérification, pour l’ONEm puis les juridictions du travail, excessivement complexe » mais elle n’en reste pas moins une modalité d’exécution des décisions judiciaires ayant fixé la pension alimentaire.
L’appel est donc, sur l’avis conforme de l’auditorat général, déclaré fondé et la décision de l’ONEm annulée en son entièreté.
Intérêt de la décision
Cet arrêt nous parait emblématique des problèmes qui se posent depuis l’arrêté royal du 24 janvier 2002 qui, selon le Rapport au Roi, instaure « pour les chômeurs débiteurs alimentaires, un système préventif d’incitation à respecter leurs obligations via cette exigence d’effectivité du paiement, et partant, à assurer aux créanciers d’aliments une protection simple et efficace » (M.B. 05 février 2002 p.3799).
Il semble ressortir de l’arrêt que les deux parents de l’enfant ont pu s’accorder sereinement sur des modalités alternatives de paiement dont on peut supposer qu’elles n’étaient pas destinées à compliquer le contrôle de l’ONEm et des juridictions du travail mais à faciliter leur vie.
Le Rapport au Roi précise que « Dans un souci de protection de la vie privée et de limitation des charges administratives pour les bureaux de chômage, le principe de paiement effectif se concrétise par une mention complémentaire dans la déclaration de situation familiale (…). Le système mis en place ne vise pas à effectuer des contrôles systématiques, ni à demander au chômeur de manière régulière la preuve de paiement de la pension alimentaire. Par contre, en cas de doute légitime sur le respect de son obligation (demande d’attestation de non-paiement par le CPAS du créancier alimentaire, par exemple), il permet la vérification, sur la base d’une audition, de la déclaration du chômeur. »
La charge de la preuve du paiement effectif ne pèse donc sur le chômeur que si l’ONEm peut douter légitimement des déclarations de celui-ci, cet organisme ayant la charge de la preuve de cette légitimité.
Dans ce cas d’espèce, cette légitimité ne ressort pas des faits de la cause, l’arrêt précisant simplement que le chômeur a été invité à présenter sa défense écrite le 3 juin 2021 « suite à une enquête » et alors que les parties avaient soldé leurs comptes le 26 mai 2020 suite au nouvel accord intervenu sur un hébergement égalitaire.