Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 25 mars 2024, R.G.2023/AL/62
Mis en ligne le mardi 26 novembre 2024
Cour du travail de Liège (division Liège), 25 mars 2024, R.G.2023/AL/62
Terra Laboris
Résumé introductif
Il appartient à l’assuré social qui réclame l’octroi d’une prestation sociale d’établir qu’il remplit les conditions pour en bénéficier. Cette charge continue à peser sur lui s’il conteste une décision de révision ou de retrait, et ce même si elle intervient après plusieurs années d’octroi sans contestation.
L’affiliation à une caisse d’assurances sociales pour travailleurs indépendants engendre une présomption réfragable d’exercice d’une activité pour son propre compte.
Dès lors que l’ONEm a commis une erreur au sens de l’article 17 de la Charte de l’assuré social, il revient alors à cet organisme de prouver que la chômeuse savait ou devait savoir qu’elle n’avait pas droit aux allocations. A défaut, la décision de revision ne peut rétroagir.
Dispositions légales
Faits de la cause
Mme B. a exercé une activité d’indépendante à titre complémentaire de sage- femme depuis 2003 tout en travaillant comme infirmière salariée. Elle a été licenciée moyennant un préavis à prester puis a, le 1er octobre 2018, obtenu les allocations de chômage et l’avantage tremplin indépendant.
A la fin de cet avantage, Mme B. a demandé le bénéfice des allocations de chômage et a déclaré sur le formulaire C1 qu’elle était inscrite comme indépendante à titre accessoire. Elle a précisé que sa déclaration précédente sur le formulaire C1A restait inchangée.
Elle a envoyé tous les mois sur le site de la CAPAC sa fiche de contrôle électronique.
Elle a perçu les allocations à partir du 1er octobre 2019 mais, dans le cadre du contrôle de son dossier, l’ONEm a estimé que la chômeuse n’avait pas déclaré en bonne et due forme son activité indépendante complémentaire et que cette activité était susceptible d’être exercée entre 7 et 18H, soit dans un créneau horaire interdit.
Il l’a, le 15 décembre 2020, exclue du bénéfice des allocations à partir du 1er octobre 2019, a décidé de la récupération des allocations pour cette période et lui a infligé une sanction administrative de 13 semaines sur la base de l’article 154 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991.
Une décision du 15 avril 2021 porte l’indu à 14.013,21€.
Le recours judiciaire
Mme B. a demandé au Tribunal du travail de Liège, division Liège, à titre principal, l’annulation de la décision de l’ONEm ou du moins sa réformation et l’octroi du bénéfice des allocations de chômage pour toute la période litigieuse et subsidiairement la limitation de la récupération. A titre subsidiaire elle a demandé la condamnation de la CAPAC au paiement d’1 euro à titre provisionnel pour la réparation de la faute qu’elle a commise en relation causale avec son dommage.
Le jugement du tribunal du travail
Par jugement du 11 janvier 2023, le tribunal a reçu les demandes, a décidé que la faute de la CAPAC était établie et était en relation causale avec le dommage, étant l’exclusion du bénéfice des allocations de chômage et a ordonné la réouverture des débats pour chiffrer ce dommage.
La CAPAC a formé un appel principal invitant la cour à dire qu’elle n’a pas commis de faute engageant sa responsabilité et a indiqué diriger également son appel contre l’ONEm, qui aurait dû réclamer le formulaire manquant. Mme B. a formé un appel incident dirigé contre la CAPAC et l’ONEm.
L’arrêt de la cour du travail
La première question que l’arrêt examine est celle de la recevabilité des appels.
La recevabilité de l’appel de la CAPAC à l’égard de Mme B. ne pose pas de problème particulier.
Bien que la CAPAC ne formule pas expressément de grief contre l’ONEm, l’argumentation de cet organisme est de nature à porter atteinte aux intérêts de l’ONEm. Un lien d’adversité existe donc entre ces deux parties. Compte tenu de ce lien l’ONEm est une partie à la cause au sens de l’article 1054, alinéa 1er du Code judiciaire et l’appel incident dirigé contre lui par la chômeuse est recevable.
Il appartient donc à la cour du travail d’examiner les points déjà tranchés par le premier juge et qui sont contestés en degré d’appel ainsi que tous ceux qui ont été réservés par le tribunal.
Le premier de ces points est si la motivation formelle de la décision de l’ONEm est adéquate et suffisante - ce qui est le cas en l’espèce.
L’arrêt examine ensuite la question de la privation de travail et de rémunération.
L’affiliation à une caisse d’assurances sociales pour travailleurs indépendants engendre, selon des décisions des trois cours du travail francophones, une présomption réfragable d’exercice d’une activité pour son propre compte.
Les chômeurs de plus de 60 ans ne sont pas soumis à l’obligation d’avoir une carte de contrôle et peuvent donc, quand ils exercent une activité, choisir soit de se soumettre aux règles relatives à cette carte soit d’informer leur organisme de paiement de l’exercice de l’activité, cette déclaration étant alors obligatoire au sens de l’article 153 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991.
Il appartient à l’assuré social qui réclame l’octroi d’une prestation sociale d’établir qu’il remplit les conditions pour en bénéficier et cette charge continue à peser sur lui s’il conteste une décision de révision ou de retrait, même si elle intervient après plusieurs années d’octroi sans contestation.
En l’espèce, il ressort du dossier et notamment des éléments remis par Mme B. à l’ONEm que son activité était organisée dans le temps et que les recettes qui en découlent étaient importantes. En outre, cette activité était régulièrement exercée en journée. Mme B. n’était donc pas privée de travail et de rémunération et l’exclusion du bénéfice des allocations était donc justifiée, sous la réserve de l’examen de l’effet rétroactif de la décision.
L’article 17 de la Charte de l’assuré social énonce le principe de l’effet rétroactif de la révision sauf en cas d’erreur de l’institution de sécurité sociale et à la condition alors que l’assuré social ne savait pas et ne devait pas savoir qu’il n’avait pas droit à la prestation ou au montant de celle-ci.
L’ONEm a commis une erreur au sens de cette disposition car la lecture combinée du C109 et du C1, contradictoires, devait le mener à ne pas accorder les allocations à Mme B. Il revient alors à cet organisme de prouver que la chômeuse savait ou devait savoir qu’elle n’avait pas droit aux allocations, preuve qui n’est pas apportée.
La décision d’exclusion de l’ONEm ne pouvait donc prendre cours que le 1er jour du mois suivant sa notification.
Cet organisme ne peut partant prétendre à une récupération et la demande incidente de Mme B. visant à se voir rembourser les sommes déjà versées au titre d’indu est recevable même si elle a été formulée pour la première fois en degré d’appel par conclusions contradictoirement prises, étant fondée sur un fait ou un acte invoqué dans l’acte introductif d’instance.
Dans la mesure où aucune sanction ne peut être infligée à Mme B. et celle-ci n’étant redevable d’aucun indu, son action contre la CAPAC devient sans objet.