Commentaire de C. trav. Mons, 28 septembre 2023, R.G. 2022/AM/301 et 2022/AM/341
Mis en ligne le mercredi 13 novembre 2024
Cour du travail de Mons, 28 septembre 2023, R.G. 2022/AM/301 et 2022/AM/341
Terra Laboris
Par arrêt du 28 septembre 2023, la Cour du travail de Mons a jugé que la décision de l’ONEm qui supprime avec effet rétroactif le bénéfice des allocations de chômage ne peut s’analyser comme une décision réparant une erreur de l’ONEm au sens de l’article 17, al. 2, de la Charte de l’assuré social lorsque la décision initiale s’est fondée sur des renseignements inexacts fournis par l’employeur du chômeur et ce dernier.
Faits de la cause
M. B.A., domicilié en Belgique, est entré le 5 septembre 2011 au service d’une société de droit français, la SARL A+BATIMENT en qualité d’ouvrier.
Il a bénéficié des allocations de chômage temporaire versées par l’ONEm entre le 5 septembre 2011 et le 15 février 2012.
Le formulaire C3.2F signé par l’employeur et le chômeur précisait que ce travailleur avait entrepris auprès des autorités françaises les démarches en vue de l’indemnisation de ce chômage et donné procuration aux autorités françaises afin qu’elles versent à l’ONEm les allocations de chômage pouvant lui être dues en vertu de la législation française, ce qui s’est ensuite avéré inexact.
L’ONEm a en conséquence décidé le 14 mars 2014 d’exclure M. B.A. du bénéfice des allocations de chômage temporaire perçues entre le 5 septembre 2011 et le 15 février 2012 et de récupérer les allocations perçues indûment.
Le jugement du tribunal
M. B.A. a introduit contre cette décision un recours recevable devant le tribunal du travail du Hainaut, division de Binche, qui, par un jugement du 15 septembre 2022 a décidé que M. B.A. ne pouvait prétendre aux allocations de chômage à charge de l’Etat belge pour la période litigieuse.
La position de l’appelant devant la cour
M. B.A. a interjeté appel de cette décision. Il ne conteste plus qu’il n’avait pas droit aux allocations de chômage temporaire mais se fonde sur l’article 17, al. 2, de la Charte de l’assuré social, qui interdit à l’institution de sécurité sociale de réparer avec effet rétroactif une décision initiale erronée lorsque l’erreur lui est imputable.
Sa thèse, à laquelle s’est rallié M. le Substitut général dans son avis écrit, est que l’ONEm a manqué à son obligation, consacrée par l’article 11 de la Charte de l’assuré social, de recueillir d’initiative toutes les informations utiles au dossier. Le chômeur invoque également le non-respect par l’ONEm de son « instruction administrative interprétative » du 18 février 1992 prévoyant que cet organisme prenne une décision de rejet en cas de réception d’un formulaire C.3.2F notamment si le travailleur n’a pas souscrit la procuration ou si l’employeur n’a pas entrepris les démarches nécessaires en France.
Ainsi, l’ONEm aurait dû constater que le dossier était incomplet, prendre une décision de rejet et renvoyer ce dossier à l’organisme de paiement au lieu de l’admettre.
Selon M. B.A., la décision de l’ONEm du 14 mars 2014, soumise à la censure des juridictions du travail, doit donc s’analyser comme « réparant » la décision initiale erronée suite à une erreur imputable à l’ONEm en sorte que, en application de l’article 17 de la Charte de l’assuré social, elle ne peut avoir d’effet rétroactif.
Les conclusions de l’auditorat général sont en ce sens.
L’arrêt de la cour
L’arrêt commenté ne partage pas cette analyse.
La cour précise que les décisions citées par le ministère public à l’appui de sa thèse ne concernent pas (sauf l’une d’elles) des situations comparables à celle de la cause.
Ainsi, la décision isolée assimilant le défaut pour l’ONEm d’avoir réclamé les renseignements manquants à l’assuré social prononcée par la Cour du travail de Mons le 14 juin 2012 (R.G. 2011/AM/119 et 2011/AM/126) publiée sur www.terralaboris.be est ancienne et difficilement conciliable avec l’arrêt de la Cour de cassation du 29 mai 2017 (S.15.0131.F).
Cet arrêt de la Cour de cassation décide en effet que : « L’erreur d’appréciation de l’ONEm dans la vérification des déclarations et documents et des conditions requises pour prétendre aux allocations ne constitue pas une erreur de droit ou matérielle entachant la décision de cet organisme au sens de l’article 17, alinéa 2, de la charte de l’assuré social ».
En la présente cause, l’ONEm s’est fondé sur les renseignements inexacts donnés par l’employeur et le travailleur dans le formulaire C3.2F signé par eux, étant que les démarches avaient été entreprises pour obtenir l’indemnisation du chômage en France et que M. B.A. avait donné procuration aux autorités françaises.
L’enquête diligentée par les services d’inspection belges et français a d’ailleurs mis en évidence une « stratégie » de plusieurs employeurs - parmi lesquels la SARL A+BATIMENT, pour obtenir des allocations de chômage temporaire au bénéfice des travailleurs transfrontaliers sans que les conditions d’octroi ne soient remplies.
Il ne peut donc être question d’une erreur de l’institution de sécurité sociale faisant obstacle à la récupération des allocations de chômage indûment payées.
L’appel est donc déclaré non fondé et la récupération des allocations indûment payées est confirmée.
Intérêt de la décision
En règle, en vertu de l’article 17, al. 1er, de la Charte de l’assuré social, l’institution de sécurité sociale qui constate qu’une de ses décisions est entachée d’une erreur de droit ou matérielle doit restaurer la légalité en prenant une nouvelle décision qui produit ses effets à la date à laquelle la décision rectifiée a pris effet, sans préjudice de la prescription.
Il n’est fait exception à cette règle que lorsque la décision erronée est due à une erreur de cette institution (article 17, al. 2, de la Charte).
L’arrêt analysé donne de nombreuses références doctrinales et jurisprudentielles sur cet article 17, qui, comme le prouve l’avis contraire de l’auditorat général, suscite encore des controverses.